Lost in Translation

The British North America Act, 1867

Tribune libre

Le 30 novembre dernier,le chroniqueur Christian Rioux,du Devoir,signait,en page A-3,un texte en apparence anodin,mais qui,bien lu,soulevait une question d'envergure nationale. Fondamentalement,M. Rioux s'indignait de la servilité linguistique d'un message enregistré qu'il avait entendu suite à un appel téléphonique logé auprès d'un ministère du gouvernement québécois.On lui avait alors demandé «de garder la ligne» afin de «conserver sa priorité d'appel»,tout en l'assurant qu'un «agent serait avec lui bientôt».
En résumé, le journaliste attirait l'attention du lecteur sur le fait que ces expressions constituent en réalité des calques plus ou moins serviles de «keep the line»,«your call priority» et «be with you».C'est «hold the line»,M. Rioux.
À tout événement, le journaliste diagnostiquait, à partir de là, un rapport de dominant à dominé entre le français et l'anglais au Québec.Il y a certainement une bonne part de vérité dans cette constatation, mais la réalité est probablement plus complexe.Comment se fait-il, en effet, que les Québécois acceptent aussi docilement de faire les frais d'un tel rapport dans à peu près tous les domaines de la vie courante?
Le journaliste n'élabore pas sur la question,mais compense avec une surprenante allusion à la version française de la Loi constitutionnelle de 1867.On se demande,en effet,comment M. Rioux a pu ainsi faire le saut d'un simple message enregistré dans la boîte vocale d'une téléphoniste du gouvernement du Québec jusqu'à la version française manquante de la constitution du Canada.Volontairement ou non, M. Rioux a ouvert une fenêtre très intéressante sur les rapports qu'entretiennent entre eux les deux peuples fondateurs du plus beau pays du monde.
Le chroniqueur donne l'impression d'en savoir passablement plus qu'il ne veut bien le raconter sur cette affaire,mais il se garde bien de trop élaborer. En effet,il s'agit-là d'une histoire potentiellement explosive. Et,rares sont ceux,même chez les journalistes,qui se hasardent trop près des explosifs. Et,cela sera encore plus vrai si l'explosion risque de mécontenter l'administration fédérale.Elle est dangereuse, l'administration fédérale.
Mais, mécontentons-la quand même...
Traditionnellement, donc,la version française des lois fédérales était (elle l'est probablement toujours) préparée dans des conditions que les rédacteurs anglophones n'auraient jamais acceptées pour eux-mêmes.Trop souvent formulée à la dernière minute,sa qualité linguistique était déficiente et les critiques ont fini par s'accumuler.Même les juges y allaient parfois de commentaires réprobateurs.
En 1976,donc,le Commissaire au langues officielles,Keith Spicer,frappe un grand coup.Dans un rapport fleuve sur le ministère de la Justice, il recommande que les traducteurs francophones soient placés sur le même pied que les rédacteurs anglophones et prend fermement position pour un relèvement notable de la qualité du français législatif.Les propos du Commissaire étaient ambitieux, en effet.
Au ministère de la Justice,cependant,on était passablement moins entreprenant.Si l'on était disposé à améliorer la qualité de la version française des lois,on était lourdement moins réceptif à l'idée de mettre francophones et anglophones sur le même pied.D'abord,ces derniers n'étaient pas suffisamment bilingues pour traduire en anglais des textes français même moyennement complexes.Et,au même effet, ils n'étaient pas particulièrement enthousiastes non plus à la perspective de devoir traduire en soirée des textes français qu'on leur aurait remis en fin d'après-midi.Il ne faut surtout pas oublier que les deux versions des projets de loi doivent arriver aux Communes en même temps.
Mais, le ministère avait l'impression de devoir agir.Alors,on a embauché deux linguistes européens auxquels on a confié un mandat très fort pour réviser les traductions préparées par les avocats francophones de la Section de la législation.Faut-il conclure qu'il n'y avait pas de linguistes canadiens-français suffisamment compétents pour assumer cette tâche?La question se pose...
Mais, résumons.Avant la «réforme»,donc,les juristes francophones devaient traduire à la hâte des textes anglais que leur remettaient les rédacteurs anglophones.Au moins,ils étaient maîtres de leurs traductions.Après la «réforme», ils devaient toujours travailler à la course à partir de texte anglais préparés dans le grand confort par les avocats anglophones, mais encore devaient-ils aussi soumettre leurs traductions pour reprise quasi intégrale par le linguiste de la Section, Alexandre Covacs.L'autre linguiste oeuvrait au sein d'un autre service.
Brièvement, le linguiste donnait une allure civiliste à la version française.En cela, on prétendait éviter la situation soulevée dans la chronique de M. Rioux.Il fallait,disait-on,respecter le «génie» de la langue française.Le texte anglais, par contre, montrait résolument ses caractéristiques issues de la common law.Tout cela se déroulait à la hâte et aboutissait à l'existence de nombreuses divergences entre les deux versions des lois fédérales.Le processus était magistralement incompétent et les critiques affluaient de toutes part.
