Essais québécois

Lester et Lisée en liberté

Livres-revues-arts 2011


En 2006, pour discréditer les révélations au sujet des magouilles fédérales contenues dans Les Secrets d'Option Canada, une enquête réalisée par Normand Lester et Robin Philpot, André Pratte présente le premier comme un «essayiste» et comme «un souverainiste dur», alors que Lysiane Gagnon le qualifie d'«indépendantiste militant de la tendance nationaleuse». Nous sommes dans La Presse, évidemment.
Fâché, Lester leur réplique qu'ils mentent. «Je suis un journaliste d'enquête, écrit-il. [...] Je n'ai jamais non plus proposé ou endossé de solutions constitutionnelles à l'affrontement séculaire entre Québécois et Canadiens. Je mets André Pratte et Lysiane Gagnon au défi de trouver de moi une citation, une prise de position partisane ou un encouragement à voter pour un parti ou une option constitutionnelle.»
À l'époque, les deux journalistes de La Presse auraient peut-être eu de la difficulté à relever le défi. Avec la publication de Poing à la ligne, un recueil des récentes chroniques de Lester publiées principalement sur Yahoo! Québec, ce sera pour eux un jeu d'enfant. Dans cet ouvrage, en effet, le journaliste d'enquête laisse la neutralité au vestiaire et assène ses opinions sans retenue.
Lester aime les coups d'éclat et le style coup-de-poing. Dans ses habits de chroniqueur, il ne perd pas son instinct de chasseur de primeurs (il retrouve Pierre Bourque en Chine et nous apprend que le Canada «représente les intérêts israéliens au Venezuela et à Cuba»), mais il se permet surtout des coups de gueule qui ne laissent planer aucun doute sur son profil idéologique.
Souverainiste de droite, Lester ne croit plus au «beau risque» canadien. Le Canada anglais, selon lui, est traversé par un fort et irréversible courant antiquébécois. L'avenir des francophones québécois passe donc par la souveraineté et par des partis — le PQ et le Bloc — qui devront se situer au centre droit pour rallier «les éléments les plus dynamiques de notre société».
Un moraliste de droite
Antigauchiste primaire, Lester n'a de cesse de s'en prendre aux syndicats et aux fonctionnaires. Il qualifie même les manifestants contre le G20, à Toronto, de «mésadaptés socioaffectifs». Il n'aime pas plus, cela dit, le Parti libéral du Québec, «cette bande de magouilleurs opportunistes au service des Anglais et de leurs auxiliaires ethniques». Il voit d'un mauvais oeil, enfin, l'arrivée d'un parti nationaliste de centre droit qui mettrait en veilleuse la question nationale. Lester, au fond, souhaite un PQ «lucide» qui, dirigé par Pauline Marois, mènera le Québec à sa souveraineté.
Moraliste de droite, le chroniqueur critique «l'Occident cynique et décadent à l'hédonisme hypersexualisé», accable Roman Polanski «le violeur d'enfants», traite Frédéric Mitterrand de «vieille tantouze», souhaite relancer le débat sur l'avortement (le «meurtre d'un être humain»), affirme que «la force de l'Église est d'être fidèle à sa tradition» et en appelle à la disparition du cours Éthique et culture religieuse, dont «l'objectif est de détruire la culture identitaire chrétienne dominante du Québec». Lester tient toutefois à préciser que sa «pensée n'est pas d'inspiration chrétienne» et qu'elle n'a rien à voir avec «cette droite confuse, idiote» des républicains américains.
Le journaliste a du toupet et ne craint pas les sujets chauds et délicats. Il signe, dans ces pages, des critiques virulentes du Parti libéral du Canada, de ce qu'il appelle «la mafia mohawk», des politiques belliqueuses et, selon lui, hypocrites de l'État israélien, de l'incompétence crasse de la GRC et du SCRS et de la gestion politique du dossier des «faux» réfugiés tamouls. Il réserve aussi des attaques sévères aux Bush, Obama et Harper, qui ont tout raté en Irak et en Afghanistan, où ils n'auraient jamais dû mettre les pieds.
Normand Lester a du punch. Aussi, son ouvrage se lit d'une traite, malgré certaines affirmations bizarres, comme celle voulant que l'Afrique du Sud soit «le pays coqueluche des intellectuels québécois». Sa brutale «lucidité» droitiste donne souvent envie, cependant, de lui répliquer par un direct du gauche.
Lisée léger
Jean-François Lisée a l'habitude de jouer dans les ligues majeures du débat public québécois. Commentateur hyperactif, il multiplie les propositions originales visant à faire du Québec un État français de centre gauche efficace. Il ne se prive pas, non plus, de commenter la vie politique américaine ou internationale. Lisée, on l'aura compris, n'est pas un amuseur public.
L'austérité, pour autant, n'est pas son affaire. L'intellectuel est aussi un homme joyeux et un père de famille qui ne déteste pas s'amuser. «On me prend trop au sérieux. C'est la croix que je porte», avoue-t-il en introduction à Troisième millénaire. Bilan final, un recueil de ses récentes «chroniques impertinentes», d'abord publiées dans L'Actualité et sur le site français Rue89. «Il ne s'agit pas de prendre les choses à la légère, indique Lisée pour expliquer l'angle de ces chroniques, mais bien de relever la légèreté inhérente à beaucoup de choses.»
Si certains des sujets abordés dans cet ouvrage sont carrément légers (phénomènes paranormaux, culte des abdos masculins), d'autres ne le sont pas (féminisme, démocratie, droite religieuse, invasion du français par l'anglais), mais sont traités à partir d'un angle enjoué. Lisée, par exemple, se plaît à noter que, malgré les apparences, «il y a aujourd'hui moins de conflits sur la planète et davantage de liberté» et que le terrorisme ne sera probablement pas éternel parce que «la vie de terroriste est exécrable».
Lisée est sérieux, mais c'est, au fond, un optimiste. La conjonction de ces deux attitudes, chez un intellectuel, est trop rare pour qu'on se prive de la saluer.
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louisco@sympatico.ca
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Poing à la ligne
_ Normand Lester
_ Les Intouchables
_ Montréal, 2011, 310 pages
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Troisième millénaire
_ Bilan final
_ Jean-François Lisée
_ Stanké
_ Montréal, 2011, 224 pages


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