INDÉPENDANCE DU QUÉBEC - 246

Les «groupes réels» sont nécessaires à l'indépendance du Québec

Comment peut-on sortir de l'impasse fédéraliste ?

Chronique de Bruno Deshaies

Des réponses à cette question fusent de toutes parts. Dans le camp fédéraliste, le parti-pris favorable à l'option de l'annexion du Québec au Canada résiste encore à la tentation de la séparation. La grande majorité des défenseurs de l'optique fédéraliste est incapable de voir pourquoi un tel régime de partage fédéral, s'il était respecté, n'aboutirait pas à l'épanouissement culturel de la nationalité minoritaire : celle-ci n'a-t-elle pas la pleine juridiction sur ses organismes culturels et même ne peut-elle pas négocier des ententes et des traités directement avec l'étranger en ce qui concerne l'éducation, les relations culturelles (techniques, scientifiques, artistiques, etc.) ? À la limite, tous ces fédéralistes convaincus peuvent admettre que le référendum de 1995 a été volé, mais ils ne changeront jamais d'avis à ce sujet.

Dans leur esprit, le fédéralisme peut connaître des ratés, mais il est surtout perfectible. Il s'agit d'être de bonne foi. Il faut le vouloir, car la fédération canadienne pourrait beaucoup mieux fonctionner. C'est possible. C'est même nécessaire pour le Québec. Le Canada est un chef de file dans la défense des intérêts des régimes fédéralistes. Beaucoup de francophones du Canada s'agitent dans les coulisses de ce système au moyen d'instituts, de centres de recherche ou d'observatoires qui ont pour mandat de faire la promotion des régimes fédéraux comme une panacée des problèmes des États binationaux ou multinationaux. Ce sont de véritables outils de propagandes.
En gros, au Canada, les fédéralistes annexionnistes considèrent l'autonomie provinciale comme suffisante. Faut-il ajouter qu'ils en profitent ? N'est-ce pas, proclament-ils, que chaque gouvernement est « souverain dans sa sphère » ? Ce vieux discours est très loin d'être dépassé ni même en voie de disparition. Tout récemment, l'ex-bloquiste et l'ex-péquiste Jean-François Simard nous a démontré qu'un souverainiste pouvait endosser les oripeaux du partenariat, ce qui serait «Le grand défi du Parti québécois».(Cf. Le Devoir, mercredi 22 mars 2006.)
« Bref, il nous faut plus que jamais garder les pieds sur terre.» (Jean-François Simard
)

Monsieur Simard aura quarante ans à la fin de 2006. Sa notice biographique de député à Québec nous indique qu'il a été élu successivement vice-président en 1986 et président en 1988, de l'aile québécoise des Jeunes libéraux du Canada. Il démissionne de ses fonctions à la suite de l'échec de l'accord du lac Meech en 1990, moment à partir duquel il se joindra au Bloc québécois. Quelques années plus tard, il devient vice-président de la Commission nationale des jeunes sur l'avenir du Québec en 1995. Attaché politique au cabinet du premier ministre Jacques Parizeau au cours de la campagne référendaire de 1995, on le retrouve aujourd'hui dans le réseau universitaire comme professeur au Département de travail social et des sciences sociales à l'Université du Québec en Outaouais.
Revenons à son article publié dans Le Devoir du 22 mars dernier et qui a fait un certain bruit. Après une lecture et une relecture très attentives, il est difficile de comprendre comment on peut « garder les pieds sur terre » quand l'auteur propose une politique d'attentisme. Même après 38 ans, Jean-François Simard semble à l'aise avec l'optique de la souveraineté-association de René Lévesque. Comme beaucoup de souverainistes, il oublie les besoins impérialistes du Canada-Anglais qui s'affirment toujours de plus en plus. Il est donc normal que la majorité canadian nous propose constamment qu'il est préférable qu'une minorité du pays accepte de bon gré les avantages que présente le fonctionnement du régime fédéral canadien.
Tous les fédéralistes canadians et québécois s'inspirent fortement du mode de raisonnement qui découle de l'optique impérialiste. En voici les caractéristiques :
En ce qui concerne l'État
L'optique impérialiste
-* accuse les autres nationalités de « diviniser » l'« État »...
-* croirait à la « vocation nationale culturelle » des autres nations, si ces dernières n'étaient pas tentées de mettre l'accent sur l'État ;
-* voit dans le principe du « national self-determination » (des autres) une doctrine en apparence libérale mais au fond « déterministe ». Il faudrait défendre « des valeurs » et non des « nations-États » ;
-* considère l'État comme un organisme « neutre » bon pour toutes les nations ;

