Pour un vrai plan de réduction de la dette

2006 textes seuls

Réduire vraiment la dette pour le Québec du déclin démographique, pour le maintien du service public et pour la souveraineté : une proposition plus audacieuse et plus équitable

L'auteur est directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal ([cerium.ca->www.cerium.ca]). Il s'exprime ici à titre personnel.


La question de la réduction de la dette québécoise est maintenant au centre du débat public. Il faut s'en féliciter. Non parce que le Québec actuel se porte, globalement, mal. L'inverse est plutôt vrai, comme le reconnaissent d'ailleurs les signataires du Manifeste pour un Québec lucide dans leur introduction. La réduction de la dette est essentielle car il faut mieux préparer le Québec pour les défis qui se présentent à lui.
Je suis favorable à une véritable et équitable réduction de la dette pour trois raisons. D'abord parce que le Québec fait face à un déclin démographique imminent qui, même lorsqu'on n'en exagère pas les effets comme c'est malheureusement courant, ne peut que dégrader notre capacité à maintenir et encore plus à étendre notre filet social. Ensuite, parce que ceux qui proposent un démantèlement de l'État et se font les apôtres des privatisations et PPPs généralisées s'appuient sur la nécessité de faire assumer par le privé, plutôt que par l'État, l'endettement nécessité par les immobilisations. Un État moins endetté n'a pas à céder aux PPPs ses grands travaux, pour déporter l'endettement supplémentaire sur ses partenaires et éroder ainsi la force et la cohésion de son service public. Troisièmement, parce que je suis indépendantiste. Ce n'est pas l'endettement du Québec/province qui le rend vulnérable. C'est en héritant de sa part de la dette canadienne que le Québec deviendrait financièrement un des cancres de l'OCDE. Après un Oui, le Québec doit s'engager sur les eaux internationales en ayant solidifié sa coque financière, ou en ayant démontré une ferme volonté de le faire. Mieux nous serons engagés dans une réduction planifiée et déterminée de la dette, mieux nous pourrons réussir la transition économique vers la souveraineté.
Le Fonds des générations proposé par le ministre des Finances, Michel Audet, est intéressant dans sa forme. Il reprend d'ailleurs une idée venue de la gauche. Elle fut avancée lors du sommet économique de 1996 par le Fonds de solidarité de la FTQ, reprenant lui-même une proposition de l'ancien président de la CSN, M. Norbert Rodrigue. Si le gouvernement Bouchard avait, à l'époque, accédé à la proposition syndicale, nous disposerions aujourd'hui dans le fonds d'une somme de 3,4 milliards, à mi-chemin du plan de 20 ans de cumul, et la projection moyenne indique qu'une somme de 13 milliards serait accumulée à terme. (Le remboursement subit de 13 milliards sur la dette actuelle ferait baisser le rapport dette/PIB de 44 à 39%)
Or chacun voit que la proposition du ministre Audet est à la fois trop timide et fondée sur ce qui est perçu, à tort ou à raison, comme une entourloupe. Beaucoup de Québécois ont peine à comprendre comment une ponction de 500 millions par an peut-être opérée sur le budget d'Hydro-Québec sans que cela se traduise par une augmentation de tarif. Le PDG d'Hydro, M. Thierry Vandal, nous assure qu'il n'en est rien et que les profits globaux d'Hydro allaient se gonfler de cette somme, que l'État pourra alors utiliser. Il n'y a pas de raison d'en douter. Mais les consommateurs pourront en conclure que ce 500 millions aurait pu être utilisé pour réduire, ou freiner la hausse, des tarifs. Comme beaucoup de choses entreprises par le gouvernement actuel, ce n'est pas net. Or un effort collectif pour une cause aussi importante et difficile que la réduction de la dette doit être fondée sur la clarté, pas le doute. L'effort doit également être correctement réparti.
La proposition avancée par François Legault est à cet égard beaucoup plus intéressante. Je pense cependant qu'il faut aller encore plus loin. La réduction de la dette profite à tous les Québécois. Il est donc normal que tous y participent. J'estime qu'on devrait proposer d'alimenter ce Fonds des générations à partir de trois bassins :
1) Pour un tiers, des citoyens en général :
Le gouvernement Harper s'apprête à baisser de 1% maintenant, puis de 1% plus tard, le niveau de la TPS. En occupant ce champ fiscal et en augmentant de 1% la TVQ, le Québec récolterait 1,3 milliard (2,6 avec deux points de TVQ). Le Québec devrait investir ce nouveau champ fiscal, puis le partager lui-même en trois parts.
