LA CRISE GRECQUE

Les ogres et les indignés

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La dictature comptable contre la Grèce

La Grèce finira-t-elle par s’entendre avec Bruxelles ? Sans doute. Un « Grexit » (sortie de la Grèce de la zone euro) est difficile à concevoir, malgré le psychodrame. Au-delà, cette négociation étale de plus en plus clairement le méfait social que constituent les politiques d’austérité.
D'abord des chiffres : l’enjeu, et il est crucial pour ce village gaulois désargenté qu’est la Grèce, est de toucher 7,2 milliards d’euros (10,1 milliards $CAN) avant l’expiration, le 30 juin prochain, du plan d’aide initié en 2012. Le temps est compté et les urgences s’empilent, puisque à cette échéance s’en jouxte une autre, plus immédiate encore : ce vendredi, Athènes doit rembourser une tranche de prêts de 300 millions d’euros au Fonds monétaire international, premier versement d’un total de 1,6 milliard dus en juin. Ce qui devrait être fait, s’il faut en croire le premier ministre grec, Alexis Tsipras : « Ne vous inquiétez pas », a-t-il dit à la presse, jeudi.

Or, à l’issue d’un énième effort de rapprochement, la Grèce et la troïka de ses créanciers (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne) ne sont pas parvenus à s’entendre, dans la nuit de mercredi à jeudi, sur les réformes dont la mise en place permettrait de débloquer ces milliards dont Athènes, privée d’aide depuis août 2014, a besoin d’urgence pour parvenir à surnager financièrement. De nouveaux pourparlers au sommet pourraient avoir lieu dès aujourd’hui vendredi, sinon la semaine prochaine, après le sommet du G7, qui se tient justement en Allemagne, zélatrice de la ligne dure à l’égard de la Grèce.

Si l’État grec a manifestement besoin d’être mieux bâti et que l’économie réelle du pays souffre de retards et de faiblesses patents, il n’empêche que les politiques d’austérité que ses créanciers cherchent à lui imposer tiennent du crime socio-économique, d’une dictature comptable qui, finalement, démolit tout et ne résout rien. Sur la période allant de 2009 à 2013, les salaires et les revenus ont reculé de près de 20 % en moyenne — et de bien plus encore (86 % !) parmi les 10 % de foyers les plus modestes, indiquait récemment l’étude d’un institut allemand relevée par la grande presse européenne. À côté du taux de chômage, qui a bondi de 7 % à 26 % entre 2008 et 2014 (60 % parmi les jeunes), la Grèce a connu en parallèle une explosion des retraites hâtives, s’agissant principalement d’élaguer la fonction publique pour répondre aux exigences des bailleurs de fonds. Les ogres de l’austérité aiment à se nourrir des moins nantis.

Réformes de la TVA et du droit du travail, privatisations dans l’énergie et le transport, restructuration de la dette… Autant de points de litige entre Athènes et ses créanciers dont les implications sociales sont incontestables. Pas étonnant, ainsi, que la question des retraites constitue l’un des principaux champs de bataille. La troïka exigeant que le régime de retraite affiche un déficit zéro, elle attend de la Grèce qu’elle procède à de nouvelles coupes sombres dans les pensions, en supprimant notamment, selon la presse grecque, une prime dont bénéficient les petits retraités. Ce dont le gouvernement de gauche dite radicale de M. Tsipras, élu en janvier dernier, ne veut avec raison rien entendre.

Il y a une part de crise humanitaire dans la débâcle où s’enfoncent les Grecs depuis cinq ans. En mars, la coalition Syriza rassemblée autour de M. Tsipras a voté des lois d’urgence d’aide alimentaire, d’aide au logement et de fourniture d’électricité gratuite à l’intention des plus pauvres. En partie par intérêt électoral, bien entendu. Mais c’est une catastrophe sociale à laquelle les créanciers de la Grèce, à commencer par Berlin, sont objectivement indifférents, obsédés qu’ils sont par l’idée de faire plier Athènes — et de sauver les banques. Obsédés, en effet : comment expliquer autrement le fait qu’ils continuent de faire l’impasse sur l’évidence aujourd’hui vérifiée par une armée d’économistes, ainsi que le soulignait une récente étude de l’OCDE, que l’un des meilleurs moyens de plomber la croissance est de laisser les inégalités se creuser ?

Du reste, la diabolisation des « radicaux » de Syriza tient évidemment de la manipulation. Le gouvernement Tsipras est sans l’ombre d’un doute un objecteur de conscience dans le concert des élites qui tiennent le pouvoir en Europe, mais il est en réalité moins radical que tout simplement social-démocrate — au sens clair et net où l’entendait Jacques Parizeau. Comme en Espagne, où le parti Podemos prend de l’envergure, Syriza est le signe que les « indignés » se forgent une voix politique. Qu’elle dure.


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