INSÉCURITÉ

Un fusil sur la tempe : « C’est simple, les jeunes, on manque d’amour »

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Un fusil sur la tempe : « C’est simple, les jeunes, on manque d’amour »


Mercredi, 8 décembre : la nuit hâtive de décembre fait ce qu’elle peut pour maquiller la laideur du boulevard Curé-Labelle. Ici, Laval a poussé sans se soucier de son apparence. À quelques rues de l’artère commerciale, la cloche vient de sonner dans l’immense édifice aux allures staliniennes de la polyvalente construite en 1962 et qui porte, elle aussi, le nom de l’ecclésiastique mort en 1891.




Il est autour de 16 h 30. Le froid est cru lorsque l’école relâche ses élèves dans le crépuscule.


Sylvain Trépanier attend son fils au volant de son camion, bien au chaud. Curieux de la présence d’une équipe de Radio-Canada à la sortie des classes, il baisse la vitre du côté passager et se penche pour interpeller le photographe Ivanoh Demers. Il lui demande pourquoi nous sommes là.


Ivanoh lui explique que, la veille, nous sommes allés à Laval-Ouest pour essayer de comprendre pourquoi un jeune de 18 ans a été tiré à bout portant alors qu’il se trouvait dans une bibliothèque de banlieue. Il lui dit que nous essayons de saisir ce qui se trame derrière le fléau des armes à feu et des guerres de gangs criminels qui n’épargnent pas la jeunesse de Laval.


En date du 7 décembre, le Service de police de Laval dénombre 39 incidents impliquant des armes à feu sur son territoire. Un intervenant travaillant dans une maison de jeunes du coin nous dit qu’on trouverait peut-être la réponse ici, précisant que les jeunes racontent que pas mal d’armes circuleraient autour de la polyvalente.



« Ben oui. C’est clair qu’il y a des armes qui circulent autour de l’école. »


— Une citation de  Sylvain Trépanier, parent


Justement, mon fils s’est fait mettre le canon d’un fusil sur la tête, il y a quelques semaines à peine, dans le parc, juste ici. Des jeunes l’ont menacé de mort, puis ils l’ont tabassé, raconte le père de famille.


Maxime arrive dans l'entrefaite et monte dans la voiture. C’est un adolescent à l’allure robuste. Il porte le chandail de l’équipe de football de l’école, les Loups. Je lui demande s’il a eu peur. Non. J’ai gardé mon sang-froid. Je suis resté très calme, répond-il en affichant une indifférence détachée.


Son père est plus volubile. Les jeunes qui ont menacé son fils avec une arme à feu et qui l’ont tabassé ont été arrêtés; ils font face à des accusations sérieuses de menaces de mort, de complot, etc. Il ne comprend pas pourquoi des jeunes traînent sur eux des armes à feu.


Ahmed Boubou pose derrière le comptoir de son commerce.

Ahmed Boubou est propriétaire d’un restaurant à Laval.


Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers




Ahmed Boubou est propriétaire d’un restaurant où vont manger les adolescents de la polyvalente le midi. Parfois, je constate que les enfants ont des pistolets dans leur sac d’école ou des couteaux, relate-t-il.







Le restaurateur arbore le chandail de l’équipe de football de la polyvalente. Il s’inquiète pour ses jeunes clients et pour ses propres enfants. Un jeune qui fréquentait son restaurant est mort, poignardé par un autre jeune homme, en janvier 2020.


M. Boubou tente de comprendre. C’est tellement triste. Les parents sont très occupés au travail et n’ont pas assez de temps pour parler avec leurs enfants, leur indiquer quel est le bon chemin à prendre, affirme-t-il.


En novembre dernier, deux jeunes de 17 ans ont été tabassés devant la polyvalente. Pendant la bagarre, des coups de feu ont été tirés. M. Boubou affirme que, depuis l’incident, il y a plus de policiers dans le secteur.



« On doit faire quelque chose, on peut faire quelque chose. On ne veut pas que ça devienne comme les États-Unis, ici. »


— Une citation de  Ahmed Boubou, propriétaire d’un restaurant


Marie-Rose Denis attend l’autobus, la tête recroquevillée dans le col de son manteau. J’aimerais me sentir en sécurité à l’école et ne pas être craintive. Je n’aime pas ma génération; elle est violente. Il n’y a pas de bonheur, pas d’harmonie, avoue-t-elle.


L’adolescente est nostalgique du temps où elle étudiait au primaire. Il y a tant d'indifférence devant le mal qu’on peut faire aux autres. Je ne sais pas pourquoi, dit-elle en frissonnant.


Un adolescent pose dans la neige devant son école.

Julien fréquente l'école secondaire Curé-Antoine-Labelle à Laval.


Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers




Julien, qui a 17 ans et étudie en cinquième secondaire, lui, le sait. Alors, comment expliquer la violence chez les jeunes? Et la multiplication des incidents avec armes à feu? Sa réponse fuse, toute simple sans être simpliste.







Le grand jeune homme au regard clair me regarde dans les yeux. C’est simple à expliquer : les jeunes manquent d’amour! Il répète. La violence, c’est dû au manque d’amour; c’est ça.


Au mois d’août dernier, la police de Laval a investi 1,2 million de dollars pour lutter contre l’essor des gangs criminels à Laval et le trafic d’armes à feu. Mais comment lutter contre le manque d’amour? Ça, c’est beaucoup moins évident.


À la Maison des jeunes de Laval-Ouest, François Vermette, qui dirige l’organisme depuis 15 ans, pense la même chose que Julien, même s’il le formule différemment. Les jeunes qu’il côtoient ont peur, constate-t-il. La violence les stresse. Le problème, c’est que les jeunes qui tombent dans le piège de la violence se sentent valorisés par ça, note-t-il.


François Vermette assis derrière un bureau.

François Vermette dirige la Maison des jeunes de Laval-Ouest.


Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers




La pièce où nous nous trouvons est plongée dans la pénombre, mais un mince filet de lumière entre par la fenêtre et éclaire seulement le grand tableau sur le mur où est épinglée une affiche sur laquelle il est écrit : confiance en soi.


François Vermette cite des paroles de la chanson Tenir debout, de David Portelance, interprétée par Fred Pellerin : C’est dans la pénombre que la lumière est belle. Il ajoute : Comme société, il y a quelque chose à faire; ça prend un village pour élever un enfant. Les parents sont débordés, mais c’est le job de tout le monde de les aider et de les aimer, les jeunes.




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