Il augmenterait de 1% la TVQ (puis d'un autre 1% au moment de la seconde baisse de TPS). Il mettrait près du tiers de la somme (400 millions par an au début, 800 ensuite, sans compter l'indexation) dans le Fonds des générations. Il réduirait du deuxième tiers (450, puis 900 millions) l'impôt des particuliers, car c'est la meilleure façon de réduire le fardeau fiscal et de contribuer à la maîtrise de coûts de production compétitifs. Québec corrigerait donc l'erreur économique (électoraliste) des conservateurs fédéraux en réduisant mieux le fardeau fiscal. Il investirait le troisième tiers (450 puis 900 millions) en éducation, de la maternelle aux post-doctorants. (Notons que la hausse de TVQ compensant la baisse de TPS ne nécessitera pas d'ajustement au remboursement de TPS-TVQ aux contribuables à faibles revenus.)
2) Pour un tiers, de l'entreprise :
La réduction de la dette, en réduisant la pression sur la disponibilité du capital, aura un léger effet bénéfique sur les taux d'intérêt, donc sur la capacité d'emprunt, donc sur les coûts de production des entreprises. Il est de toutes façons normal que les entreprises - nullement touchées par l'opération TVQ, mais dont les salariés profiteront d'une baisse d'impôts qui permettra une progression plus lente des salaires, donc un second effet bénéfique sur les coûts de production - participent à l'effort, elles qui le réclament avec force.
Dans la foulée des budgets Landry et Marois, le gouvernement actuel a introduit une série de réformes bienvenues de la fiscalité des entreprises, qui comporte en particulier une réduction de plus de moitié du taux de la taxe sur le capital. Au total, le solde de la réforme signifie une baisse de revenu prévisible pour l'État, et une baisse globale de fardeau fiscal pour les entreprises, de 400 millions de dollars par an.
Cette réduction, pour des entreprises qui profitent déjà d'un régime fiscal et de coûts de production extrêmement compétitifs (un constat encore réitéré par le dernier rapport comparatif international de KPMG), proposée sans contrepartie sociale, est difficilement défendable en des temps de disette budgétaire .
Il serait plus juste de proposer que cette réduction nette de fardeau fiscal pour les entreprises soit repoussée à un moment où la dette québécoise aura atteint la fin du calendrier d'accumulation du Fonds. Ce 400 millions, indexé, serait donc la contribution patronale au Fonds.
Le redéploiement du fardeau fiscal des entreprises entre baisse de la taxe sur le capital et autres mesures - pour obtenir un effet fiscal net nul - devrait être négocié avec les associations patronales. On pourrait d'ailleurs prévoir que, la croissance aidant, les revenus supplémentaires de fiscalité d'entreprise au-delà de cet effet nul seront réintroduits en réduction de la pression fiscale ou autre forme d'aide à l'entreprise.
3) Pour un tiers, de l'État et des syndicats du secteur public
Le chef du gouvernement devrait s'engager à dégager une troisième somme de 400 millions de dollars, donc d'environ 1% du budget du Québec, pour la verser également au Fonds. Comme les deux autres, la somme sera indexée. L'État et les syndicats du secteur public devraient négocier un plan d'augmentation de la productivité et de la réduction des coûts pour dégager ce 1%, dans le respect des conditions salariales et de travail des employés de l'État. Dans un deuxième temps, cette opération sera facilitée par le rapatriement des fonctions gouvernementales fédérales lors du passage à la souveraineté.
4) Un « quatrième tiers » (difficilement quantifiable) proviendrait d'un effort accru de lutte contre le travail au noir et l'évasion fiscale. Lier le paiement de ces sommes à la réduction de la dette est doublement efficace : symboliquement, et pour lever les dernières inhibitions dans la lutte contre les fraudeurs. Pour les fins de notre calcul, j'établirai à 100 millions le revenu supplémentaire provenant de cette source pour l'an un et l'indexerai par la suite.
Cela signifie donc un dépôt annuel de 1,3 milliard par an dans le Fonds des générations. Une évaluation fondée sur une prédiction de rendement de la CDP conservatrice à 9,4 % (rendement moyen des dix dernières années de la CDP, utilisé par le budget Audet), un taux d'inflation de 3% et l'introduction, à l'année 5, de la seconde tranche d'augmentation de TVQ conséquente à la baisse de la TPS, permet de prévoir un dépôt net à la dette du Québec, en 2027, de 113 milliards de dollars (sur une dette qui serait alors de 187 milliards).
