Parce que les libertés fondamentales ne sont pas objet de négoce

Mise en demeure

Sur la criminalisation de la dissidence au Québec

Tribune libre

Violence : voici le mot magique qu’il suffit aujourd’hui d’évoquer pour trouver une tribune, enfin, si elle est compatible avec l’idée grotesque que s’en est faite, hélas, une trop grande partie de la population. Il fut même bon ton le printemps dernier de rivaliser d’audace et d’esprit pour dénoncer un regroupement étudiant en lutte qui peina à la condamner publiquement. Ah! Comme elle eût été bien servie la justice s’ils avaient conservé un peu de leur morgue pour demander aux «forces de l’ordre» de faire preuve de jugement.
D’ailleurs, parlons un peu de l’attitude de ces derniers. Mais qu’est-ce qui distingue la police des gangs criminels, je vous le demande? Les deux n’emploient-ils pas la violence et, de fait, ne commettent-ils pas des actes proscrits par la loi pour arriver à leurs fins? Ne protègent-ils pas tous deux les leurs? Oui mais, m’objectera-t-on, la police sert et protège toute la population. Combien de fois ne les ai-je pas entendus piaffer d’impatience, la main sur la gâchette, devant tous les «crottés» et les «osties de carrés rouges»? La consigne aurait-elle été égarée?
Heureusement, nous avions un saint à l’Hôtel de Ville pour veiller sur nous. Les lois divines étant supérieures aux lois positives, c’est bien connu, il réussit l’incroyable exploit de la transsubstantiation : il transforma le droit criminel en règlement municipal! Maintenant qu’il nous a quittés pour la campagne où il soigne ses stigmates, on s’attendrait à ce que l’opposition devenue majoritaire ou non minoritaire ou Dieu sait quoi, la même opposition qui s’était unanimement opposée au règlement P-6, décide de laisser de côté les prodiges. Mais non! Silence radio depuis. Peut-être à Pâques…
N’oublions pas nos (trop) bons députés péquistes qui ont sacrifié leur été à chanter et à danser avec leurs chaudrons. On dit d’ailleurs qu’ils auraient ainsi négligé la récolte des bulletins le temps des moissons venu. Depuis, ils dansent frénétiquement (un pas en avant, un pas en arrière) si bien qu’ils en oublient leurs promesses. Oh! Il y aura bien un organisme qui enquêtera sur les policiers… si ces derniers emploient une arme à feu. Reste plus qu’à prier d’être éclopé par une balle de plastique et non par une grenade assourdissante, une matraque, j’en passe et des meilleures. Quant à la Commission d’enquête publique sur la répression policière (3400 arrestations et ça continue), peut-être faudrait-il la leur rappeler en chanson?
Quant aux fédéraux (ils ne pouvaient tout de même pas être surpassés dans leur délire autoritaire par un peuple de «gratteux de guitare» tout de même), ils ont fait du beau travail. Avec le projet de loi C-309, ils transforment en acte criminel (jusqu’à cinq ans d’emprisonnement) le fait de porter un masque dans une manifestation. Peut-être veulent-ils ainsi faire travailler les poumons des manifestants gazés? À moins que ce soit un incitatif pour qu’ils se cachent derrière le voile corporatif?
Trêves de sarcasmes : l’heure est grave. En ce moment même, le Québec tout entier est entré dans un cycle de répression de la contestation qui, s’il n’est pas freiné, aboutira à terme à la criminalisation pure et simple de la dissidence populaire. Ainsi, au rythme où évoluent les choses, tout porte à croire que les arrestations aveugles, dont celles des 15 et 16 mars derniers sont les dernières en lisse, ne sont qu’un avant-gout. Par conséquent :
Je somme les corps de police québécois de revoir immédiatement et intégralement leurs rapports avec les groupes de pression politiques sous peine de se transformer en vulgaire mafia;
Je somme le maire de Montréal et les partis dits «d’opposition» d’abroger l’inique règlement P-6 sous peine de souscrire ouvertement à la violation systématique des libertés des Montréalais et des Montréalaises;
Je somme le ministre de la Sécurité publique de faire pression sur son gouvernement afin qu’il déclenche dans les plus brefs délais une commission d’enquête publique sur les abus policiers sous peine de ridiculiser sa fonction et d’en faire un ministère de la police;
Je somme le ministre de la Justice de s’engager à faire abroger l’article 500.1 du Code de la sécurité routière, d’assurer les ressources nécessaires au Tribunal des droits et libertés de la personne afin de permettre le traitement de toutes les plaintes concernant les abus policiers avec la plus grande célérité et d’accorder une amnistie à toutes les personnes arrêtées en vertu des règlements susmentionnés sous peine de déni de justice élémentaire;
Je somme les fédéraux de rien du tout. Je suis peut-être sot, mais tout de même pas au point d’espérer encore quelque chose d’Ottawa;
Enfin, je somme toute la population québécoise, à fortiori les principaux groupes médiatiques, de retrouver son bon sens et de dénoncer chaque atteinte aux droits fondamentaux de la personne commise par les forces policières dans l’exercice de leurs fonctions sous peine de se transformer en complices.
Les libertés fondamentales ne sont pas négociables.
Ça suffit.
Alexandre Cloutier, un citoyen soucieux
Montréal


