Robert Dutrisac - Au sein du PLQ, on se dit qu’il vaut mieux susciter la grogne populaire en ne tenant pas d’enquête sur l’industrie de la construction que renoncer au pouvoir pour des années.
Québec — Alors qu'il était dans l'opposition, un député libéral a eu la surprise de découvrir dans le rapport financier du Directeur général des élections (DGE) qu'un industriel de sa circonscription, un libéral notoire de sa connaissance, avait versé une jolie somme à la caisse du Parti québécois. L'entrepreneur lui avait expliqué qu'un collecteur de fonds du PQ l'avait contacté après que son entreprise eut reçu une aide financière de la Société industrielle du Québec, l'ancêtre d'Investissement Québec. Le «bagman» péquiste lui avait simplement suggéré qu'un petit don au parti au pouvoir après faveur obtenue serait de bon aloi.
Il y a fort à parier que ce petit manège s'est répété dans le cas de certaines garderies privées des régions de Montréal, des Laurentides et de Lanaudière qui ont obtenu de nouvelles places à 7 $ et dont les propriétaires ont contribué, pour la première fois de leur vie, à la caisse du Parti libéral en 2008, l'année où les places ont été attribuées.
À moins qu'il ne s'agisse d'un geste de reconnaissance spontané. C'est ce qui s'est produit à la garderie Les Petits Génies du préscolaire, de Mascouche, comme le rapportait hier le quotidien The Gazette. La propriétaire, Ada Bianco, qui n'avait contribué à aucun parti politique depuis une décennie, a donné 3000 $, le maximum permis, au PLQ en 2008, quelques mois après avoir obtenu le feu vert pour offrir 80 nouvelles places. C'était une forme de «remerciement», a expliqué Mme Bianco, un geste de reconnaissance envers Michelle Courchesne, la députée de Fabre, où réside la propriétaire de la garderie. C'est une femme remarquable, a dit Mme Bianco. Elle avait aussi le mérite d'être la ministre de la Famille, la première responsable de l'attribution des places.
La loi
Tout cela est conforme à la Loi sur le financement des partis politiques. Les contributions ont été dûment déclarées, elles ne dépassaient pas le maximum autorisé, les donateurs étaient des personnes habilitées à voter et leur nom se retrouve dans la liste du DGE. Mais cela illustre bien pourquoi il est beaucoup plus facile pour un parti politique de trouver du financement quand il est au pouvoir. Les faveurs obtenues, ou celles attendues, constituent un bon fonds de commerce.
D'ailleurs, presque sept ans après avoir pris le pouvoir, le PLQ est une formidable machine à collecter de l'argent. L'an dernier, le parti de Jean Charest a encaissé 10 millions. C'était une année faste, car c'était une année d'élections. Mais bon an, mal an, le PLQ récolte entre sept et neuf millions, soit le double du PQ. On se demande ce que fait le PLQ avec autant d'argent, surtout quand on pense que les dépenses électorales des partis au Québec ne peuvent excéder 3,8 millions et que les élections ont lieu habituellement tous les quatre ans. Le salaire de 75 000 $ versé par le parti à Jean Charest, c'est une goutte dans l'océan.
Évidemment, ce n'est pas avec des petits 20 $ que le PLQ peut amasser de telles sommes. Quatre-vingts pour cent de son financement dit «populaire» vient de contributions de 200 $ et plus. Il est d'ailleurs révélateur que Michelle Courchesne, dans un point de presse mercredi, se soit plainte du fait que les allégations du PQ relativement aux donateurs libéraux et aux garderies privées risquaient d'inciter les «entreprises privées» à ne plus financer les formations politiques. Or la loi stipule que seules les personnes en chair et en os peuvent contribuer à la caisse des partis.
C'est dans ce contexte que Jean Charest rejette obstinément la tenue d'une enquête publique sur l'industrie de la construction. Les entreprises de travaux publics, par l'entremise de leurs actionnaires, de leurs dirigeants, des membres de leur famille élargie, de leurs connaissances, des connaissances de leurs connaissances, etc., sont de grands donateurs des partis, surtout du parti gouvernemental.
Au sein de la députation libérale, on se dit que mieux vaut susciter la grogne populaire en écartant la tenue d'une enquête publique que de renoncer au pouvoir pendant dix ans à la suite de l'enquête. C'est la leçon qu'on tire de la commission Gomery et des malheurs des libéraux fédéraux depuis.
On se dit aussi que Gérald Tremblay a fini par gagner ses élections même s'il a fermé les yeux pendant des années sur la collusion dans l'industrie de la construction.
Une année affligeante
Ce n'est pas seulement la dernière session mais toute la première année du troisième mandat de gouvernement qui a été affligeante. Si les appuis que récoltent les libéraux dans les sondages avaient jusqu'ici assez bien tenu, le dernier sondage Léger Marketing, publié dans les pages du Devoir la semaine dernière, a de quoi les inquiéter. À 60 %, le taux d'insatisfaction envers le gouvernement Charest a grimpé de 10 %.
Le sondage publié hier dans Le Journal de Québec est tout aussi accablant: 69 % des électeurs croient que le gouvernement Charest refuse d'ordonner une commission d'enquête parce qu'il craint que des personnes qui lui sont proches soient mises en cause.
Qui plus est, le sondage du Devoir précédait les révélations sur les donateurs libéraux et leurs garderies, une situation que l'opposition péquiste a su si bien exploiter. La collusion dans l'industrie de la construction est déjà une situation qui indigne l'électorat, mais que les «petits amis» du régime se recrutent dans les garderies, voilà qui est du plus mauvais effet.
Des doutes
Les doutes qui planent sur l'intégrité des libéraux risquent de miner sérieusement leur capacité de gouverner alors que le gouvernement Charest fait face à la pire situation des finances publiques depuis plus de dix ans. Jusqu'ici, Jean Charest s'est tenu bien loin de ce noeud gordien, laissant le ministre des Finances, Raymond Bachand, élucubrer sur d'éventuelles hausses de tarifs d'électricité et augmentations de la taxe de vente, autant de mesures impopulaires qui risquent de mettre à mal la classe moyenne, ce cochon de payeur dont dépend la réélection du gouvernement, est-il utile de le rappeler.
Il n'y a rien là qui vaille pour le gouvernement, rien pour remonter sa cote auprès d'un électorat méfiant. Or Jean Charest ne pourra pas esquiver la question des finances publiques éternellement; les agences de crédit l'ont à l'oeil. Le premier ministre a confirmé hier qu'il présidera une rencontre — et non pas un «sommet», a-t-il tenu à préciser, ce terme par trop péquiste — en janvier pour sonder les coeurs sur les moyens à prendre afin de sortir d'une impasse budgétaire de cinq milliards. Jusqu'à maintenant, le premier ministre s'est croisé les doigts, tablant avant tout sur une providentielle croissance économique d'ici le prochain rendez-vous électoral.
Intégrité remise en question, hausse de taxes et de tarifs, possibles compressions, voilà un cocktail plus imbuvable que détonnant. La question est de savoir pendant combien de temps Jean Charest parviendra à repousser ce calice.
Québec - Le pari de l'entêtement
Au sein du PLQ, on se dit qu’il vaut mieux susciter la grogne populaire en ne tenant pas d’enquête sur l’industrie de la construction que renoncer au pouvoir pour des années.
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