Pourquoi les « Gilets jaunes » chantent-ils la Marseillaise ?

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La voix du peuple quand la patrie est en danger

Selon Barbara Lefebvre, l’hymne national est souvent repris par les Gilets jaunes. D’après elle, les manifestants expriment par ce chant la voix de la « patrie en danger ».


Bien peu de commentateurs ou « experts en sémantique des mouvements sociaux » ont pris la peine de souligner l’omniprésence de La Marseillaise dans les rassemblements des « gilets jaunes ». Samedi encore, partout en France, scandée à plein poumons devant les forces de l’ordre, non par provocation mais comme un appel à la fraternisation, elle est apparue davantage patriotique que simplement républicaine. Ceci expliquerait-il le silence des commentateurs alors même que l’espace sonore de ces manifestations est assez faible en slogans communs ? Seule la Marseillaise paraît être le « slogan » unitaire de ce mouvement quand il manifeste comme un seul homme.



À cet égard, il ne peut y avoir de confusion entre les « gilets jaunes » et les agitateurs professionnels : elle ne sortira jamais de la bouche d’un Black-block, d’un soutien de Dieudonné ou d’un pillard de banlieue semant le désordre dans les cortèges. Ce chant que même l’Internationale, chant ô combien populaire tout au long de la première moitié du 20e siècle, ne parvint jamais à détrôner dans le cœur des classes populaires, le chant de guerre de la Révolution. Elle en aura connu bien des éclipses tout au long de son histoire. À la toute fin des années 1970, elle fut ainsi abandonnée par les « partis républicains » postmodernes à l’extrême droite. Puis, comme toujours, elle nous est revenue. Timidement d’abord au milieu des années 2000 suite aux outrages qu’elle avait subies dans divers stades de football, plus fièrement après les attentats de janvier 2015.



Seule la Marseillaise paraît être 

le « slogan » unitaire de ce mouvement

quand il manifeste comme un seul homme.


La Marseillaise des « gilets jaunes » chantée des dizaines de fois d’affilée dans les cortèges est ce qu’elle a été dès ses origines : la voix du peuple quand la patrie est en danger. L’envahisseur n’est ni prussien, ni autrichien. Dans l’esprit des manifestants, les tyrans coalisés contre la Nation ne sont plus les monarques européens, mais les commissaires européens de Bruxelles à qui nos dirigeants ont cédé notre souveraineté politique, économique, budgétaire, culturelle. Ils ne sont pas élus. Ils n’ont aucune autre légitimité démocratique autre que celle qu’ils se sont arrogée, à coups de traités et de normes depuis plus de trente ans. L’Union Européenne ne concède plus qu’un seul levier à nos gouvernants pour orienter une politique qui reste dans les clous du pacte budgétaire imposé par Bruxelles : la taxe. Baisser ou augmenter les impôts semble être devenu la seule politique d’ajustement de nos dirigeants.



Voici près d’un mois qu’une part significative du peuple français s’exprime pour crier sa révolte devant l’accumulation des injustices produites par des politiques qui n’ont cessé d’asservir l’humain à la règle économique, en plus de lui dénier le droit d’être souverain en sa nation. Une majorité de Français soutient la colère des « gilets jaunes », tout en déplorant les dommages collatéraux dus aux fauteurs de trouble habituels qui n’ont aucun modèle de société juste à substituer à la destruction de la société de consommation. Les extrêmes n’ont aucune réponse aux deux maux qui minent notre société et ont créé l’anxiété grandissante qui explose aujourd’hui en colère : la déculturation et la dépolitisation de masse. Ces deux états ont notamment été rendus possibles par les réformes abrutissantes du système éducatif en cours depuis trente ans. On entend pourtant trop peu les « gilets jaunes » évoquer le rôle dans la situation qu’ils déplorent, de l’Union européenne, de la financiarisation de l’économie, de la mise en concurrence sans entrave mondialisée. Ils ont fixé leur colère sur la personne du président Macron.



Baisser ou augmenter les impôts semble être devenu

la seule politique d’ajustement de nos dirigeants.


Qu’incarne-t-il donc pour mobiliser une telle détestation ? Il incarne ce qu’il n’a cessé de revendiquer avec fierté : l’homme de la mondialisation, des villes-monde supranationales, l’habitant d’un espace qui pourrait s’expatrier sans ressentir le moindre déracinement (on se rappellera du « la culture française n’existe pas »), le président qui veut faire de la France une « start-up nation » sans s’embarrasser « des gens qui ne sont rien », qui fait des selfies avec un délinquant nous adressant un doigt d’honneur après avoir fustigé un jeune horticulteur même pas fichu de « traverser la rue pour trouver du boulot », etc.



Emmanuel Macron est devenu l’objet de la détestation parce qu’à la différence de ses prédécesseurs, il n’a pas essayé de paraître ce qu’il n’est pas.



« L’ancien monde » ce n’est pas une autre politique que celle que fait M. Macron, c’était simplement une autre façon de communiquer, d’embobiner le citoyen-électeur de base. C’est aussi ce qui explique la détestation générale à l’égard de la classe politique. Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron avaient, au moins, l’habileté de donner quelques gages pour paraître proches du peuple, sensibles à ses aspirations. Emmanuel Macron n’a pas voulu jouer cette comédie du pouvoir post-démocratique. Il n’a pas voulu jouer maladroitement de l’accordéon comme le vieil aristocrate de Chamalières, ni se prétendre socialiste tout en favorisant la gauche bobo et les années-fric, ni taper le cul des vaches en Corrèze tout en actant la cession de la souveraineté nationale à Bruxelles, ni balancer des « casse-toi pauvre con » ou promettre de se débarrasser de la racaille tout en détruisant la fonction publique, ce dernier lien entre le peuple et l’État, ni annoncer « mon ennemi c’est la finance » pour prendre un virage libéral en faisant des cadeaux fiscaux aux grands patrons.



La vérité est que la communication politique de « l’ancien monde » servait à faire tenir le système aussi affaibli fut-il.