-** voudrait voir « dépolitiser » les problèmes des nations minoritaires ;
En ce qui concerne le fédéralisme

L'optique impérialiste
-* trouve l'idée de fédéralisme « riche », mais ne veut pas qu'on apprécie le régime fédéral parce qu'il octroie un État provincial à la nationalité minoritaire, car c'est encore attacher trop d'importance à l'État ;
-* conclut qu'une nation minoritaire pourrait et devrait se contenter d'un fédéralisme culturel ;
-* adore la devise :
-** « Dénationaliser la politique,
-** Dépolitiser le national. »
En ce qui concerne le facteur humain
L'optique impérialiste
-* aspire à la paix dans l'ordre qui règne à telle époque, et qui favorise l'humain... le citoyen... etc. ;
-* insiste sur la « personne ». Après tout, ce qui importe, c'est l'épanouissement des individus et des familles ;
-* considère les « cadres » politiques et économiques comme des instruments au service des personnes ;
-* développe le thème de « l'Ordre personnaliste » que l'on oppose à l'univers concentrationnaire, à l'Ordre fasciste, à l'embrigadement collectiviste.
(Consulter Maurice Séguin, Les Normes, chapitre troisième.)
Les souverainistes « associationnistes », de quelque tendance qu'ils soient, trouveront toujours sur leur chemin des fédéralistes têtus dont l'argumentaire est foncièrement impérialiste et qui s'oppose catégoriquement à l'optique indépendantiste. À cet égard, monsieur Simard est certainement justifié de dire que l'un des obstacles importants pour le Parti québécois « réside dans la piètre mise à jour de l'argumentaire souverainiste ». Nous devons sûrement lui donner raison sur ce point. Mais il y a un hic. En effet, il propose au Parti québécois de ne pas abandonner le projet de partenariat
Malgré tout, les propos de l'ex-député péquiste ont piqué au vif le chef du Parti québécois, André Boisclair, qui a vite réagi à cet article d'un autre jeune de sa génération (voir NOTE no 1). Les deux protagonistes auront 40 ans en 2006, soit en avril prochain pour monsieur Boisclair, puis en décembre pour monsieur Simard. Pourquoi noter ce détail ? Tout simplement pour signaler que les débats qui s'amorcent à nouveau sur la souveraineté risquent de nous plonger dans la tuyauterie du processus référendaire et de la gouvernance à Québec au cours des quatre ou cinq prochaines années, sinon durant toute la prochaine décennie. Rien de moins !
[...] d'après le calendrier péquiste, le Québec est à seulement 36 mois de solliciter son adhésion à l'ONU. Il me semble évident que ce scénario, à la frontière du simplisme, ne tient pas compte du climat social qui prévaut actuellement au Québec. »
_ (Jean-François Simard)

