Après la commission Bouchard-Taylor

Relancer le débat sur l'interculturalisme

Multiculturalisme - subversion intégrale! - 2


L’interculturalisme vise plus qu’à concilier les différences culturelles issues de l’immigration. Son objectif est l’intégration de toute notre société. C’est pourquoi il préconise les échanges, les interactions, les rapprochements et la responsabilisation des citoyens.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


Trois ans après la commission Bouchard-Taylor, nous croyons qu'il faut relancer le débat sur l'interculturalisme. Pour quelles raisons?
- Afin d'assurer de manière efficace la prise en charge de la diversité ethnoculturelle, le Québec doit adopter un modèle qui propose de grandes orientations et trace les voies de l'intégration de notre société. Un tel modèle est nécessaire pour inspirer et orchestrer les politiques de l'État, associer les citoyens à des choix fondamentaux de notre société, guider les gestionnaires des institutions publiques et privées dans la gestion quotidienne de la diversité et appuyer le travail des intervenants sur le terrain (préposés à l'accueil aux immigrants, travailleurs sociaux, médiateurs culturels...). Or, si jusqu'à récemment les Québécois appuyaient largement l'interculturalisme, ils sont maintenant divisés sur le sujet. Il importe de mieux le définir et d'en montrer la pertinence.
- Notre débat sur la gestion de la diversité s'est largement centré sur la question de la laïcité, particulièrement l'expression d'allégeances religieuses parmi les employés de l'État. Ces discussions risquent maintenant de s'épuiser dans la mesure où l'atteinte d'un consensus paraît très incertaine. Il faut élargir le cadre du débat.
- Depuis peu, la réflexion sur l'interculturalisme a débordé les frontières du Québec. L'Europe est devenue un important foyer de recherche et d'expériences. Nous devons tirer profit de ces précieux apports pour enrichir notre compréhension de la diversité et revoir le traitement que nous en faisons.
- Au cours des dernières décennies, la proportion des immigrants dans la population québécoise s'est accrue lentement, passant de 8 % en 1971 à 11 % en 2006. Selon des prévisions démographiques récentes, cette proportion va pratiquement doubler d'ici vingt ans. La gestion de la diversité (notamment l'insertion des immigrants dans l'emploi, la lutte contre la discrimination et les pratiques d'harmonisation ou d'accommodement) va donc nous solliciter de plus en plus, d'où l'importance de nous entendre sur une démarche claire et équitable, adaptée à nos besoins, à nos aspirations et à ce que nous considérons comme nos valeurs essentielles.
Des conditions favorables
Contrairement au contexte qui prévalait lors de la Commission menée en 2007-2008, le débat public est devenu moins émotif, la tension est tombée; il est donc plus aisé d'échanger sur les enjeux et les idées. Nous bénéficions aussi d'une décennie de pratiques et de discussions intenses; le terrain est désormais reconnu. Nous pouvons tabler sur ces antécédents.
Par ailleurs, dans un contexte de remise en question du multiculturalisme (en Europe notamment), de nouvelles avenues s'ouvrent pour l'interculturalisme. Rappelons, par exemple, que la direction du Conseil de l'Europe s'est vue confier à l'unanimité par ses 47 pays membres le mandat de faire la promotion de ce modèle, de préférence à tout autre.
Un modèle d'intégration
L'interculturalisme vise plus qu'à concilier les différences culturelles issues de l'immigration (récente ou ancienne). Son objectif est l'intégration de toute notre société. C'est pourquoi il préconise les échanges, les interactions, les rapprochements et la responsabilisation des citoyens. Francophonie en Amérique, le Québec est une nation fragile qui a besoin de toutes ses forces pour assurer son avenir, en particulier devant l'immense défi que représente la mondialisation.
En conséquence, il doit éviter autant que possible la fragmentation, la marginalisation, les divisions durables et les formes d'exclusion qui découleraient d'un manque de compréhension ou d'une rigueur excessive dans la gestion de la diversité.
Cet impératif se conjugue avec un autre: l'intégration exige le respect des droits de chacun. Il faut donc mettre en oeuvre un pluralisme authentique qui s'accorde avec ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir collectivement.
