Mobilité de la main-d'oeuvre médicale

Les ententes sont loin d'être une panacée

Alors que le Québec perd ses médecins au profit de l'Ontario, l'entente France-Québec est porteuse d'espoir

Santé - le pacte libéral

Lisa-Marie Gervais - Sur une lancée, le gouvernement du Québec a signé au cours des derniers mois une série d'ententes-cadres, notamment avec l'Ontario et la France, pour faciliter la mobilité de la main-d'oeuvre. Dans le milieu de la santé, certains y ont vu un remède contre la pénurie de médecins qui sévit gravement au Québec. Mais ces ententes sont-elles véritablement une panacée?
Avril 2009. On a salué cette entente dite historique entre le Québec et l'Ontario, qui allait favoriser la mobilité de la main-d'oeuvre médicale. Tandis que le président du Collège des médecins du Québec, le Dr Yves Lamontagne, la qualifiait «d'important accord», son homologue ontarien en faisait un «modèle à suivre». Des doutes sur sa mise en oeuvre? Non. Ou si peu.
Certes, ouvrir une voie rapide pour les médecins entre le Québec et l'Ontario, deux provinces qui ont des conditions de travail et de rémunération inégales, risquait d'en avantager une plus que l'autre. Le Québec paie moins bien ses médecins et peine davantage à les retenir. L'exode du personnel médical vers l'Ontario, particulièrement celui de l'Outaouais, est un fait reconnu. Et il était à ce point inquiétant que l'ancien ministre de la Santé Philippe Couillard avait donné à l'Outaouais un statut particulier, qui justifiait ainsi une série de mesures, y compris financières, pour retenir son personnel.
L'an dernier, 125 médecins québécois ont obtenu des permis de pratique indépendants auprès du College of Surgeons and Physicians of Ontario. Mais à peine une trentaine de médecins ontariens ont fait la route vers le Québec. Beaucoup d'étudiants québécois choisissent l'Ontario pour leur résidence et très peu d'Ontariens viennent au Québec. Pour l'année 2009, les chiffres du Service canadien de jumelage pour la résidence en médecine fait état d'un solde migratoire de -42 pour le Québec.
Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, avait reconnu que l'entente Québec-Ontario sur la mobilité de la main-d'oeuvre pourrait amener des médecins québécois à aller pratiquer en Ontario. Mais, optimiste, il avait dit croire en la possibilité de voir ces médecins remplacés, et même surpassés, par d'autres venus d'ailleurs. «Et de loin», avait-il dit. Beaucoup d'espoirs ont été ainsi fondés sur une autre entente de mobilité de la main-d'oeuvre médicale, cette fois avec la France.
Québec-Ontario : une impasse ?
Le but de l'entente Québec-Ontario, qui visait la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des médecins afin de répondre à une commande provenant des deux gouvernements provinciaux dans le cadre de l'Accord sur le commerce intérieur (ACI), était clair: donner à un médecin québécois titulaire d'un permis sans restriction la possibilité d'obtenir automatiquement un permis d'exercice pour pratiquer la médecine en Ontario, et vice-versa. Aussi, simplifier la bureaucratie pour accélérer le processus et faciliter la vie des médecins, surtout. L'entente se devait d'être réciproque.
Or, depuis le 1er août, si les portes de l'Ontario sont grandes ouvertes aux médecins québécois, il n'en est pas de même au Québec, où quelques détails restent à être bouclés avant que tous les médecins ontariens sans exception puissent y venir sans problèmes. Pour les médecins ontariens diplômés avant 1994, qui n'ont pas fait l'examen qui est maintenant harmonisé entre les deux provinces, la reconnaissance automatique n'est pas possible. Mais on travaille là-dessus. Le dossier est sur le bureau de l'Office des professions du Québec, qui «veille à ce que la réglementation soit conforme aux normes», a indiqué Jean-Paul Dutrisac, président de l'Office des professions du Québec. Mais l'accord n'entrera pas en vigueur avant 2010.
Pour le président de la Fédération des médecins omnipraticiens, le Dr Louis Godin, l'entente Québec-Ontario ne saurait être profitable au Québec sans effectuer certains ajustements. «Les conditions de travail au Québec devront être compétitives. Je ne vous surprends pas en disant que ça fait longtemps qu'on demande ça», a-t-il indiqué.
Selon le Dr Gilles Aubé, médecin de famille dans la région de l'Outaouais, qui perd beaucoup de médecins au profit de l'Ontario, rehausser le salaire ne sera pas suffisant: il faudra des mesures contraignantes. «Au lieu d'ouvrir les portes du Québec, il faut au contraire mettre plein de barrières pour empêcher les Québécois de s'en aller. Il faut leur faire signer un engagement pour les obliger à rester ici, sans quoi ils devront rembourser 100 % de ce que leur formation a coûté», a lancé le Dr Aubé, qui a été candidat pour le Parti québécois à l'élection partielle dans Hull l'an dernier.
France-Québec : le seul espoir ?
Signée le 17 octobre dernier, l'entente-cadre entre la France et le Québec visait à adopter une procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles qui devait faciliter et accélérer l'acquisition d'un permis pour l'exercice d'une profession réglementée sur l'un et l'autre territoire. Depuis, une dizaine d'ordres québécois, dont les architectes et les ingénieurs, ont signé des accords de reconnaissance mutuelle (ARM) avec leurs homologues français. Si les deux autorités responsables de la pratique médicale ici et en France assurent qu'elles sont parvenues à s'entendre, la mobilité des médecins n'est pas encore possible.
L'entente ne pourra pas entrer en vigueur tant que les autorités françaises, le ministre de la Santé ou le président lui-même ne lui donneront pas l'approbation finale, ce qui signifie un délai de plusieurs mois.
Beaucoup d'espoirs sont fondés sur cet accord. Le ministre de la Santé y voit une façon d'accélérer l'intégration de médecins étrangers, en l'occurrence français, au système de santé québécois. Plus mitigée, la Fédération des médecins spécialistes croit en cette bonne nouvelle qui va emmener des renforts, mais craint également le déséquilibre que cela pourrait créer si un grand nombre de Québécois en profitaient pour tenter leur chance de l'autre côté de l'Atlantique.
L'entente dispensera un médecin français de faire l'examen de français et l'examen d'évaluation du Conseil médical du Canada (EECMC). Mais en vertu de cette même entente, le professionnel de la santé devra suivre la voie du permis restrictif après avoir fait un stage d'évaluation d'au moins deux mois en milieu hospitalier.
Selon Édith Mauguière, une omnipraticienne diplômée en France, c'est là où le bât blesse. «Je me rends bien compte qu'il y a des endroits où il y a de réels besoins. Mais moi, je suis venue travailler à Montréal. Si on m'envoie en région, je repars en France», explique cette mère de famille mariée à un Québécois. Pour soulager la pénurie, elle propose de reconnaître automatiquement la formation prédoctorale des étudiants français et de les admettre directement en résidence sans qu'ils aient à passer une panoplie d'examens. «Ça, ça pourrait aider. Mais le Collège des médecins ne le fera jamais», a-t-elle soupiré. «Est-ce qu'on est capable de se dire qu'on vit vraiment dans un monde mondialisé ou bien reste-t-on chacun chez soi?»


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