FIGAROVOX/TRIBUNE - Lors de sa conférence de presse du 25 avril, Emmanuel Macron a prononcé la formule de «patriotisme inclusif». Pour Barbara Lefebvre, le terme «inclusif», emprunté de la forme anglo-saxonne «inclusive», a une lourde portée idéologique.
Barbara Lefebvre est essayiste et enseignante. Elle vient de publier C’est ça la France…(Albin Michel, 2019).
Quand le communicant ne sait plus définir un mot, quand le politique ne veut plus incarner ou transmettre un principe, quand un groupuscule idéologique veut détourner une valeur de son sens, on lui ajoute un adjectif. Une épithète, si possible, pour mieux faire perdre de sa substance au mot qu’on entend récuser tout en prétendant l’enrichir par cet adjectif. Et voici donc la dernière trouvaille du logos progressiste et son révisionnisme néolibéral du vocabulaire imposé pour notre bien: le «patriotisme inclusif».
Emmanuel Macron a donc clos son allocution, jeudi soir, par un appel à «rebâtir un patriotisme inclusif» pour servir «l’intérêt général français et européen». C’est vrai qu’en ces temps où nous voyons le résultat effarant de près de quarante ans de minutieuse destruction de tout ce qui fondait le socle patriotique, de nos paysages à notre langue en passant par l’éducation et nos chefs-d’œuvre culturel, il nous faut des re-bâtisseurs! Doit-on s’offusquer qu’ils soient «en même temps» les démolisseurs idéologiques - ou leurs héritiers à tout le moins - de ce qu’ils font mine de célébrer et vouloir «rebâtir» après l’avoir mis en miettes?
» LIRE AUSSI -
Le patriotisme, nous savons le tenir dans un cadre d’explicitation à peu près consensuel: c’est cet attachement affectif puissant de l’individu envers sa patrie, qui est d’abord un territoire géographique et historique, riche d’un legs multiséculaire dont l’individu est l’héritier et le continuateur. C’est ce sentiment d’appartenance à une communauté politique et historique plus grande que lui, pour laquelle il est prêt à se dévouer, s’engager sous différentes formes, non pas seulement comme individu mais comme citoyen, plaçant l’intérêt supérieur de la patrie au-dessus de ses intérêts particuliers. Apparemment pour Emmanuel Macron, le patriotisme ne suffit plus, ne répond pas aux «enjeux de notre époque» (à l’instar de la flèche de Notre-Dame si l’on en croit le Premier ministre). Il est urgent de lui adjoindre l’adjectif préféré des bien-pensants et bien-communicants: inclusif. Pourquoi Emmanuel Macron juge-t-il nécessaire de parler de «patriotisme inclusif»?
Le «patriotisme inclusif» arrive notamment après les polémiques sur «l’écriture inclusive». Cette écriture (mais aussi cette oralité celles et ceux, toutes et tous, autrice, etc.), consistant à rendre illisible notre langue au nom de la parité et de la lutte contre la phallocratie incarnée par la règle de grammaire voulant que le neutre masculin l’emporte sur le féminin. Exemple tiré d’un site faisant la promotion de la grammaire inclusive: «L’éducateurice de mon enfant dit qu’iel a des talents de créateurice». Le iel étant le pronom personnel inclusif, c’est-à-dire qu’il représente tous les genres, masculin, féminin et autre puisqu’il existerait des genres «indéterminés» réclamant reconnaissance de «leurs droits». Si le point médian perturbe la lecture, insupporte tant d’entre nous pour ce qu’il représente en termes d’idéologie, au moins laisse-t-il encore la possibilité de comprendre le sens d’une phrase, mais avec le all inclusive de la grammaire inclusive on ne comprendra bientôt plus notre propre langue. Le mieux est toujours l’ennemi du bien…
Le patriotisme inclusif a surgi des profondeurs pour soutenir la «société inclusive». Il n’est qu’à lire le terrifiant rapport du conseiller d’Etat Tuot, commandé au début de son mandat par François Hollande et rendu au cours de l’année 2013, pour prendre conscience de l’ampleur du projet de destruction de la civilisation française que cette expression recèle sous son apparence anodine. Thierry Tuot avait eu l’audace sinon l’indécence d’intituler son rapport «la grande Nation: pour une société inclusive», annonçant ainsi que la grandeur du destin français résidait dans sa dissolution dans le grand bain multiculturaliste et communautariste. La tyrannie des minorités et le règne des «communautés de souffrance» sont apparemment notre horizon de «grande Nation»…
