SOCIALISATION DE LA CRISE ET CRISE DU SOCIAL
Par Patrick Mignard
Qui arrive aujourd’hui à y voir clair entre les discours, souvent doubles et assurément troubles, des politiciens et leurs experts, avec leurs courbes, leurs statistiques, et la crainte, voire le désarroi, d’une frange toujours plus importante de la population ? Celle et celui qui se croyait citoyen/ne se retrouve ballotté/e par des événements, non seulement qu’il ne maîtrise pas, mais ne comprend pas.
Il y a pourtant quelque chose d’indécent et d’incompréhensible entre la rigueur brutale et déshumanisée des mécanismes économiques – doctement exposés - et la situation sociale – douloureusement vécue - du plus grand nombre. C’est pourtant cet écart qui explique la déconnexion et finalement, peut-être, l’acceptation du discours officiel entre ce qui nous est affirmé comme essentiel, les équilibres qui assurent la pérennité du système et ce qui nous est présenté comme un dégât collatéral, mais nécessaire : la dégradation du social.
UNE LENTE DERIVE
Nous avons vécu durant des décennies sur la croyance que le « progrès économique » entraînerait automatiquement, ou presque, le « progrès social »… et nous avions une vision très sommaire de ce qu’était le « progrès économique » et surtout son lien avec ce que l’on entendait par « progrès social ».
C’était d’abord le progrès économique des pays développés, ceux qui dominaient la planète et consommaient, sans retenue aucune, des richesses qu’ils importaient de partout. Produire toujours plus pour consommer toujours plus, tout en gaspillant toujours plus.
C’était ensuite la croyance que le lien social créé par le capitalisme, le salariat, était un lien social à toute épreuve et définitivement installé dans notre société. Etre salarié, c’était la garantie de la stabilité.
C’était enfin la croyance que les conquêtes sociales étaient définitives et garanties par le progrès économique, la sacro sainte croissance. « Jamais ils ne reviendront sur les acquis sociaux ! »
La société devait ainsi se développer de manière linéaire, avec certes quelques soubresauts, mais avec une tendance générale vers le meilleur.
Tous ces calculs étaient faux, et nous payons au prix fort notre passivité passée.
Celles et ceux qui disaient que la « finalité de l’économique dans l’économie de marché n’est pas le social » passaient pour des « Cassandre » et autres « pisses froids ».
POURQUOI ET COMMENT EN SOMMES NOUS ARRIVES LA ?
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Il faut, pour répondre à cette question, revenir aux fondamentaux du capitalisme.
Ce système n’a jamais été conçu pour faire du social, autrement dit pour satisfaire les besoins de l’Homme.
Exemple simple pour le comprendre : Quand on crée une entreprise, ce n’est pas pour créer des emplois, mais pour faire fructifier le capital que l’on a investi. Cette simple vérité résume la philosophie du système en place aujourd’hui. Tout est là, il suffit de développer.
Ce qui est trompeur, c’est qu’au début, le système a créé énormément d’emplois (parce qu’il en avait besoin), a énormément produit de biens et services (puisque ça permettait aux investisseurs de faire du profit), ce qui a accru la consommation des ménages… De plus, les pays riches, industriels, dominant le monde n’avaient pas de concurrents (sinon entre eux) et à disposition les richesses des empires coloniaux. Les salariés, suspicieux au début ont vite compris qu’ils pouvaient tirer des avantages, eux aussi, du progrès technique, progrès économique et en faire un progrès social (conquête des acquis sociaux que le Capital pouvait payer s’achetant ainsi la « paix sociale »). Le social s’emboîtait harmonieusement, ou presque, dans l’économique. Tout le monde, ou presque, s’est converti à la croissance qui paraissait illimitée.
L’illusion d’une marche vers une société d’abondance et de consommation était parfaite.
Cet « âge d’or » n’a duré qu’un temps. A partir des années 50-60 du 20e siècle, la configuration géo-politico- économique du monde a changé.
La décolonisation, le développement des moyens de production, de transports, de communication, ont transformé les conditions de la production : réduction des emplois, délocalisations, nouveaux marchés de la force de travail entraînant les délocalisations, nouvelles énergies, nouveaux partenaires, nouveaux débouchés,…
Le bel agencement stable économique et social des pays développés a été bouleversé… Sans parler de la prise de conscience progressive des questions d’environnement.
Toute cette évolution s’est faite sans que nous y fassions attention. On vivait sur des croyances, et des acquis « définitifs ». On pensait que les acquis sociaux étaient intouchables, que les syndicats nous protégeraient et que l’Etat était l’expression des intérêts du peuple.
Nous nous sommes endormis sur les lauriers des conquêtes sociales que nous estimions, à tort, définitives.
Naïfs que nous avons été,… et que nous sommes d’ailleurs encore.
LA DERIVE LIBERALE
Parallèlement à cela, alors que l’on croyait, dur comme fer, à notre modèle social, économique et politique, agissaient en sous main des forces du Capital qui allaient nous conduire à la catastrophe.