Le chef du Parti québécois n'a pas aimé cette sortie d'un souverainiste qui a promené ses bagages du camp libéral fédéral au Bloc québécois, puis au Parti québécois pour finalement se retrouver à l'Université du Québec en Outaouais. Ces deux « jeunes » auront à composer avec le texte fondamental concocté par les souverainistes péquistes au denier congrès du PQ, en juin 2005. On lit dans le programme Un projet de pays ce qui suit :
|LE PARTI QUÉBÉCOIS VEUT ÉTABLIR UN NOUVEAU RAPPORT AVEC L'ÉTAT CANADIEN EN SORTANT LE QUÉBEC DU CADRE CONSTITUTIONNEL ACTUEL.|
|L'État québécois sera à même de décider pleinement de sa politique étrangère et de ses relations avec les autres États dans le but de partager avec l'ensemble des membres de la communauté internationale les valeurs et aspirations des Québécoises et des Québécois. L'État du Québec utilisera pleinement sa souveraineté afin de se donner des institutions à l'image des Québécoises et des Québécois, ouvertes, démocratiques et respectueuses de l'environnement. L'État du Québec utilisera l'ensemble de ses pouvoirs dans l'atteinte de l'objectif de faire de notre pays un endroit où il fait bon vivre pour toutes et tous.|
|Le Parti Québécois, ses militantes et ses militants feront la promotion du pays du Québec avec tous les moyens dont ils disposent en mettant l'accent sur les raisons fondamentales et les raisons essentielles qui militent en faveur d'un pays pour le Québec.|
----
PARTI QUÉBÉCOIS, Un projet de pays. Déclaration de principes. Programme de pays. Statuts du Parti Québécois. Adoptés lors du XVe congrès national les 3, 4 et 5 juin 2005. Pages 9-10.
----

Cette nouvelle génération de souverainistes, qu'elle soit dans un camp ou dans l'autre, reste depuis 1968 dans le plus grand flou idéologique indépendantiste. Les réalistes comme les optimistes se retrouvent avec la même patate chaude depuis René Lévesque et sa philosophie politique de la souveraineté-association. Le MSA de Lévesque deviendra le PQ avec la fusion du R.I.N. Il ne suffit pas d'être de la « nouvelle » génération de péquistes pour nous faire croire qu'il s'agit maintenant d'un PQ « nouveau » et plus jeune. Soit dit en passant, il ne s'agit nullement d'un vin nouveau ! C'est une autre vieille cuvée, pour ne pas employer le mot piquette, du souverainisme péquiste. Cette publicité sur le site Internet du député de la circonscription électorale de Verchères en dit long sur les intentions du nouveau chef péquiste.

Les vieux d'une part, relégués au second plan, les jeunes d'autre part, sur le devant de la scène ! Le PQ « nouveau » est arrivé ! Comment peut-on concevoir pareille niaiserie médiatique chez un parti politique qui veut la souveraineté du Québec « rajeunie », en des termes comparables à ceux de ses prédécesseurs. Le nouveau chef est encore englué dans les stratégies référendaires et il est incapable de nous dire ce que signifie « un nouveau rapport avec l'État canadien ». Les inquiétudes persistent toujours parmi les troupes indépendantistes (voir NOTE no 2).
André Boisclair n'a pas encore compris que sa lutte nationale n'est pas DANS le régime mais bel et bien SUR le régime. Cette nuance fondamentale signifie pour les indépendantistes que la lutte nationale porte sur la jouissance de tous les pouvoirs d'un État québécois souverain tant à l'interne qu'à l'externe. Il est grand temps de mettre fin aux phrases ronflantes et creuses que nous pouvons lire dans l'extrait du programme cité plus haut.
Le temps est venu que des « groupes réels » se forment à tous les échelons de la société québécoise. Des « groupes réels » qui exercent leur influence auprès des leaders de l'État et des autres « grands ensembles » ; des « groupes réels » formés de notables, de responsables des communautés intermédiaires ; des « groupes réels » aussi constitués de citoyens ordinaires. Dans ce dernier cas, c'est l'existence de très nombreux groupes réels de base qu'il convient de déceler. « Du haut en bas de l'échelle, soutient Jean-Baptiste Duroselle, le groupe réel joue un rôle à part, puisque le citoyen quelconque, le notable et le leader agissent essentiellement par l'intermédiaire de groupes réels qu'ils constituent ou auxquels ils adhèrent. Pour mettre en mouvement ce système complexe, l'action humaine se manifeste sans discontinuer. » (Voir RÉF., DUROSELLE.) Ces groupes réels se constituent selon le choix et les préférences des membres. Ils seront des créateurs d'une « tendance » au sein d'un parti ou d'un mouvement qui défend la cause de l'indépendance du Québec.
[Bruno Deshaies ->aut274]
RÉFÉRENCE :
Jean-Baptiste DUROSELLE, Tout empire périra. Théorie des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1992, 346 p. Voir les pages 64-66 et 72. (ISBN : 2200372701)

