Il n’y a plus de gauche au Québec. La boussole idéologique est brisée. Et c’est problématique.
Le texte de Marie-France Bazzo sur la radicalisation de la gauche au Québec, sur l’usurpation de cette posture idéologique par une petite frange d’extrémistes, a beaucoup fait jaser. Extrait:
«À l’époque où je participais à “La commission Bazzo-Dumont”, à l’émission de radio de Paul Arcand, au tournant des années 2010, on m’a attribué le rôle de la fille de gauche, face à un Mario de droite. Vélo, écologie, économie, féminisme, valeurs sociales, rôle de l’État: mes commentaires se faisaient à l’intérieur de platebandes bien balisées.
«Aujourd’hui, je crois aux mêmes valeurs humanistes, je défends les mêmes thèmes. Toutefois, un glissement s’est opéré depuis une dizaine d’années, et particulièrement depuis cinq ans. Je suis maintenant perçue comme de centre droit, tellement le curseur s’est déplacé vers la gauche de la gauche, parfois jusqu’à son extrême. Comparativement aux wokes, ces “éveillés” qui clament leur indignation envers les injustices sur les réseaux sociaux, tous les autres sont des disciples de Dumont!»
Chez les progressistes, notamment. Ceux qui militent encore dans le parti de «gauche», mais beaucoup chez les nouveaux orphelins politiques, ces progressistes qui ne se reconnaissent tout simplement plus dans ce qu’est devenu Québec solidaire vers 2020.
De là le plaidoyer de Bazzo pour le retour à une gauche «libérale», une gauche «normale».
Sans mettre des mots dans la bouche de la chroniqueuse de L’Actualité, je dirai sans ambages que, pour ma part, il y a belle lurette que la gauche woke s’est déconnectée non seulement de la population en général – c’est l’évidence –, mais aussi de la majorité des progressistes que je connais.
Encore, Bazzo met avec pertinence le doigt sur ce qui cloche:
«Lorsque l’idée de la souveraineté s’est délitée, la gauche d’ici, comme celle de pas mal partout ailleurs en Occident, s’est cristallisée autour d’enjeux et de questions touchant des “clientèles”, de l’islamo-gauchisme au féminisme intersectionnel, de l’environnement et de la mobilité urbaine au multiculturalisme, etc.
«Notre gauche s’incarne politiquement dans Québec solidaire et Projet Montréal, et se radicalise à l’université, dans la société, au sein de groupes s’adressant à des clientèles de plus en plus pointues, par le biais de la police de la culture, des censeurs de l’histoire et de la cancel culture (culture de dénonciation), toutes des façons de tordre le sens des mots. Parallèlement à ce flirt avec les confins de la gauche, le Québec ordinaire est passé tranquillement, mais résolument du centre au centre droit en élisant la CAQ.»
Un angle est toutefois absent de la chronique de Bazzo, celui du nationalisme. Cette gauche des confins est, le plus souvent, allergique au nationalisme québécois. Et j’insiste: le nationalisme québécois. Elle s’accommodera des autres nationalismes, surtout du post-nationalisme de Justin Trudeau, lequel se conjugue bien avec l’idéologie woke et le multiculturalisme.
Au Québec, il subsiste une gauche nationaliste. Vus des confins de la gauche woke, progressisme et nationalisme sont antinomiques, mais l’histoire du Québec fait pourtant la démonstration du contraire. Aussi, sur le dossier de la laïcité, plus aucune collaboration n’est possible entre ce qui reste d’indépendantistes chez Québec solidaire et les nombreux Québécois, majoritaires, qui appuient l’imparfaite loi 21 du gouvernement Legault.
On aura compris que, dans l’optique de la gauche radicale, ceux qui n’adhèrent pas aux combats qu’elle cautionne sont nécessairement de «droite», voire d’extrême droite.
C’est ce que Bazzo qualifie de «curseur qui s’est déplacé vers la gauche de la gauche».
Des lucides chez Québec solidaire
En fin de semaine dernière, lors du congrès présessionnel de Québec solidaire, il y a bien eu quelques voix pour s’inquiéter du mouvement idéologique de ce curseur.
Sans surprise, les plus énervés de la gauche de la gauche ont varlopé le caucus des députés. Soyons francs, rien ne pourra jamais satisfaire ces extrémistes. Ceux et celles-ci trouveront toujours matière à redire, à critiquer, à s’indigner. C’est là leur nature même.
Parlez-en au député Zanetti, qui a été pris à partie de manière véhémente par une membre de sa propre commission politique pour avoir osé souligner le cinquième anniversaire du décès de Jacques Parizeau sans ajouter au portrait que l’ex-premier ministre était un intolérant (tsé, la fameuse déclaration du soir du référendum...).
Discrètement, pour ne pas «allumer» (dans le sens de trigger) les extrémistes du parti, des voix se sont inquiétées que le parti recule dans les intentions de vote; que QS soit complètement éjecté, pour l’heure, des belles percées en région.
Et on est assez lucide pour savoir pourquoi.
Une personne qui travaille à l’Assemblée nationale dans l’équipe du parti de gauche a nommé cela le «grand écartèlement». C’est-à-dire l’écart – l’abysse, même – qui existe entre les aspirations des tenant(e)s des luttes intersectionnelles, par exemple, et d’autres, au parti, pour qui le combat pour l’indépendance nationale continue de primer.
Car il y en a, ne vous trompez pas.
Et lors du congrès de la fin de semaine dernière, ce qui est passé plutôt inaperçu, c’est que le groupe des allergiques à l’indépendance a tenté un coup de force. Le professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke Guillaume Rousseau en a parlé lors d’une chronique à Cogeco.
La chose n’est pas anodine: un groupe de militants a tenté de remplacer la notion de «pays solidaire» en lui préférant plutôt l’expression «société solidaire». La nuance est importante, en ce que l’on dédouanerait le parti de l’encombrant appui à l’indépendance.
La «société solidaire» étant tout à fait réalisable dans le Canada.
La motion a été battue, mais certains, dans le parti, ont exprimé de manière équivoque leur agacement concernant l’appui du parti à l’indépendance, même si cet appui, conditionné à l’inclination de gauche, est nul et impossible dans les faits.
De vastes défis pour le parti de gauche. D’une part, les confins de la gauche qui rebutent nombre de progressistes, de l'autre les dissensions internes, qui ne datent pas d’hier, relatives à la question nationale.
Pas surprenant que de plus en plus de progressistes au Québec se considèrent désormais comme des orphelins politiques...