L'interculturalisme ou la recherche d'équilibres
Fondamentalement, l'interculturalisme est un modèle mitoyen qui rejette la fragmentation (associée au multiculturalisme) et l'assimilation (associée aux nations unitaires ou à des formes radicales de républicanisme). Il vise l'intégration, c'est-à-dire une recherche d'équilibres entre des impératifs concurrents. Il peut s'agir de droits, de valeurs ou de traditions entre lesquels il faut soit effectuer un choix, soit négocier des formules de compromis originales et créatrices.
Dans cet esprit, l'interculturalisme québécois entend assurer l'avenir de cette francophonie nord-américaine tout en respectant la diversité. Il vise donc à mettre au point des modus vivendi qui préservent pleinement l'essentiel de l'identité, de la mémoire et des traditions de cette culture sans sacrifier le respect des droits. La promotion du pluralisme n'entraîne nullement un affaiblissement de la culture majoritaire. Au contraire, l'une de ses conséquences est de favoriser l'intégration et de renforcer la francophonie québécoise.
Enfin, il va de soi que, dans le contexte québécois, la définition de l'interculturalisme doit aussi prendre en compte la question nationale.
La voie québécoise
Des sceptiques douteront du réalisme de cette formule qui fait appel au dépassement des antinomies et des impasses grâce à des mesures inventives et audacieuses. Mais n'est-ce pas ainsi que le Québec a assuré sa survie et son développement depuis plus de deux siècles? La capacité qu'il a démontrée d'évoluer à l'heure de l'Amérique anglophone tout en faisant rayonner sa culture et en affirmant sa différence en constitue une démonstration spectaculaire.
L'aire des négociations et des compromis n'est toutefois pas illimitée. Elle comporte d'importantes restrictions dictées par des valeurs ou principes fondamentaux. Ainsi, il faudrait des raisons exceptionnelles pour porter atteinte à la préséance du français, à l'égalité homme-femme ou à la séparation des pouvoirs entre l'État et les Églises.
Une culture commune
En vertu des interactions et rapprochements que préconise l'interculturalisme, on s'attend à ce qu'émerge à la longue une culture commune nourrie des apports de la majorité et des minorités culturelles, mais sans les y fondre nécessairement. Cet élément est essentiel pour trois raisons.
Pour se gouverner, toute société a besoin d'un fort dénominateur commun de valeurs, de solidarité et d'appartenance. En deuxième lieu, la francophonie québécoise doit viser la plus grande intégration possible pour continuer à se développer dans un monde qui s'exprime de plus en plus en anglais. Enfin, parmi les citoyens issus des minorités ethnoculturelles et de l'immigration récente, un certain nombre souhaitent renégocier leur appartenance première pour s'imprégner de ce qu'ils perçoivent comme la culture «québécoise». Pour ceux-là, l'existence de la culture commune est un horizon indispensable.
Un Symposium international
Pour contribuer à relancer le débat dans ces directions, Interculturalisme 2011 organise un Symposium international qui se tiendra à Montréal les 25, 26 et 27 mai prochain. Cette rencontre sera largement ouverte au public, dont nous souhaitons la participation. Dans les prochaines semaines, nous soumettrons des textes d'analyse aux journaux et animerons un site Internet (http://www.symposium-interculturalisme.com) que le public est invité à consulter dès maintenant.
Afin d'apporter du neuf au débat, nous avons conçu le Symposium sous la forme d'un dialogue Québec-Europe. De hauts dirigeants du Conseil de l'Europe se sont étroitement associés à cet événement où plusieurs experts européens prendront la parole. Cette formule permettra d'élargir le champ de nos réflexions tout en ouvrant de nouvelles perspectives de recherche et d'action.
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Gérard Bouchard, historien, sociologue et professeur-chercheur à l'Université du Québec à Chicoutimi
Céline Saint-Pierre, professeure émérite de sociologie à l'Université du Québec à Montréal
Geneviève Nootens, professeure de science politique à l'Université du Québec à Chicoutimi
François Fournier, chercheur et ex-analyste à la commission Bouchard-Taylor
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Interculturalism: a model for integration