Si on applique à la dette québécoise et à son PIB les prévisions à long terme émises en 2002 par le Conference Board (et qu'on les prolonge de sept ans, suivant la tendance indiquée) (1), on constate que le remboursement, après 20 ans donc en 2027, d'une part de la dette avec le Fonds réduirait le ratio dette/PIB du Québec de 34% sans le Fonds à 13% avec le Fonds. Sans pouvoir présumer de l'évolution à long terme des ratios dette/PIB des autres provinces et autres nations de l'OCDE, les mesures actuelles montrent qu'au niveau de 13%, le ratio québécois serait le troisième plus faible au Canada (la moyenne est de 25%) et le deuxième plus faible des pays de l'OCDE (où la moyenne est de 47,3%) (2).
Mais il faut introduire la part québécoise de la dette canadienne, à hauteur de 18,2% selon les calculs des Finances du Québec souverain (reprenant ceux de la Commission Bélanger-Campeau). Contrairement à ce qu'on peut penser, le remboursement rapide de la dette canadienne ne modifie pas significativement l'impact à long terme, selon que l'on hérite de cette part en 2007-08 ou en 2008-09 ou en 2009-10 (3) . Dans les trois cas, le rapport dette PIB d'un Québec souverain passerait de 50 à 50,4 % sans le Fonds à 29,1 à 29,5 % avec le Fonds. À 29,5%, le rapport dette/PIB d'un Québec souverain en ferait, aux niveaux actuels, le 10e pays le moins endetté de l'OCDE, (sur 30) la moyenne étant de 47,3%. Cela en ferait également un pays moins endetté que n'importe lequel des pays du G7 (sauf sans doute le Canada à ce moment-là), dont le niveau moyen du rapport dette/PIB est en ce moment de 62,6%.
Comme le note le budget Audet, la constitution d'un Fonds a un effet bénéfique bien avant son échéance. La cote de crédit du Québec s'en trouverait améliorée, ce qui diminuerait les coûts de financement de la dette (et des autres dettes publiques québécoises : Hydro, villes, commissions scolaires) dans l'intervalle.
Et les tarifs d'Hydro ?
Des propositions d'utilisation de la rente d'Hydro Québec circulent par ailleurs pour financer un Fonds de ce type. Il existe là, en effet, un gisement de richesse. Je crois que cette richesse serait beaucoup mieux utilisée si les Québécois payaient en effet leur électricité au prix du marché, en échange d'une réduction simultanée de leur fardeau fiscal et de hausses simultanées des prestations pour les plus démunis. Mais cette opération devrait à mon avis être menée d'un coup et se solder dans un premier temps par une opération blanche pour le consommateur et pour l'État. Évidemment, les économies d'énergies rapidement générées augmenteraient et le revenu disponible des citoyens et les profits d'Hydro, qui pourrait exporter l'énergie ainsi dégagée. Si on annonçait un an à l'avance que les tarifs vont grimper et que le fardeau fiscal va chuter significativement au, disons, premier avril 2008, ce la provoquerait un mini-boom de la rénovation, les consommateurs anticipant la hausse et voulant immédiatement réduire leur consommation. Le PIB y gagnerait cette année-là. En prime, la compétitivité fiscale du Québec en serait grandement améliorée.
Mais je ne crois pas que cette opération doive être liée au remboursement de la dette, notamment parce qu'elle fait reposer sur les seuls consommateurs un effort qui doit être mieux réparti, comme je le propose plus haut, entre les citoyens par la hausse de la TVQ, les entreprises par le renoncement à une baisse de fardeau fiscal de 400 millions, par l'État et les syndicats du secteur public devant trouver 1% du budget de l'État, et finalement par les fraudeurs qui doivent payer leur part.
Chacun paie, chacun gagne, la maison fiscale du Québec est remise en ordre pour la prochaine génération et pour le plus grand de ses défis : la souveraineté.
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NOTES:
1 Selon les prévisions d'augmentation de la dette québécoise et du PIB faites jusqu'en 2020 par le Conference Board of Canada dans son document Projection des équilibres financiers des gouvernements du Canada et du Québec publié en février 2002 à la demande de la Commission sur le déséquilibre fiscal du Québec. Les chiffres ont été projetés jusqu'en 2007 par l'auteur de cette note. Une nouvelle projection serait indiquée. (voir www.desequilibrefiscal.gouv.qc.ca)
2 Voir les données de 2003 sur le site de l'OCDE
3 Pour l'estimation de l'évolution de la dette canadienne, on a utilisé les projections produites par le Conference Board en 2004 pour le Conseil de la fédération. Ces projections cessent en 2015, j'ai prolongé mécaniquement la tendance pour la suite. La dette canadienne étant déjà légèrement plus faible que ce qu'avait prévu le Board, le résultat devrait être légèrement plus favorable au Québec.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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