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6 commentaires

  • Alexandre Cloutier Répondre

    25 mars 2013

    @ Gilles Jean
    Je suis personnellement très critique de certaines positions de l'ASSÉ, notamment sur le dogme très ancré à gauche de la diversité des tactiques.
    Cela dit, je vois mal en quoi le fait de défendre une opinion controversée justifie la répression violente de ses tenants. Mais bon, je constante qu'on converge presque sur le fond, alors voici deux petites mises au point quant à la forme.
    Tout d'abord, l'ASSÉ n'est pas derrière les manifestations des 15 et 16 mars derniers. Vous pouvez aller vérifier vous-même sur le site (comme je l'ai fait). Je vous garantis que vous ne serez pas attaqué par des "black blocks". En fait, avec les miracles de la technologie moderne, il est plutôt aisé pour n'importe qui avec une bonne liste de contact de lancer une invitation à manifester. De plus, les manifestations les plus pépères du printemps dernier (les grosses manifs des 22) étaient précisément organisées par la CLASSE.
    Ensuite, pour parler d'escalade, encore faudrait-il s'inscrire dans une dynamique dialectique, c'est-à-dire un processus graduel qui mène à des actes de plus en plus violents des deux côtés. Or, j'ai écouté au complet le vidéo de la manif du 16 et, à moins de considérer le fait de marcher sur le gazon comme étant quelque chose d'absolument inique, j'ai l'impression que c'était plutôt le seul fait des policiers.
    Alors, je répète qu'en tant que militant, on peut tout à fait remettre en question la pertinence de ces manifs, cela va de soi. Toutefois, en tant que citoyen, j'ai l'impression de faire mon devoir en condamnant ce que je considère comme étant la criminalisation de la dissidence politique.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 mars 2013

    @M. Alexandre Cloutier
    L'ASSÉ en refusant de déposer son plan de manif est très loin de s'attirer la sympathie du public.
    Et le but d'une manif consiste, oui, à démontrer une position quelconque....mais comment le faire sans avoir la sympathie de la population?
    Je suis inquiet devant l'escalade....!

  • Alexandre Cloutier Répondre

    24 mars 2013

    Je n'ai pas la chance d'avoir accumulé une expérience de vie à ce point importante qu'elle me permettre de juger aussi péremptoirement du passé, du présent et du futur comme vous le faites (je vous envie d'ailleurs), mais j'ai tout de même humblement pu colliger certaines expériences qui me donnent un tout autre éclairage de la situation. À vous de juger :
    1. Le principe fondamental du droit tel qu'établi par Kant (Toute action est juste qui peut faire coexister la liberté de l'arbitre de chacun avec la liberté de tout autre selon une loi universelle, ou dont la maxime permet cette coexistence) qu'on traduit en langage courant par "la liberté de l'un se termine là où commence celle de l'autre" est incontournable. Toutefois, le droit a bien évolué depuis Kant, entre autres à cause des rapports économiques.
    2. Quand bien même on se fermerait les yeux sur leur existence, je vois mal en quoi les abus policiers sont justifiables. De mémoire d'homme (peut-être était-ce chose courante dans les années 60-70, vous pourrez peut-être m'éclairer là-dessus), je n'ai pas souvenir d'une personne insultée, molestée et menottée après s'être stationnée dans les rues de Montréal sans vignette. Pourtant, il s'agit d'une infraction à un règlement municipal qui constitue une nuisance à la liberté de circulation. Enfin, si ce n'est plus le cas, j'imagine qu'à l'époque les gens ont convenu que les forces de polices usaient alors une force excessive...
    3. Quant à la démocratie directe, vous me corrigerez si je me trompe, mais c'est sous cette forme qu'elle se pratiquait du de Clisthène et de Périclès et il me semble que ça remonte un peu plus loin dans le temps que les années 60-70. Vous répondrez que ça n'a rien à voir et je suis parfaitement d'accord avec vous. C'est précisément ce que je pensais de votre remarque à ce sujet.

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mars 2013

    @M. Gabriel Proulx
    Je n'ai point besoin des médias pour savoir que la démocratie ce n'est pas l'anarchie, que mes droits sont limités par les droits des autres...! Que "la démocratie directe", soit le gouvernement par la rue, est un concept dépassé....Cela était dans le décor dans les années 1965-1972.

  • Gabriel Proulx Répondre

    24 mars 2013

    Merci pour votre texte, M. Cloutier.
    Un citoyen inquiet de la naïveté abyssale des moutons formatés par nos grands médias-menteurs privés en faveur d'un État policier.
    Gabriel Proulx

  • Archives de Vigile Répondre

    23 mars 2013

    Un citoyen inquiet devant l'engrenage de la désobéissance civile.