May symposium will bring together Quebec and European leaders to lay the groundwork for this province's alternative to multiculturalism

By GERARD BOUCHARD, CELINE SAINT-PIERRE, GENEVIÈVE NOOTENS and FRANÇOIS FOURNIER, The Gazette March 2, 2011


Three years after the Bouchard-Taylor Commission, it is time that we go further in knowledge of and debates on interculturalism. Like any other society, Quebec must reflect on the basic guidelines upon which it expects integration to be built. In its report, the commission rejected both multiculturalism and assimilationism for Quebec, recommending interculturalism as the alternative. However, since 2008 there have been only a very few efforts by the Quebec government to define and promote this model. The current debate over secularism in Quebec betrays the lack of a framework that would outline a set of basic principles grounding a model of integration.
In this context, Interculturalisme 2011 has decided to organize an international symposium on this topic. The event, open to the public, will take place in Montreal from May 25 to 27. The main purpose will be to assess progress in interculturalism as a model for integration in Quebec and elsewhere, and how to manage ethno-cultural diversity in democratic societies. The interculturalist model already has a long history in Quebec, and it is attracting growing interest in Europe. The symposium will be a Quebec/Europe dialogue on the situation and the future of interculturalism, with a significant participation of officials from the Council of Europe.
More specifically, the symposium will focus on refining the definition of interculturalism, and emphasizing its originality and character as a model for integration compared with other models (such as multiculturalism, republicanism, assimilationism, melting pot, etc.).
ABOUT INTERCULTURALISM AND MULTICULTURALISM
Broadly speaking, interculturalism aims at managing integration in pluricultural societies or nations while respecting diversity, hence building on a commitment both to pluralism and to fundamental liberal democratic principles. The model targets societies where, for various reasons, ethnocultural realities are viewed through the lens of a duality between minorities and a majority. The main challenge here is to articulate that relationship and respect the rights of each component, while also fostering innovative cultural initiatives through interactions. In the long run, another challenge is to mitigate this duality, without resorting to assimilation. Interculturalism also applies in nations that are based on two or more ethnocultural groups of similar size that are officially recognized, thereby enjoying a degree of permanence.
From the foregoing, one can see a major difference between interculturalism and multiculturalism, and why the latter cannot apply in Quebec. Indeed, according to the first assumption of Canadian multiculturalism, there is no official and no majority culture in the country. But Quebec is a minority nation within Canada, and a minority culture within North America. This situation raises significant concerns as to its future. This situation that is peculiar to Quebec cannot be ignored in the choice of a model. However, both interculturalism and multiculturalism share a commitment to pluralism and democratic principles.
A FOCUS ON INTEGRATION
In line with this concern, interculturalism emphasizes integration. Quebec can't afford fragmentation, marginalization or exclusion. In order to properly pursue its goal, interculturalism strives for a proper balance between participation in a common public culture and individuals' commitments - their expressions of diversity. It takes into account both the legitimacy of a majority's will to perpetuate some fundamental principles and sense of the common good (without impinging on fundamental individual rights) and the fact that people belonging to minorities (both those who have been citizens for a long time and newcomers) might display different levels of identification with the common public culture.
In doing so, it operates both at the level of the community (as for example communitybased organizations that help immigrants to integrate) and of society at large (in state and institutional policies). The model promotes interaction, the search for common ground, civic participation, and reciprocity. In the long run, it is expected that a common culture comprised of a shared identity and sense of belonging will emerge from the specific identities initially at play, perhaps even transcending them.
Another challenge of Quebec interculturalism is to articulate the status of the anglophone community as a national minority. As for the aboriginal peoples, they are not part of interculturalism per se since 25 years ago the Quebec government has decided to deal with them on a nation-to-nation basis.
THE FUTURE OF DEMOCRACIES
Drawing on expertise from both sides of the Atlantic, the May symposium will address the nature and foundations of interculturalism, and the need for translating its philosophy into the right policies and programs. There is little need to emphasize how the future of democratic societies depends on whether they will successfully address the cultural, social and economic challenges raised by ethnocultural diversity.
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Gérard Bouchard is a historian and sociologist and a professor at the Université du Québec à Chicoutimi. He was co-chair of the Bouchard-Taylor Commission on Accommodation Practices Related to Cultural Differences.
Céline Saint-Pierre is professor emeritus in sociology at the Université du Québec à Montréal.
Geneviève Nootens is a professor of political science at the Université du Québec à Chicoutimi.
François Fournier is a sociologist in Montreal and was an analyst at the Bouchard-Taylor Commission.
The website for the Interculturalisme 2011 symposium is www.symposiuminterculturalisme.com/1/accueil/fr.
http://www.montrealgazette.com/life/Interculturalism+model+integration/4370196/story.html#ixzz1FSiVTBaG


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