Ce terme mis désormais à toutes les sauces par nos Modernes vient de la forme anglo-saxonne inclusive, dont l’antonyme est exclusive, tandis qu’en français l’adjectif «inclusif» ne connaît pas de contraire. Ainsi une société dite inclusive ou une école inclusive n’ont pas pour contraire une société ou une école «exclusive». Il n’en va pas de même des formes verbales (inclure-exclure) ou des noms (inclusion-exclusion) qui ne sont pas des mots nouveaux dans notre langue. La forme épithète est donc bien une greffe linguistique venue des représentations sociales anglo-saxonnes postmodernes. À ce titre, elle a une éminente portée idéologique et politique, elle aspire à modifier en profondeur notre société fondée sur des représentations politiques et historiques bien différentes. Pas étonnant que des résistances surgissent et que cette floraison «inclusive» agace de plus en plus de Français. Les accuser de faire montre de passéisme ou d’être animés par des «passions tristes» ne suffit plus.
Pour comprendre le «patriotisme inclusif» macronien, il faut savoir ce que la doxa entend par une «société inclusive». C’est une société qui doit s’adapter constamment pour accueillir les nouveaux venus en tenant compte de leurs revendications, notamment exprimées sur le mode de la visibilité publique. Ces «nouveaux venus» dont la société doit inclure les codes socioculturels, sont la nouvelle génération de citoyens (les «jeunes»), les immigrés, les minorités. Et si leurs codes heurtent ceux de la société d’accueil, c’est cette dernière qu’il faut rééduquer, réadapter, dénationaliser, décoloniser, dé-genrer etc. La société inclusive s’oppose donc clairement à une société qui promeut l’intégration (efforts et adaptations du nouveau venu, joints à la volonté d’accueil de la société majoritaire) et plus encore l’assimilation.
La perversité de cette mécanique bien-pensante est que la société inclusive relevait à l’origine d’une démarche non seulement légitime mais indispensable: l’intégration sociale, culturelle, professionnelle, éducative des personnes en situation de handicap. En effet, on consentira aisément que ce n’est pas à une personne sourde ou aveugle de s’adapter à la société qui l’entoure (au-delà des efforts que cette personne opère déjà pour gérer son handicap). Ce n’est pas à l’enfant autiste de s’adapter aux méthodes d’apprentissages scolaires. Ce n’est pas au paraplégique en fauteuil roulant de s’adapter à l’ergonomie des transports en commun. C’est à la société des valides et des neurotypiques de mettre en œuvre les adaptations nécessaires et garantir leur accessibilité, afin de ne pas exclure de la communauté nationale ces millions de citoyens.
Or la notion de société inclusive originellement destinée à corriger les inégalités de traitement des personnes handicapées a été rapidement captée et pervertie par les boutiquiers des minorités identitaires qui ont vu là l’occasion de déconstruire en profondeur les bases de la société pluraliste démocratique. En premier lieu, ce furent les lobbies LGBT, puis vinrent les lobbies immigrationnistes qui décrétèrent, au nom du «droit à la différence», que c’était à la société française de s’adapter culturellement et socialement pour satisfaire aux exigences de ces identités minoritaires (voire ultra-minoritaires). Tout cela se fit sur le ton de la victimisation dans les années 1990-2000, avant de devenir aujourd’hui celui de l’admonestation et de la menace. Il faudrait satisfaire à ces demandes dans le champ institutionnel (notamment éducatives et universitaires), dans le déploiement des politiques publiques comme privées (car l’activisme de ces lobbies est puissant aussi dans les entreprises privées). Toutes personnes osant contester le principe inclusif ainsi dévoyé, comme les méthodes de ses partisans reposant sur l’intimidation idéologique, se voient qualifier d’homophobe, de sexiste et/ou de raciste.
