Harper et Duceppe

Par Michel Brûlé

2006 textes seuls

Éditorial - Journal MIR - Un nouveau sondage CROP-La Presse démontre que le Parti conservateur et le Bloc Québécois seraient à égalité dans les intentions de votes des Québécois. Les deux partis récolteraient un peu plus de 30 % des suffrages si une élection avait eu lieu cette semaine. Toute une dégringolade pour le Bloc si l'on considère que le parti souverainiste a récolté 42 % des voix lors du dernier scrutin. Faut-il voir dans ce sondage un complot de Gesca pour discréditer le Bloc ? Pas du tout. Quant à moi, ces résultats ne sont pas surprenants.
Le style Harper plaît à bon nombre de Québécois. Sa franchise, sa droiture et son ouverture sur le Québec impressionnent. Les libéraux fédéraux avaient l'habitude de jeter de la poudre aux yeux aux Québécois. À la tête de ce parti méprisant, il y a eu deux Québécois, Trudeau et Chrétien, et un pseudo-Québécois, Paul Martin, qui donnaient l'impression que les Québécois avaient du pouvoir à Ottawa alors que ces politiciens agissaient uniquement dans l'intérêt du Canada anglais. Le « French power » était un mythe que le Parti libéral entretenait. Comment pouvait-on affirmer sans pouffer de rire que les francophones avaient du pouvoir à Ottawa alors que tous les hauts fonctionnaires, c'est-à-dire les vrais décideurs étaient des anglophones ? Les méthodes des libéraux ont fait leur temps et les gens sont moins dupes. Si les libéraux fédéraux pensent qu'en élisant un Québécois à la tête de leur parti, ils vont reconquérir l'électorat québécois, ils se trompent.
Au Québec, je crois qu'il y a une polarisation du sentiment nationaliste. D'un côté, les nationalistes convaincus qui représentent au moins 40 % de la population, soit un Québécois francophone sur deux. De l'autre, les nationalistes mous qui sont de plus en plus nombreux. Les fédéralistes convaincus, eux, sont de plus en plus rares. On le voit avec la dégringolade des libéraux fédéraux, mais aussi avec la cote de popularité de John James Charest. Avant de lui reprocher d'être un mauvais premier ministre, les gens lui reprochent de ne pas être du tout nationaliste.
Depuis le dernier référendum, Richard Martineau et d'autres journalistes fédéralistes n'ont cessé de parler de fatigue constitutionnelle. Les gens ne sont pas fatigués d'entendre parler de constitution, ils veulent d'abord et avant tout trouver une solution. Pour les souverainistes convaincus, la seule issue demeure la souveraineté. Pour les nationalistes mous, il existerait quelque chose entre les deux options. Et pourquoi pas ? Depuis l'avènement du Bloc, on a le choix entre tout ou rien. En attendant de faire la souveraineté, les Montréalais francophones sont en train de perdre la bataille linguistique. Doit-on attendre l'irréparable avant d'agir ?
Harper aime être le premier ministre du Canada, mais son gouvernement est minoritaire et ça crève les yeux qu'il cherche à tout prix à faire élire un gouvernement majoritaire. Pourquoi Duceppe ne tenterait-il pas le beau risque avec Harper ? Ça vaut la peine d'essayer. En 1981, Lévesque a négocié avec Trudeau, le roi des centralisateurs, qui ne voulait rien donner aux provinces et encore moins au Québec. Mais avec Harper, la donne n'est pas la même. Primo, il est dans une position de faiblesse. Secundo, il est plus ouvert.
Que Duceppe tende la main à Harper et qu'il se tienne debout dans ses revendications. Que Duceppe demande le plein contrôle de l'immigration qui ferait entre autres qu'un citoyen originaire d'un pays de la francophonie aurait la priorité sur un citoyen originaire d'un pays du Commonwealth. Que Duceppe demande le plein contrôle des ponts, des ports, des aéroports et de nos frontières avec les États-Unis. Que Duceppe demande que le Québec ait son siège à l'ONU. Que Duceppe demande que les Québécois qui veulent avoir un passeport québécois puissent l'obtenir. Que Duceppe demande le plein contrôle de la culture et du sport qui ferait que l'on aurait notre propre équipe aux Jeux olympiques comme c'est le cas pour l'Écosse qui fait pourtant partie du Royaume-Uni.
Et si Harper refuse. Eh bien, tant pis ! Les nationalistes mous sauront alors sur quel pied danser et la cote du Bloc montera. Quant à moi, j'aimerais bien que Harper accepte ces conditions. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Et de toute façon, ces gains ne mettraient pas fin pour toujours au projet souverainiste. Meech et Charlottetown donnaient beaucoup moins au Québec, mais le Canada anglais a dit oui. Avec Harper, peut-être que les choses pourraient se dérouler autrement. En cas d'échec, l'exercice aura servi à montrer encore une fois aux nationalistes mous l'inflexibilité du Canada anglais.


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