[Le président de la FTQ, dans une lettre publiée dans Le Devoir->6963], s'inquiète des idées de réforme du système de santé proposées par l'ancien ministre Claude Castonguay. Il craint qu'elles servent de base aux conclusions du groupe de travail sur le financement de la santé dont la ministre Monique Jérôme-Forget lui a confié la présidence.
Le syndicaliste critique entre autres l'idée de permettre aux assurances privées de couvrir des services fournis par le régime public, ce qui est actuellement interdit, ou encore d'abolir l'étanchéité entre le privé et le public, c'est à dire de permettre à un médecin de pratiquer à la fois dans le régime public et dans le privé.
Pour étayer ses inquiétudes, il prend l'exemple des États-Unis, le seul pays industrialisé qui n'a pas de régime public universel. «Près de 50 millions de citoyens américains ne bénéficient d'aucune couverture, faute de revenus suffisants pour se la payer.» Et il cite une étude toute récente du Commonwealth Fond, «Mirror, Mirror on the Wall - An International Update on the Comparative Performance of American Health Care».
Cette étude, écrit M. Massé, «vient de démontrer qu'avec le système de santé le plus coûteux au monde, les États-Unis, au premier rang des pays qui recourent à l'assurance privée, témoignent d'une sous-performance chronique en matière de soins de santé, notamment en matière d'accès, de sécurité, d'efficacité et d'équité. L'étude compare les systèmes de santé de l'Allemagne, de l'Australie, du Canada, des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni.»
En chroniqueur curieux, je suis allé voir cette étude. Et que dit-elle? Effectivement, que des six pays comparés, le système de santé américain se classe au sixième rang. Mais ce que dit aussi l'étude et que M. Massé ne dit pas, c'est que le Canada, lui, est au cinquième rang. Qu'il est au dernier ou à l'avant dernier-rang pour chacun des critères et qu'il est même en dernière place pour la qualité des soins!
Si je souligne cela, ce n'est pas pour accabler le président de la FTQ, qui n'est certainement pas responsable de cette omission. Mais pour mettre en relief certaines dérives qui empêchent un débat éclairé sur la santé.
La première, c'est le recours à l'épouvantail américain. Nous sommes tous d'accord pour dire que le système de santé américain est un échec: c'est un système performant, mais très coûteux et très injuste. Mais personne, au Québec, ne veut imiter les États-Unis. Les partisans d'une plus grande place au privé, moi-même dans de multiples chroniques, M. Castonguay et combien d'autres, sont en faveur d'un système public, universel, mais qui accepte la coexistence de pratiques privées. L'exemple américain, c'est de la caricature.
La seconde remarque, c'est que le Canada est le seul pays industrialisé qui interdit formellement la santé privée. Ce que des gens comme M. Massé dénoncent avec tant de ferveur, existe carrément partout. Et les propositions de M. Castonguay ne sont pas une révolution, elles s'inspirent en fait des modèles européens.
Par exemple, les quatre autres pays qui faisaient partie de l'étude comparative, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont des hôpitaux et des cliniques privées. Dans ces quatre pays, les médecins peuvent pratiquer à la fois dans le public et le privé. Dans les quatre, il y a des régimes d'assurance privée. Et dans trois sur quatre, sauf le Royaume-Uni, les patients paient une partie des visites au médecin de leur poche.
Et ces quatre pays, sans insister lourdement, se classent tous mieux que le Canada, y compris pour l'équité, où le Canada est cinquième. Je n'irai pas jusqu'à dire que ces formules mixtes sont nécessairement la recette du succès. Mais elles ne sont certainement pas un obstacle à l'amélioration du système et les problèmes d'équité que pose une médecine privée parallèle sont manifestement surmontables.
Et cela m'amène à une troisième remarque. La bataille pour l'intégrité du système de santé n'est pas menée par les simples citoyens, assez ouverts au privé. Elle provient surtout des milieux syndicaux et communautaires, appuyés par des universitaires radicaux. C'est bien davantage une bataille idéologique pour éviter des «reculs» de l'État, et une bataille corporatiste pour préserver les privilèges et les pouvoirs de ceux qui profitent du système tel qu'il est.
Se battent-ils pour une meilleure médecine pour les Québécois? Absolument pas. Il est trop facile de démontrer qu'il existe de nombreux pays dont le système est meilleur que le nôtre et plus juste que le nôtre et qui, pourtant, recourent aux pratiques dénoncées avec vigueur par les inconditionnels du statu quo.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé