Quand ce sont des sondeurs qui s'indignent de la qualité des sondages...

9187150c0f9feda8e10c5ceaa21ad321

Les sondages faussent le jeu démocratique

« Que les sondeurs et les médias cessent de dire que l’élection est terminée avant même qu’elle ne commence! »


Voilà le titre du texte du journaliste et animateur canadien Steve Paikin. Un spécialiste de la politique qui œuvre dans le domaine depuis plus de trente ans.


Il a publié un texte coup de poing sur son blogue de TVOntario afin de dénoncer « les alliances malsaines entre certains sondeurs et quelques médias qui visent à déterminer de l’issue des élections avant même qu’elles ne se tiennent ». Il parle ici des sondages et des manchettes en Ontario qui tendent à donner le Conservateur Doug Ford gagnant avant même le début de la campagne.


C’est que l’Ontario est dans la même frénésie préélectorale que nous sauf que son carême sera moins long; on votera début juin chez nos voisins.


J’ai lu son texte en me disant que ça me fait penser à ceux qui écrivent, chez nous, à sept mois des élections, que le « ciment est pris ». Manière de dire que la chose est entendue.


Ah! François Legault mène dans les sondages depuis un bout. Fermer les livres, on s’en va à la maison!


Ce qui est savoureux du texte de Paikin c’est qu’il se sert de sa vaste expérience pour montrer à quel point les sondeurs ratent souvent la cible si l’on se fie aux « sondages » en période préélectorale.


Les élections provinciales en Ontario en 1985, 1990, 1995 où, chaque fois, celui qui a mené en période préélectorale a fini par l’échapper pendant la campagne. Le cas le plus surprenant? La victoire de Bob Rae que personne n’avait anticipé. Ou celle de Mike Harris, alors que le Parti libéral Ontario atteignait 50% dans les sondages!


Des sondeurs prennent part au débat


Le plus intéressant de tout ça, à mon humble avis, c’est la réaction de certains sondeurs au texte de Steve Paikin. Loin d’attaquer le journaliste pour sa critique de leur travail, certains lui ont donné raison.


C’est le cas, notamment, de Frank Graves, PDG de la firme de sondage canadienne EKOS. Un politicologue qui n’a pas la langue dans sa poche et que j’ai eu la chance d’interviewer longuement pour Radio-Canada en Outaouais lors de la dernière campagne électorale fédérale. Nous avions discuté de ce sujet en particulier.


Ainsi, je n’ai pas été surpris de sa réaction (et de celle de Darrell Bricker, PDG de la firme Ipsos qui allait dans le même sens) au texte de Paikin. Graves ne s’est pas retenu pour livrer le fond de sa pensée, via son fil Twitter :


« Si les médias étaient si obsédés par les sondages, ils pourraient commencer par envisager de payer pour les avoir. Ils avaient l'habitude de le faire avant. Les médias américains le font toujours. Et bien franchement, vous obtenez ce pour quoi vous payez. [...]


Nous avions l'habitude de faire des sondages pour un consortium composé de la CBC [R-C anglophone], de Radio Canada, du Toronto Star et de La Presse. Ils avaient accès à des experts de bonne foi qui supervisaient les enquêtes d’opinion et payaient pour tout ça un coût raisonnable. La qualité était excellente. Aujourd'hui, la plupart des sondages médias sont gratuits ou à cout symbolique. Conséquemment, la qualité de la méthodologie dans les médias s’est atrophiée, beaucoup. [...]


CBC ne sonde plus vraiment. Au lieu de cela, ils dérobent des sondages de différents médias, de qualité diverse, sans permission, afin de fournir leur agrégateur de sondages. La possibilité d'incliner des grappes d’électeurs stratégiques dans la mauvaise direction en raison de prévisions douteuses est une réelle préoccupation, en particulier dans une élection serrée. »


On notera cette intervention de l’agrégateur de sondage de L’Actualité (Qc125.com) qui a demandé la question suivante à Frank Graves : « question honnête, par curiosité, comme vos sondages sont publiés dans les médias et sur leurs sites Web, pourquoi les agrégateurs auraient besoin de vous demander permission si ces données sont accessibles? »


La réponse : « parce que nos sondages sont publiés ne veut pas dire que nous cédons nos droits de copyright. Les droits de propriété intellectuelle devraient être respectés ».


Le Québec n’est pas exempt de ce type de discussion qui conteste le rôle des sondages au sein de notre vie démocratique. C’est même là un débat capital.


La prolifération de sondages aux méthodologies parfois douteuses et à partir desquels certains analystes tirent des conclusions peu fiables, car le tout s’appuie sur du toc, voilà qui n’aide en rien le quidam à se faire une opinion bien sensée.


Je me méfie depuis toujours des analystes qui pondent des analyses convenues en ne se fiant qu’aux seuls sondages du jour et qui, la plupart du temps, ne diront jamais un mot de la méthodologie de ceux-ci. Un sondage pancanadien en politique fédérale par exemple, dont l’échantillon pour la seule région du Québec est statistiquement inconséquent, car il est trop limité, mais à partir duquel, pour la chronique du jour, on pérore pendant cinq bonnes minutes.


Et c’est bien là une partie du problème. Ces « analystes politiques » que l’on voit partout, sur toutes les tribunes, ils ont du temps à remplir. Et la publication d’un sondage, pour eux ou elles, c’est du bonbon! C’est du temps de chronique sur plateau d’argent.


Et hop! En voilà une de « caner »! Vite, vers la prochaine chronique! Mais ça, c’est un autre débat...