La stabilité (fondée sur le dollar US) du Système monétaire International, (SMI), issu de la conférence de Brettons Wood de 1944 a fait un temps illusion, mais les changements à l’échelle mondiale et les soubresauts de l’économie américaine ont abouti le 15 août 1971 à une première fracture : l’instabilité des taux de change entre monnaies. Pour un commerce international en pleine expansion, il fallait trouver une parade. Ce fut la mise en place d’une véritable industrie financière de « couverture de risque »… entraînant une spéculation sans limite. On pouvait désormais, à l’échelle mondiale, faire de l’argent avec de l’argent,… sans passer par la production.
On mettait ainsi le doigt dans l‘engrenage qui nous faisait passer d’un capitalisme industriel à un capitalisme financier.
Le gros de la vague libérale déferlait au début des années 80, initiée par le couple Reagan - Thatcher, suivi par tous les autres états libéralisant les systèmes bancaires, les marchés financiers, déréglementant cette fois les taux d’intérêts… autrement dit le coût de l’emprunt auprès des banques n’était plus réglementé, mais variable suivant les fluctuations du marché. Cette nouvelle instabilité surdéterminait les couvertures de risques pour les emprunteurs,… gonflant ainsi l’industrie financière du risque et bien sûr la spéculation.
Dés lors, la vague libérale à tout emporté : banques, assurances, services publics, santé, retraites, emplois… Orchestré par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et le Fond Monétaire International (FMI). Tout a été, ou est en voie, de marchandisation.
Même les Etats se sont volontairement soumis, pour leurs emprunts, aux règles des marchés financiers… d’où la fameuse dette irréductible.
Un système dans lequel les transactions concernant l’économie réelle (biens et services) représentent seulement 1,6% des échanges interbancaires du monde,… le reste étant voué à la finance spéculative (couverture de risque, produits dérivés,…) ne peut qu’aller à la catastrophe.
Le marché constitue désormais le paradigme essentiel. Même l’Homme est soumis à lui. Autant dire que dans ce cas, le social, c'est-à-dire ce qui constitue la dimension purement humaine d’un système, est simplement et purement nié. Le lent déclin des acquis sociaux a commencé. Comme disent les gestionnaires du système : « le social ne sert à rien et coûte cher » !.
LA LOGIQUE ANTISOCIALE DU MARCHE
Désormais, tout s’achète et tout se vend. L’individu n’est apprécié qu’en fonction de son utilité, de sa rentabilité. C’était vrai auparavant, mais les conquêtes sociales avaient modulé cette rigueur… aujourd’hui, c’est devenu la règle, sans protection… et pour plus d’efficacité on liquide les acquis sociaux !
La crise des subprimes aux Etats-Unis – qui a été le point de départ de la crise financière - est l’événement emblématique qui a révélé l’ensemble des mécanismes pervers du système financier international et ses conséquences sociales.
Cet événement est révélateur de deux choses essentielles :
- tout est bon, y compris la manipulation des rêves et des existences des gens, pour leur faire faire n’importe quoi – les emprunt immobiliers -… dans le seul but de faire de l’argent…. D’où la catastrophe sociale aux USA des expulsés.
- Le système bancaire dans son ensemble a été complice de ces pratiques scandaleuses et s’est même doté de paradis fiscaux pour mieux les dissimuler. Les créances pourries sont partout dans le système bancaire.
A cette occasion les états (l’Etat institution) ont montré leur vrai visage : le plan de secours pour aider les banques a été établi en quelques jours. Des sommes inimaginables ont été engagées, des garanties exceptionnelles leur ont été accordées… alors qu’en matière de santé, d’école, de pauvreté, de faim, de retraite les problèmes durent depuis des années et il n’y a jamais de solutions satisfaisantes.
L’Europe des marchands et de la finance, qui nous avait été présentée comme la solution à nos problèmes est entrain de mourir de ces pratiques, nous entraînant dans sa chute.
L’ « état institution » qui n’a pour fonction que de garantir la pérennité du système nie les conditions de vie, les contraintes de santé, les retraites, l’éducation… Les aides, subventions, allocations disparaissent peu à peu. Ce qui ne peut pas être marchandisé,… est nié, éliminé.
Ce sont les peuples qui paient la crise, non les bénéficiaires du système : banques, spéculateurs, actionnaires,…
QUE FAIRE ?
Syndicats, associations, manifestations, pétitions, tout cela a été rendu obsolète par la puissance des lois du système peu à peu assimilées et acceptées par des populations abusées par les politiques et leurs « experts ». On ne se bat plus aujourd’hui pour conquérir de nouveaux acquis, mais pour protéger ceux que nous avons et qui sont en permanence menacés.
Les « forces du social » sont en panne de stratégies. Les vieux modèles d’action ne fonctionnent plus. Les solutions n’apparaissent plus être là où on les croyait : dans les promesses électorales… Pas même dans les mobilisations de masse.
Or, et ce n’est un secret pour personne, les gestionnaires du système sont aujourd’hui bien incapables de trouver l’antidote à sa décomposition. Aucune politique, de droite comme de gauche, ne peut concilier les intérêts du Capital et les intérêts vitaux des populations.
Devant ce vide, et pour, malgré tout créer du lien social, des initiatives, expériences se développent et offrent des perspectives nouvelles, et pas seulement en France… De nouvelles solidarités se créent, de nouveaux rapports entre production et consommation. Certes, ces initiatives sont encore marginales, mais elles offrent au moins une perspective d’avenir dans un système décadent qui n’en offre plus aucune.
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Article paru dans LIEN SOCIAL
N°1031 – 22 septembre 2011
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