David contre Goliath ?

Poursuite-bâillon à Outremont?

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Les autorités municipales ferment les yeux

La Cour supérieure se penchera, à compter de ce matin, sur le litige qui oppose trois membres influents de la communauté hassidique de Montréal à un citoyen d’Outremont. Accusant Pierre Lacerte de les harceler et de tenir des propos diffamatoires à leur sujet, Michael Rosenberg, son fils Martin ainsi qu’Alex Werzberger poursuivent le citoyen pour une somme de 375 000 $.
Pour Pierre Lacerte, les procédures engagées par les trois hassidims ont toutes les allures d’une poursuite-bâillon destinée à le réduire au silence.
Lorsqu’en 2003, Pierre Lacerte a commencé à prendre des photos d’une voiture qu’il voyait souvent stationnée en double file devant sa résidence, il ignorait l’identité du propriétaire. C’est par hasard que, trois ans plus tard, il apprend que la voiture appartient à Michael Rosenberg, un membre bien en vue de la communauté hassidique d’Outremont et homme d’affaires prospère.
Pierre Lacerte, qui demeure en face d’une synagogue fréquentée par Michael Rosenberg, finit par monter un volumineux dossier sur les infractions aux règlements de stationnement, estimant que les autorités municipales ferment les yeux sur ces accrocs. De fil en aiguille, il s’intéresse à d’autres infractions présumées, dont des travaux effectués sans permis. Il crée même un blogue dans lequel il est régulièrement question de Michael Rosenberg et de certains autres membres de la communauté hassidique d’Outremont.
Excédés par ce qu’ils considèrent de l’acharnement à leur endroit, M. Rosenberg, président de l’entreprise Rosdev, son fils Martin et Alex Werzberger, qui dirige une coalition d’organismes hassidiques d’Outremont, ont entrepris une poursuite civile de 375 000 $ contre Pierre Lacerte à qui ils reprochent de tenter de les humilier, de propager des allégations fausses et diffamatoires à leur sujet et de porter atteinte à leur vie privée. Ils demandent également au tribunal d’obliger M. Lacerte à retirer de son blogue toutes les mentions à leur sujet.
Pierre Lacerte a répliqué en leur réclamant une somme de 725 000 $ alléguant que, contrairement à lui, les trois hommes disposent de moyens financiers considérables, qu’ils tentent de brimer son droit à la liberté d’expression et que les poursuites intentées contre lui l’ont empêché d’obtenir des emplois pour lesquels il était pressenti.
Pierre Lacerte se défend d’être antisémite ou de s’acharner sur les membres de la communauté hassidique. « C’est un enjeu public. J’ai dénoncé des choses qui se produisent dans la sphère publique, et c’est ça qui m’importe, dit-il. Je ne pensais pas que ça irait aussi loin que ça quand j’ai déposé le dossier au maire Harbour [en 2007]. Les choses se font graduellement jusqu’à ce que tu t’aperçoives que tu es dedans jusqu’aux oreilles. À ce moment-là, de deux choses l’une : ou bien tu t’écrases - et j’y ai pensé -, ou bien tu continues. »
Un « excessif »
Ce n’est pas la première fois que Michael Rosenberg tente d’inciter Pierre Lacerte à lâcher prise. Se sentant traqué et craignant pour sa sécurité et celle de sa famille, M. Rosenberg avait tenté d’obtenir une ordonnance du tribunal pour que M. Lacerte ne l’approche plus. En vain, car en mars 2011, la juge Manon Ouimet avait conclu que Pierre Lacerte ne représentait pas un danger pour la sécurité du promoteur immobilier bien qu’elle reconnaisse qu’il avait une « personnalité particulière » et que c’était « un excessif, un méticuleux, un passionné ».
« On peut bien dire que je suis maniaque parce que j’ai pris des photos, mais si je n’avais pas pris de photos, on ne m’aurait jamais cru », insiste M. Lacerte.
Selon lui, les Rosenberg ont tort de croire qu’il ne s’en prend qu’à eux. En fait, avait-il affirmé lors de son précédent procès, ils ne représentent que 10 % du contenu de son blogue alors que sa cible préférée est la mairesse de l’arrondissement d’Outremont, Marie Cinq-Mars.
La « cible préférée » en question connaît bien M. Lacerte, qui assiste régulièrement aux assemblées du conseil d’arrondissement. « On applique de façon uniforme la réglementation à tous les Outremontais », a-t-elle indiqué au Devoir en signalant qu’un des premiers gestes faits après son accession à la mairie d’Outremont, en 2007, fut de mandater le contentieux de la Ville pour que des procédures soient entreprises contre une synagogue illégale.
Être la vedette du blogue de M. Lacerte ne lui plaît visiblement pas, mais elle tente de ne pas trop s’en formaliser. « Je pense que ça fatigue davantage les gens autour de moi. Vous savez, on est un personnage public. Personnellement, je fais mon devoir et j’essaie de le faire du mieux possible. Je ne commenterai pas le blogue ni les critiques de M. Lacerte. »

David contre Goliath ?
Michael Rosenberg, lui, estime que les actes de M. Lacerte, tout comme les propos et photos qu’il publie sur son blogue, portent atteinte à son intégrité et à sa vie privée et à celles de son fils Martin et d’Alex Werzberger. L’entreprise qu’il dirige, Rosdev, est l’une des plus importantes sociétés immobilières au Québec. Elle possède plusieurs hôtels, dont le Holiday Inn de l’aéroport Trudeau, ainsi que des immeubles de bureaux et des centres commerciaux. Il n’a pas été possible de parler à l’avocat Julius Grey qui les représentera en cour.
Face au propriétaire de Rosdev, Pierre Lacerte dit disposer de moyens fort limités. S’agit-il d’un duel entre David et Goliath ? « J’aimerais que ce soit ça, mais c’est plutôt le lilliputien contre Godzilla. David avait gagné, mais je ne sais pas si le lilliputien va gagner », dit-il.
Un groupe de citoyens a toutefois décidé de lui donner un coup de pouce financier. Créé en 2008, le comité Citoyens pour l’équité réglementaire (CER) a lancé une campagne de financement pour aider M. Lacerte à payer les honoraires de ses avocats. L’organisme, qui a sollicité des dons auprès de citoyens d’Outremont et du Plateau Mont-Royal, dit avoir récolté quelques milliers de dollars. « Si jamais ce n’est pas suffisant, on va demander à nouveau l’appui des supporters pour faire en sorte que M. Lacerte puisse se rendre jusqu’au bout, explique Jean De Julio-Paquin, secrétaire-trésorier du CER. Il ne faut pas qu’il lâche prise parce que ce qui est en jeu, c’est l’exercice du droit à la liberté d’expression contre une poursuite-bâillon. C’est pour ça que des citoyens sont derrière lui. »


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