NOTES :
(1) Jocelyne Richer, « André Boisclair maintient qu'il veut un référendum le plus tôt possible. » Dans La Presse, samedi 25 mars 2006, p.

(2) Dans La Presse de ce matin, on trouve sur la page FORUM (p. A23) trois articles mettant en évidence [l'inquiétude de militants indépendantistes->651] « face au leadership d'André Boisclair ».

- Denis Monière, « Une impression de vide intellectuel. »
- Philippe Bernier Arcand, « Une stratégie vouée à l'échec. »
- Nestor Turcotte, « Le départ des « vieux ». »
----

Featured b9f184bd28656f5bccb36b45abe296fb

Bruno Deshaies209 articles

  • 294 328

BRUNO DESHAIES est né à Montréal. Il est marié et père de trois enfants. Il a demeuré à Québec de nombreuses années, puis il est revenu à Montréal en 2002. Il continue à publier sa chronique sur le site Internet Vigile.net. Il est un spécialiste de la pensée de Maurice Séguin. Vous trouverez son cours sur Les Normes (1961-1962) à l’adresse Internet qui suit : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-1-20 (N. B. Exceptionnellement, la numéro 5 est à l’adresse suivante : http://www.vigile.net/Les-Normes-en-histoire, la16 à l’adresse qui suit : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-15-20,18580 ) et les quatre chroniques supplémentaires : 21 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique 22 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19364 23 : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19509 24 et fin http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-Chronique,19636 ainsi que son Histoire des deux Canadas (1961-62) : Le PREMIER CANADA http://www.vigile.net/Le-premier-Canada-1-5 et le DEUXIÈME CANADA : http://www.vigile.net/Le-deuxieme-Canada-1-29 et un supplément http://www.vigile.net/Le-Canada-actuel-30

REM. : Pour toutes les chroniques numérotées mentionnées supra ainsi : 1-20, 1-5 et 1-29, il suffit de modifier le chiffre 1 par un autre chiffre, par ex. 2, 3, 4, pour qu’elles deviennent 2-20 ou 3-5 ou 4-29, etc. selon le nombre de chroniques jusqu’à la limite de chaque série. Il est obligatoire d’effectuer le changement directement sur l’adresse qui se trouve dans la fenêtre où l’hyperlien apparaît dans l’Internet. Par exemple : http://www.vigile.net/Les-normes-en-histoire-1-20 Vous devez vous rendre d’abord à la première adresse dans l’Internet (1-20). Ensuite, dans la fenêtre d’adresse Internet, vous modifier directement le chiffre pour accéder à une autre chronique, ainsi http://www.vigile.net/Le-deuxieme-Canada-10-29 La chronique devient (10-29).

Vous pouvez aussi consulter une série de chroniques consacrée à l’enseignement de l’histoire au Québec. Il suffit de se rendre à l’INDEX 1999 à 2004 : http://www.archives.vigile.net/ds-deshaies/index2.html Voir dans liste les chroniques numérotées 90, 128, 130, 155, 158, 160, 176 à 188, 191, 192 et « Le passé devient notre présent » sur la page d’appel de l’INDEX des chroniques de Bruno Deshaies (col. de gauche).

Finalement, il y a une série intitulée « POSITION ». Voir les chroniques numérotées 101, 104, 108 À 111, 119, 132 à 135, 152, 154, 159, 161, 163, 166 et 167.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé