Quelle force? Quel mandat?

Par Stéphane Pfister

Géopolitique — Proche-Orient


L'idée de déployer une force internationale au Liban du Sud soulève des questions nombreuses et complexes
Une intervention militaire au Sud-Liban est au coeur de l'ordre du jour diplomatique. Pourtant, une telle intervention pose de nombreux défis à la communauté internationale. Le décès mardi de quatre observateurs de l'ONU nous le rappelle cruellement: projeter des soldats de la paix dans une zone de conflit est toujours risqué et coûteux en vies humaines.
En espérant que le conflit ne s'étende pas à tout le Proche-Orient, il faut tout d'abord distinguer deux scénarios. Le premier- le moins probable- suppose un cessez-le-feu rapide. On pourrait décider ensuite de renforcer la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), mais en restant dans le schéma classique d'une mission de Casques bleus. Cette solution est rejetée par Israël, qui n'a cessé de reprocher à l'ONU sa passivité. Le second scénario prend en revanche acte de la volonté israélienne (et américaine) de neutraliser au préalable le Hezbollah avec, si besoin, une occupation temporaire du Sud-Liban. Cela laisserait le temps à la communauté internationale de prévoir un plan d'ensemble pour la sortie de crise tout en accordant aux états-majors des délais pour monter ex nihilo et par étapes une opération à haut risque.
De nombreuses questions se posent néanmoins. Ni les Européens, ni les États-Unis, ni enfin Israël ne sont favorables à une force placée sous commandement onusien direct. On s'achemine alors vers une force dont le mandat serait " délégué " par l'ONU grâce à une résolution du Conseil de sécurité. Cette force serait constituée sur une base ad hoc ou confiée à une organisation internationale. Le recours à une force arabe semble exclu. Restent l'OTAN et l'Union européenne. Mais, dans ce cas, quel serait l'avenir des soldats et des observateurs militaires de l'ONU déjà présents? S'agira-t-il en outre d'une force de paix ou d'une force de stabilisation pouvant éventuellement se passer du consentement de tous les belligérants? Un mandat robuste va de soi.
De toute évidence, la force ne recevra pas la mission d'imposer la paix. Cela supposerait d'appliquer une forte pression sur les deux parties pour les contraindre à arrêter les hostilités. Le poids militaire, la singularité d'Israël et le soutien américain à Tel-Aviv empêchent d'envisager toute action de ce type. La force aura-t-elle alors une mission traditionnelle d'interposition afin de garantir un cessez-le-feu (zone tampon avec une possible zone démilitarisée)? Le dispositif choisi sur le plan tactique serait-il d'ailleurs un dispositif d'interposition simple ou double? Dit autrement, serait-il tourné essentiellement vers la partie libanaise ou serait-il déployé symétriquement pour dissuader tant le Hezbollah que Tsahal? Une interposition double est peu plausible et on notera que le déploiement de la force se fera vraisemblablement sur le seul territoire libanais.
La mission confiée pourrait donc être, de facto, une mission d'interdiction visant à empêcher le Hezbollah de se réinstaller au sud. La force internationale risquerait alors d'être accusée de jouer le rôle de " garde-frontière " de l'État hébreu. À défaut de désarmer le Hezbollah, la force pourrait en outre faciliter le désarmement de la milice chiite par les autorités libanaises. Cependant, comment empêcher le Hezbollah de reconstituer son arsenal à Beyrouth et dans la plaine de la Bekaa? Se pose ainsi la question de la limite géographique du déploiement: faudra-t-il contrôler aussi la frontière syro-libanaise?
Les risques liés à une intervention militaire sont par conséquent multiples. Comment rester crédible et donner une image d'impartialité vis-à-vis des deux parties en présence? Comment en particulier ne pas apparaître comme une armée d'occupation face au Hezbollah qui a une longue expérience en matière de guérilla? Affaibli, voire dépossédé de ses moyens militaires conventionnels, le mouvement ne risque-t-il pas de se lancer dans une fuite en avant en menant une " politique du pire " sur le modèle irakien? Les chrétiens, sunnites et druzes du Sud-Liban seraient tout spécialement menacés. Plus largement, le fragile équilibre communautaire du pays tout entier pourrait voler en éclats.
On comprend dès lors les fortes réticences des pays sollicités pour envoyer des troupes. Le préalable à toute action efficace est la définition de ce que les militaires appellent l'état final recherché. Ce dernier ne peut s'inscrire que dans le cadre d'un plan politique global avec une stratégie de désengagement et un calendrier précis. Si elle est décidée, la montée en puissance de la force se comptera par conséquent en semaines sinon en mois.
Une implication forte de l'Union européenne présenterait de nombreux atouts. L'Union affiche en effet son ambition d'intervenir de façon " intégrée " dans les zones d'instabilité. Alors qu'elle met volontiers en avant sa large gamme d'instruments politiques, économiques et humanitaires disponibles, elle dispose également de capacités militaires non négligeables.
Elle pourrait choisir de les engager de façon autonome ou avec le soutien de l'OTAN. Les États membres de l'UE auront-ils assez de courage pour mettre tout leur poids dans la résolution du conflit israélo-libanais? On ne saurait espérer mieux.
Membre du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix de l'Université de Montréal l'auteur a servi en 2001-2002 comme officier humanitaire de la FINUL. Il est présentement chercheur à l'Institut européen de l'Université de Genève.


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