Laurent Desbois - Dans son texte [Libre de ses choix, publié le 30 novembre dans La Presse et sur Cyberpresse, Daniel Paillé->33014] a écrit que suivant son accession à la souveraineté, le Québec pourrait après quelques années, choisir parmi trois devises - le dollar canadien, le dollar américain ou sa propre monnaie - celle qui répondrait à ses intérêts.
Par exemple, si le pétrole s'envolait vers 150 $ le baril et qu'un dollar canadien fort nuisait aux exportateurs québécois, notre nouveau pays pourrait alors choisir en toute liberté de créer sa propre monnaie.
M. Paillé a aussi soutenu dans son texte qu'il est absurde de croire que le Canada imposerait des limites fiscales au Québec, et que, de toute façon, en matière d'endettement public, le Québec s'en tire plutôt bien par rapport à d'autres pays, si l'on considère la dette nette (des actifs) plutôt que brute.
Malheureusement, ce scénario d'un Québec souverain libre de choisir sa devise n'est pas plausible. Le manque de crédibilité de l'option du maintien du dollar canadien (ou américain), combinée à l'endettement du Québec actuel, enlèvera toute latitude en matière de monnaie. Assez rapidement, le Québec devra adopter sa propre devise. L'Europe qui se bat pour la survie de sa devise est à ce titre très instructif.
Notons qu'il n'y a pas d'exemple d'union monétaire permanent dans des pays développés démocratiques sans une union politique avec un système de transfert de revenus d'un gouvernement central et une assiette fiscale commune. Ultimement, le désir d'intégration économique et politique doit être plus fort que les intérêts divergents de court terme des nations qui composent l'union monétaire.
Lors de la création de l'euro, le traité de Maastricht incluait des provisions sur les déficits et la dette des pays membres, mais ces provisions n'ont tout simplement pas été respectées et ne vont clairement pas assez loin. L'Europe est en train de le découvrir avec beaucoup de difficultés : ou bien ses pays membres s'intégreront davantage politiquement et fiscalement en abandonnant plus de souveraineté pour maintenir la viabilité de l'euro, ou alors la monnaie commune éclatera.
De façon analogue, en cas de souveraineté du Québec, un traité avec le Canada qui inclurait simplement un dialogue assurant la compatibilité fiscale et budgétaire ne suffirait pas. En fait, comme la souveraineté du Québec mène à plus d'indépendance politique et fiscale, l'adoption du dollar canadien dans un Québec indépendant ne serait pas crédible et serait testée dès la première crise économique, en causant deux cercles vicieux qui mèneront inévitablement à la création d'une monnaie québécoise.
Par exemple, en supposant un prix du pétrole qui monte et un dollar canadien fort, la tentation serait forte d'établir une nouvelle monnaie québécoise dévaluée pour aider nos exportateurs, comme le mentionne M. Paillé.
Le premier cercle vicieux est lié à la volonté des épargnants québécois de protéger leurs épargnes. Nous le voyons que trop bien en Europe : l'incertitude quant à la survie de l'euro amène de nombreux épargnants et investisseurs européens à transférer leurs avoirs dans des comptes hors de l'euro (notamment en Suisse) pour protéger leurs épargnes en cas d'éclatement de la monnaie commune, ce qui déstabilise certaines banques.
Les épargnants québécois seraient tentés de faire de même et de retirer leur argent des institutions financières au Québec pour se protéger de ce changement possible de monnaie, inévitablement plus faible et qui diminuerait le pouvoir d'achat des Québécois.
Résultat : Un cercle vicieux où une crise de liquidités s'ensuivrait dans le système bancaire, qui entraînerait un financement plus difficile des entreprises et des ménages québécois, ce qui en retour ralentirait la croissance économique et fragiliserait davantage les banques et les caisses populaires.
La Banque du Canada et le gouvernement fédéral auraient clairement intérêt à aider à stabiliser la situation dans la mesure du possible, mais aux prix de quels dommages économiques et de quelles concessions du Québec? Rappelons que l'Irlande et la Grèce ont perdu toute indépendance budgétaire comme condition au soutien financier de l'Union européenne.
Le Québec aurait alors deux choix : maintenir le dollar canadien et revenir à la case départ quant à l'intégration politique incluant un impôt fédéral, ou il sera forcé de choisir le dollar québécois pour arrêter l'hémorragie financière.
Le second cercle vicieux est lié à notre fameux problème de la dette. Comme celle-ci serait toujours libellée en dollars canadiens à l'avènement de la souveraineté du Québec, les prêteurs (québécois, canadiens et étrangers) au nouvel État exigeraient un taux d'intérêt plus élevé en cas de possibilité de création d'une devise du Québec (par exemple à chaque fois que le prix du pétrole monte), afin de couvrir un risque accru de défaut avec l'abandon du dollar canadien. Ce risque de défaut serait plus grand, car le Québec aurait plus de difficultés à rembourser ses dettes en dollars canadiens, alors que ses revenus de taxation seraient en dollars québécois dévalués.
Ces hauts taux d'intérêt seraient tout à fait intenables à long terme et forceraient le gouvernement soit à couper sauvagement dans ses dépenses, soit à créer sa propre monnaie et probablement faire défaut sur sa dette, car celle-ci serait alors en dollars canadiens forts, ce qui alourdirait considérablement le poids de la dette.
En Europe, on doit constamment affirmer que l'euro est irrévocable, afin de maintenir sa crédibilité et limiter un exode de capitaux qui forceraient l'éclatement de cette devise. On y parle souvent des coûts immenses associés à l'abandon de l'euro pour un pays comme l'Irlande, le Portugal ou l'Espagne.
Il n'en serait pas différent au Québec. Malgré cela, puisque le choix du dollar canadien n'est pas crédible sans retour vers l'intégration politique et fiscale, l'adoption d'une monnaie québécoise, avec les problèmes qui en découlent sur le financement de la dette en dollars canadiens, serait inévitable.
L'endettement élevé des Québécois - et c'est l'endettement absolu qui compte et non pas celui relatif aux autres pays, a détruit notre libre choix depuis longtemps. Si l'on veut retrouver notre liberté, il faut commencer par une réduction de notre endettement et une amélioration de notre compétitivité internationale. Autrement dit, viser la liberté allemande plutôt que celle de la Grèce.
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Laurent Desbois
L'auteur oeuvre depuis plus de 20 ans dans la gestion des devises. Il était responsable des devises à la Caisse de dépôt lors du référendum de 1995.
Souveraineté : le «dollar québécois» inévitable
viser la liberté allemande plutôt que celle de la Grèce
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