Malheureusement, il y avait plus que de la simple incompétence à cette misérable mascarade.Sur la base des différences observables entre les deux versions des lois, le ministère affirmait que les traducteurs francophones étaient désormais sur le même pied que les rédacteurs anglophones.Les francophones étaient en effet contraints d'affirmer publiquement qu'on leur confiait des dossiers de rédaction au même titre qu'aux anglophones.À peu près tous se sont prêtés avec une désoeuvrante servilité à cet exercice aussi méprisant qu'incompétent.
Voyant là une trahison et une condamnable démission face à la corruption, votre humble serviteur a systématiquement refusé de faire pareilles déclarations.Et,il a payé le fort prix.On l'a harcelé pendant des années avant de finalement le congédier en 1988,au vu et au su du Commissariat au langues officielles.Côté harcèlement, le soussigné a eu droit à des appels anonymes, à des inteceptions de courrier, à des entrées par effraction,etc.On même voulu le contraindre à se soumettre à un examen médical administré par un médecin de Santé Canada.Le plus beau pays du monde a des relents d'Union soviétique...
Il fallait ce long détour pour bien comprendre le cas de la version française de la constitution.Aux termes des articles 55 et 56 de la Loi constitutionnelle de 1982,donc,le ministère de la Justice est chargé de préparer dans les meilleurs délais une version française des textes constitutionnels canadiens unilingues anglais.Une fois traduits et adoptés selon la procédure d'amendement appropriée selon les cas, ces textes auront la même valeur que la version anglaise.Plus de trente ans après cette promesse,nous attendons toujours notre version officielle de la constitution.
Le ministère a en fait préparé une version française des textes visés par ces dispositions.À l'époque,un comité a en effet été constitué à cette fin.Le linguiste Covacs préparait une traduction initiale de telle ou telle loi et le premier conseiller législatif Gérard Bertrand allait ensuite la défendre devant un comité de constitutionnalistes chargés de la vérifier.Que se passait-il lors des délibérations de ce comité?Difficile de le dire.Mais,Me Bertrand montrait une confiance indéfectible en M. Covacs.Il est cependant possible d'affirmer qu'un des buts recherché était certainement de reproduire le «génie» de la langue francaise.
Les provinces anglaises n'ont cependant jamais voulu donner leur consentement à l'adoption des textes préparés par le comité.Et,elles s'y refusent en raison de leur crainte d'éventuelles divergences entre les deux versions de la constitution.On pourra lire à cet effet un texte du journaliste Michel Vastel paru le 4 septembre 1996 dans les pages du Soleil de Québec,À quand une constitution en français?Ceux qui le veulent pourront compléter en prenant connaissance d'un texte du soussigné publié sur Vigile le 16/04/12,concernant la nullité de la constitution canadienne.
Comme on l'aura constaté,la chronique de M.Rioux est moins anodine qu'elle peut paraître à première vue.Et,elle apparaît encore plus étonnante lorsque l'on prend connaissance d'un autre incident dont fait mention son article.À bien des égards, les faits relatés par le journaliste constituent un microcosme de ce qui se passait au ministère de la Justice à cette époque.
Le chroniqueur raconte en effet une visite qu'il a effetuée à une succursale bancaire de Montéal.Une employée en formation d'origine latino-américaine l'aurait accueilli en français lors de cette visite.Cette dernière prenait cependant en anglais les instructions de sa formatrice, une autre latino-américaine.En réalité,donc,les choses se passaient en anglais, mais il y avait un peu de français en façade.
C'est exactement ce qui se passait au ministère de la Justice à l'époque visée plus haut.Les avocats francophones, tous des Québécois,traduisaient des textes préparés en anglais.Ensuite, un linguiste européen révisait ces traductions avec un pouvoir décisionnel sur le libellé final.Enfin, pour coiffer la mascarade, les traducteurs québécois étaient contraints d'affirmer qu'ils oeuvraient sur un pied d'égalité avec les rédacteurs anglophones.Et,ils ont à peu près tous accepté de le faire avec une déplorable servilité.En fait,ils étaient même fiers de cette servilité.
On a un peu l'impression d'entendre Stéphane Dion exprimer sa fierté d'être Canadien après qu'on l'ait,là-bas,montré avec de la crotte de pigeon sur la tête et qu'on ait ridiculisé son anglais.Allez,Stéphane,chante-nous un beau Ô Canada...avec les trémolos dans la voix...Celle-là,Stéphane, tu la dois à ta recommandation de «faire mal» à un Québec qui aurait dit oui à l'indépendance pour le faire changer d'idée.
L. Côté


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