Un pays chanceux

Budget Harper 2012



Le Canada est un pays chanceux. Alors que de nombreux pays industrialisés se débattent avec une reprise anémique quand ce n'est pas carrément avec une récession, le Canada surfe sur la vague du prix élevé des ressources naturelles qu'il exporte.
À moins qu'un accident toujours possible ne survienne, le gouvernement fédéral devrait donc compter au cours des prochaines années sur une croissance somme toute assez vigoureuse de ses recettes. Il devrait aussi compter sur la persistance des taux d'intérêt faibles qui lui permettront de continuer d'économiser des milliards de dollars sur la facture du service de sa dette.
Prudemment et en accord avec sa philosophie conservatrice, le gouvernement du premier ministre Stephen Harper a décidé d'épargner la majeure partie de cette manne et de ne dépenser dans de nouvelles initiatives qu'une partie seulement de ce qu'il réussit à couper ailleurs. À moins d'une détérioration marquée de l'environnement économique mondial et surtout d'une baisse importante du prix des ressources naturelles exportées, le Canada devrait donc renouer avec l'équilibre budgétaire dès l'exercice 2014-2015, soit juste à temps pour le déclenchement de la prochaine élection fédérale.
Bien sûr, le gouvernement fera grand cas de ses nouvelles initiatives de dépenses, notamment de celles qui visent à encourager la recherche industrielle, l'innovation et l'entrepreneuriat. Ces initiatives sont sans doute valables, mais elles n'absorberont en définitive qu'une toute petite partie des économies de plus de 5 milliards de dollars réalisées ailleurs.
Globalement, le ministre des Finances, Jim Flaherty, soumet la croissance des dépenses de programmes du gouvernement au rythme qui ramènera le poids de l'administration fédérale dans l'économie canadienne à ce qu'il était au moment où les libéraux de Paul Martin ont quitté le pouvoir. En ce sens, les conservateurs de Stephen Harper ne feront donc que remettre le compteur budgétaire à zéro.
Pourtant, le Canada que Stephen Harper souhaite ramener au statu quo ex ante en matière budgétaire est bien différent de celui de l'ère Chrétien-Martin. Ce Canada nouveau doit bien peu à la manufacture et aux exportations vers les seuls États-Unis et incommensurablement plus aux ressources naturelles et aux exportations mondiales.
En annonçant l'accélération du processus d'examen des grands projets économiques en même temps que la multiplication aux quatre coins de la planète des initiatives de libre-échange, le budget déposé par le ministre Flaherty ne pourrait être plus clair. À terme, nous verrons sans doute les pipelines pointer vers les ports du Pacifique d'où le pétrole sera embarqué pour la Chine.
Si tout se passe comme prévu, c'est-à-dire si les prix du pétrole, de la potasse et des métaux se maintiennent à leur niveau actuel élevé sur les marchés mondiaux, les conservateurs de Stephen Harper devraient être en mesure de présenter aux Canadiens le discours qu'ils souhaitaient leur tenir au terme de leur premier mandat majoritaire. Le déficit aura été éliminé sans puiser dans les poches des contribuables et la diversification internationale des exportations des régions ressources du Canada livrera les recettes fiscales qui leur permettront d'annoncer de nouvelles baisses d'impôt aux électeurs de ses grandes régions urbaines. C'est en ce sens que le budget déposé par le ministre Flaherty n'est pas seulement prudent, il est éminemment conservateur.
Il ne reste qu'à voir si la chance continuera d'accompagner le Canada et par ricochet, le gouvernement, et quels seront la stratégie et le discours alternatifs que voudra mettre de l'avant l'opposition nouvellement dirigée par Thomas Mulcair.
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Martin Coiteux
L'auteur est professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal.


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