Il est sans doute vrai qu'on parle trop peu d'Adélard Godbout, sous lequel le Québec accorda le droit de vote aux femmes. C'est bien pendant son règne qu'on nationalisa la Montreal Light, Heat and Power et que les bases d'Hydro-Québec furent par le fait même jetées.
Il est toutefois difficile d'admettre que Godbout est le chantre de la liberté que dépeint Bernard Amyot ([«Adélard Godbout, la mémoire occultée»->2001], Le Devoir, le 18 septembre 2006). C'est lui qui, le 13 mars 1944, en pleine Deuxième Guerre mondiale, écrivait à Louis St-Laurent, alors ministre fédéral de la Justice, que «j'ai eu l'occasion, récemment, de vous exprimer mon opposition à tout projet d'immigration massive au Canada». Le premier ministre se faisait alors le porte-parole d'une quantité d'individus et d'associations partageant ses opinions. Il faut dire que tout un mouvement d'opposition à l'immigration s'était dessiné dans le Québec des années de guerre. Loin de s'y opposer, Godbout y donna son appui. C'est cela que vous appelez un «juste» d'une «intégrité irréprochable», M. Amyot ?
D'après ce que vous dites, on peut fort bien penser que vous connaissez très mal l'histoire du Québec durant la période où gouverna votre héros. Vous sous-entendez que l'Ordre de Jacques-Cartier applaudissait aux déclarations anticonscriptionnistes de Maurice Duplessis. S'il est vrai que la Patente avait demandé à ses membres de voter non au plébiscite, elle leur fit par la suite parvenir une lettre leur expliquant qu'ils pouvaient agir comme bon leur semblait à propos de la conscription. On lui doit également une circulaire où elle exigeait que des encouragements soient régulièrement donnés aux «frères» sous les drapeaux.
Des appuis nationalistes
Faire de Lionel Groulx et de Georges Pelletier des admirateurs de «la collaboration avec les nazis» démontre par ailleurs une méconnaissance des positions que défendirent les nationalistes durant la guerre. On peut reprocher à ceux-ci diverses déclarations. Force est cependant d'admettre que nombre de nationalistes, tout en se disant neutres, appuyèrent les alliés.
Il est à cet égard particulièrement intéressant d'examiner les actions des groupes de jeunes nationalistes, c'est-à-dire ceux qui, parmi cette famille d'idées, étaient en âge d'aller se battre. D'après ce qu'on en sait, trois mouvements de jeunes nationalistes oeuvrèrent au Canada français durant les principales années de la guerre. Seule l'histoire de deux d'entre eux nous est relativement bien connue.
L'Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC) était alors dans une période de difficultés. Elle avait peu de membres et de moyens. Elle essaya cependant de se faire reconnaître comme une organisation charitable pouvant aider les soldats dans les camps d'entraînement. Elle souhaitait globalement imiter la Croix-Rouge. Ce sont les problèmes qu'elle connaissait qui l'empêchèrent de mener ce projet à son terme.
Le cas des Jeunes Laurentiens est beaucoup plus intéressant. Ces derniers furent certainement les jeunes les plus actifs contre la conscription. Ils participèrent à une dizaine de réunions aux côtés de la Ligue pour la défense du Canada. Paul-Émile Robert, un de leurs présidents, fut même arrêté pour un discours jugé défavorable à l'effort de guerre. Le chanoine Lionel Groulx finit par ailleurs par devenir leur aumônier.
Vous croyez que les Jeunes Laurentiens étaient des défaitistes admirant le régime de Pétain ? Non, au contraire : plusieurs adhérents étaient des soldats. Un de ceux qui étaient présents lors de l'arrestation de Robert s'enrôla dans l'Aviation royale canadienne.
Les membres civils considéraient en fait les engagés comme des héros. Dans certains cercles de Jeunes Laurentiens, on mit sur pied des comités pour envoyer des cadeaux à ceux-ci et établir une correspondance régulière avec eux. D'autres cercles décidèrent de participer aux emprunts de la victoire en se donnant des objectifs élevés.
Il faut arrêter de présenter Adélard Godbout, Jean-Charles Harvey et Jean-Louis Gagnon comme des phares dans une noirceur opaque. Le passé est beaucoup moins simple et moins manichéen qu'on tente souvent de le faire croire.
David Rajotte
_ Historien
Un juste, vous dites?
Par David Rajotte
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