CRISE EUROPÉENNE

Que la Grèce fasse école

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Le mépris de la démocratie et de la souveraineté a un prix

Les Grecs déboussolés auront-ils dimanche le courage de dire non au « plan de sauvetage » européen ? La création de la zone euro ne fut peut-être pas une erreur, mais sa construction s’est certainement faite trop vite. Le cas de la Grèce surligne le projet autoritaire et comptable de Bruxelles, au mépris des voies démocratiques et des souverainetés nationales.
Un sondage publié vendredi sur l’issue du référendum divise les Grecs par le milieu, avec un léger avantage pour le « oui » (44,8 % contre 43,4 %). Il indique en particulier qu’une large majorité (74 %) souhaite que la Grèce demeure dans la zone euro. Il n’y a pas de plus efficace contre-proposition au changement que le poison de la peur. Les Québécois en savent quelque chose. Qui sommes-nous donc pour attendre des Grecs qu’ils fassent un saut dans l’inconnu ? Un saut qui serait relatif, bien entendu, puisque l’euro est une invention récente dont la Grèce ne fait partie que depuis 2002. Les avis sont partagés, mais il se trouve d’autre part qu’un « Grexit » n’impliquerait pas nécessairement qu’Athènes quitte aussi l’Union européenne (UE).

Il n’y a que souci de saine gestion bancaire dans la fixation des autorités créancières — que sont Bruxelles et le Fonds monétaire international (FMI) — sur le remboursement de la dette grecque. Au-delà, il y a abus de pouvoir. Certes, la Grèce n’ayant pas remboursé à la date butoir du 30 juin la somme de 1,6 milliard d’euros qu’elle doit au FMI, elle devient le premier pays membre de l’UE à se retrouver en défaut de paiement auprès du Fonds. La situation est pourtant loin d’être inédite à l’échelle internationale, ainsi que le signale Le Monde, puisque depuis 1978, 71 pays ont été piégés par l’incapacité de rembourser leurs dettes. Il n’est pas sans ironie de rappeler qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Athènes était au nombre des créanciers qui ont accepté d’alléger la dette de l’Allemagne, qui n’en démord pas aujourd’hui de vouloir imposer à la Grèce des politiques d’austérité qui l’ont rendue exsangue. Cherchez l’erreur dans le fait que l’UE, refusant d’une main de laisser souffler la Grèce, a prêté de l’autre 11 milliards à l’Ukraine, dont on peut penser que les chances sont faibles de la voir rembourser cet argent… Autre exemple parlant : soucieux d’obtenir le soutien du Caire lors de première guerre du Golfe, en 1991, ses créanciers avaient réduit de moitié la dette égyptienne.

Vrai que la Grèce dépensait sans compter la manne européenne à la fin des années 2000 et qu’elle vivait au-dessus de ses moyens. Mais depuis le début de la crise, il y a cinq ans, les gouvernements qui se sont succédé à Athènes se sont soumis avec déférence aux exigences des créanciers, diminuant les dépenses et augmentant les taxes. Le nombre de fonctionnaires a été coupé du quart et les allocations de retraite, qui étaient en effet fort généreuses, ont été significativement réduites.

Syriza, la coalition dite de la gauche radicale, élue en janvier dernier, a accepté à son tour de poursuivre l’application de ces mesures d’austérité — mais en réclamant que Bruxelles et le FMI n’en surajoutent pas de nouvelles, dans un contexte où, à l’heure actuelle, 60 % des jeunes sont au chômage et où les ménages les plus pauvres ont vu leurs revenus chuter de plus de la moitié. De fait, la distance qui sépare les positions des parties (sur les retraites, la réforme de la TVA, les privatisations, etc.) n’est pas si grande, ce qui rend d’autant plus choquante l’intransigeance des créanciers.

De quel côté les Grecs vont-ils donc pencher ? Qu’ils votent « oui » aux exigences de Berlin et consorts, de peur que cela les fasse rompre avec l’Europe, et ils se trouveront en fait à renforcer l’influence des « architectes de l’échec européen », pour reprendre les mots de Paul Krugman, chroniqueur au New York Times. Qu’ils votent non et cela déclenchera « une énorme tempête à court terme, dit encore Krugman, mais donnera à la Grèce une véritable chance de se remettre sur pied. Et ébranlera de façon salutaire la complaisance des élites européennes ».

La tragédie que traverse la Grèce a ouvert un grand débat sur la nature de la construction socio-économique de l’Europe — dont l’euro n’est pas le fin mot. Qu’ils votent « non » et les Grecs feront école. Qu’ils votent « non » et ils n’en seront pas moins européens. Le défi pour ce pays est de trouver un modèle économique viable. Là-bas comme ici, l’« austérité » ne constitue pas un projet de société.


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