L’apposition de l’épithète inclusif n’est donc pas insignifiant, tout comme nombre de ceux qu’on accole de plus en plus à de grandes notions de philosophie politique ou de principes républicains. Ainsi Emmanuel Macron terminant sa longue allocution par cet appel à «rebâtir un patriotisme inclusif», avait aussi évoqué précédemment «un patriotisme ouvert». Voilà qui évoque immédiatement l’expression de «laïcité ouverte» utilisée par les promoteurs des «accommodements raisonnables» (nés aussi dans le monde du communautarisme anglo-saxon), qui veulent déconstruire la laïcité républicaine née des réformes de la IIIè République et de la loi de séparation de 1905. Il faut donc toujours prêter l’oreille aux formules des Modernes, du Nouveau monde.
Si l’on s’en tient donc à ce qui précède, que signifie le «patriotisme inclusif» d’Emmanuel Macron? Ce serait un sentiment d’appartenance à la patrie française à la carte, sur la base du volontariat ou du contrat révocable, où l’individu davantage que le citoyen, aurait le droit de discriminer ce qui lui convient ou non de prolonger dans le legs historique, culturel et politique dont il est l’héritier. Cela convient à l’hyper-individualisme de la société postmoderne et post-nationale où chaque génération se croit surgie de nulle part, auto-engendrée, sans filiation. «Nous n’appartenons qu’à nous-mêmes» disent les uns, sans lien de continuité avec ceux qui nous ont précédés et qui ont bâti ce dont nous profitons et que nous avons la liberté de détruire pour le rebâtir à notre gloire. «Nous n’appartenons qu’à notre race, religion, genre» disent les autres et «nous refusons de nous identifier à vous qui formez une communauté nationale», ceux-là refusent de s’intégrer à une société démocratique qui ne repose pas sur une identité close, englobante sinon totalitaire. Il ne peut donc plus y avoir de patriotisme. Mais comme une nation ne peut pas prétendre reposer sur des sables mouvants, on invente «le patriotisme inclusif»! Emmanuel Macron imagine sans doute satisfaire tout le monde, et semble toujours stupéfait de ne pas y parvenir.
Emmanuel Macron dira bien sûr rejeter «et les uns et les autres» de ces extrêmes, mais l’usage même de l’épithète «inclusif» accolé au noble mot de patriotisme démontre la malhonnêteté de la démarche du «et en même temps». Au-delà de la nation, du consensus civique et démocratique, ce qui a été perdu et dont tant de Français en colère sont orphelins, c’est le socle sans lequel rien ne tient: le patriotisme. Et il n’a pas besoin d’adjectif pour être retrouvé, réinsufflé. Si l’on n’aime pas la France inconditionnellement, ses paysages, sa littérature, ses monuments, ses héros historiques ou mythiques, si l’on ne fait pas aimer la France aux nouveaux venus, il n’y a aucune possibilité de former une volonté commune de constituer un peuple citoyen. Le patriotisme est un attachement qui se construit dès l’école, qui s’entretient, or l’autodénigrement français et la vindicte antifrançaise de certaines minorités tyranniques rendent difficile son nécessaire renforcement dans un monde plein de menaces.
Aimer la France inconditionnellement ne signifie ni s’aveugler sur les trahisons de l’histoire, ni sur les errements actuels, cela ne signifie pas non plus renier ses affiliations personnelles, car comme l’écrivait Marc Bloch «c’est un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse». Mais «l’art d’être Français» c’est probablement de concilier tout cela au nom d’une grandeur nationale passée qu’on veut faire renaître, c’est être capable de placer son identité de patriote au-dessus du reste quand le destin de la France vous y invite.