Vulgarisateur exemplaire, communicateur exceptionnel, analyste rigoureux… les qualificatifs élogieux pour décrire René Lévesque fusaient de toute part, hier, lors d’un colloque scientifique sur cet homme de parole et d’écrits qui se tenait à la Grande Bibliothèque.
Voilà pourquoi l’auditoire conquis a été aussi surpris d’apprendre que ce grand journaliste et politicien porteur de projets comme la souveraineté était plutôt frileux dans ses discours lorsqu’il s’agissait d’utiliser le vocabulaire s’y référant. «René Lévesque fuit les mots identitaires comme "nation", "pays", "peuple"», a constaté le professeur de l’Université de Montréal Denis Monière, grâce à son analyse de discours dont il avait déjà commencé à révéler les surprenantes conclusions.
Cette étude de lexicométrie, qui s’est attardée à la diversité et à l’articulation du propos dans 102 discours écrits de M. Lévesque lorsqu’il a été au pouvoir, excluant ceux des campagnes électorales, a également révélé que sur 530 000 mots, René Lévesque n’a prononcé «indépendance» que 22 fois et le mot «souveraineté» que 47 fois. «Sans porter de jugement de valeur, bien sûr, ça frôle l’insignifiance», a dit M. Monière en soulignant que Parizeau l’avait beaucoup plus utilisé. «Être premier ministre, ce n’est peut-être pas la bonne position pour faire la promotion de la souveraineté», conclura plus tard le chercheur, pour provoquer gentiment le public composé surtout d’amis, de militants et de personnes ayant côtoyé René Lévesque.
En revanche, l’analyse confirme que les discours de René Lévesque, comparativement à ceux des autres premiers ministres, étaient parmi les plus riches, les plus complexes et les plus articulés. Les phrases de ses discours possédaient en moyenne 34 mots (soit une moyenne similaire à celle de François Mitterrand), contre 21 mots pour ceux de Jean Charest. «Il savait toucher les gens, sans jamais tomber dans le populisme», a soutenu M. Monière.
Au-delà du mythe
Le colloque est l’occasion d’aller au-delà du mythe qu’est devenu René Lévesque, a expliqué l’historien Éric Bédard, qui a contribué au colloque. «Il y a un Lévesque mythique et c’est tant mieux, qui appartient à la mémoire collective, mais il y a aussi un Lévesque concret qu’on a voulu étudier dans sa pensée et son action», a-t-il dit.
Un volet du colloque a tenté de comprendre l’homme par ses écrits — il est certainement le premier ministre qui a le plus écrit de toute l’histoire, souligne M. Bédard —, tandis qu’un second s’était épanché sur sa parole véhiculée par des émissions de radio et télévision. «L’homme qui a fini par devenir premier ministre a commencé à se bâtir comme correspondant. Le politicien pédagogue, il est déjà dans le journaliste pédagogue et dans le repor ter de guerre qui explique au monde ce que c’est que la Corée», a souligné Alexandre Stefanescu, secrétaire de la Fondation.
Enfin, un dernier volet s’est attardé à la relation qu’il entretenait avec les journalistes. «Il était très exigeant et n’hésitait pas à dire aux journalistes qu’ils les trouvaient peu rigoureux et paresseux», a noté Gratia O’Leary, qui a été son attachée de presse lorsque le Parti québécois venait de prendre le pouvoir.
Parmi toutes les qualités de l’homme maintes fois louées, René Lévesque était aussi doté d’un humour lucide aussi. Bernard Landry l’a raconté dans une savoureuse anecdote. René Lévesque et lui avaient été invités à dîner à la Cité interdite en compagnie du directeur du Quotidien du peuple et d’un vice-ministre chinois. Celui-ci avait expliqué qu’il avait entendu parler du Québec pour la première fois lorsque le général de Gaulle avait lancé «vive le Québec libre» et qu’il avait fallu par conséquent inventer le caractère chinois pour «Québec». «Lévesque m’a dit à l’oreille:"Ils ont dû en inventer un pour 'libre' aussi".»
Colloque « Le rapatriement de la Constitution : 30 ans plus tard » organisé à Montréal par l’Institut de recherche sur le Québec.
René Lévesque «fuyait» les mots identitaires
C’est ce que révèle l’analyse des discours de l’ancien premier ministre
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