Une minière poursuit un village du Québec pour 96 millions

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La lutte d'une petite localité contre une entreprise anglo-canadienne

Quelques jours après le rejet de la requête d’une pétrolière contre Ristigouche-Partie-Sud-Est, la petite municipalité de Grenville-sur-la-Rouge est ciblée par une poursuite d’une ampleur sans précédent au Québec, cette fois de la part d’une compagnie minière de Vancouver. Celle-ci lui réclame 96 millions de dollars en raison du blocage d’un projet de mine à ciel ouvert.


L’entreprise Canada Carbon souhaite exploiter une mine à ciel ouvert de graphite et de marbre sur le territoire de la municipalité, située à une heure de route à l’ouest de Montréal, dans les Laurentides. Ce projet, développé depuis 2013, doit créer une cinquantaine d’emplois directs pendant environ une décennie.


Jusqu’aux élections municipales de novembre dernier, les élus de Grenville-sur-la-Rouge étaient d’ailleurs favorables au projet de la minière, qui possède près de 100 km² de permis d’exploration dans cette région reconnue comme une destination de villégiature.


Le portrait a toutefois changé en novembre, puisque le conseil municipal qui a alors été élu a fait campagne en signifiant clairement son opposition à l’implantation de la mine. Dès décembre, il a d’ailleurs modifié le règlement de zonage municipal de façon à bloquer les projets d’exploitation minière.

 


 


Au début de l’année, le conseil a aussi adopté une résolution formelle d’opposition au projet Miller de Canada Carbon. La résolution indique que les ressources en eau potable seraient menacées par le projet, mais aussi que celui-ci pourrait « entraîner une importante défiguration du paysage » et nuire aux projets de développement liés au tourisme et à l’agriculture.


On y souligne également que la municipalité ne pourrait se permettre « la perte nette de sa valeur foncière » en raison de l’implantation de la mine, mais aussi que les infrastructures municipales n’ont pas été construites pour répondre aux besoins de transports intensifs de la minière.


Le blocage du projet par la municipalité a eu pour effet de stopper récemment l’analyse du dossier déposé par Canada Carbon à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), qui devait autoriser le développement dans ce secteur zoné agricole. La minière vient d’ailleurs de porter en appel la décision de la CPTAQ devant le Tribunal administratif du Québec.


96 millions


En parallèle de cette démarche, Canada Carbon vient surtout d’intenter une poursuite sans précédent de la part d’une entreprise minière contre une municipalité du Québec.


Selon ce qu’on peut lire dans les documents déposés en Cour supérieure, l’entreprise juge que la résolution adoptée en décembre « est abusive, illégale et a été adoptée de mauvaise foi, malicieusement et dans la seule intention de nuire à [Canada Carbon] et de bloquer son projet de mine et de carrière ».


Selon la minière, cette résolution fait partie de « la croisade entreprise par les membres du conseil municipal avant qu’ils ne le deviennent […] ». Elle souligne du même coup que son projet « est légal et conforme à la réglementation d’urbanisme applicable ».


La minière réclame donc l’annulation de la résolution municipale qui bloque son projet. Elle exige aussi une somme de 96 millions de dollars à la municipalité, aux conseillers et au maire, qu’elle juge « responsables de lui rembourser tous les dommages causés par la fermeture » de la demande à la CPTAQ et de la « non-réalisation du projet ». Ce montant équivaut à 20 fois le budget annuel de Grenville-sur-la-Rouge, une municipalité d’environ 2800 habitants.


L’entreprise Canada Carbon n’a pas répondu aux questions du Devoirlundi. Même chose du côté de la CPTAQ.


Le maire de la municipalité, Tom Arnold, s’est limité pour sa part à lire une déclaration écrite : « La municipalité a agi de bonne foi dans ce dossier conformément à ses pouvoirs. Elle déplore vivement que Canada Carbon puisse demander aux tribunaux d’annuler la résolution adoptée par la municipalité et de faire reconnaître ses droits à exploiter son site, tout en réclamant en même temps une somme de 96 millions de dollars. »


Milieu fragile


Opposant au projet de mine à ciel ouvert et propriétaire d’un terrain situé près du site, Normand Éthier a rappelé lundi que l’opposition au projet a pris de l’ampleur au cours des dernières années. « Il n’y avait pas d’acceptabilité sociale pour le projet, a-t-il expliqué au Devoir. On sait que la mine causerait des dégâts au paysage dans un secteur de villégiature situé au-dessus d’un aquifère important et près d’une centaine de propriétés. »


« La question fondamentale qui se pose ici est la suivante : qui dirige le développement régional au Québec ? Est-ce que ce sont les compagnies privées, ou alors les citoyens qui, dans leur municipalité, peuvent avoir leur mot à dire sur le développement de leur milieu ? C’est la même question qui se posait à Ristigouche », a ajouté M. Éthier.


Professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, David Robitaille estime non seulement que cette requête « ressemble à une poursuite-bâillon », mais aussi qu’elle a « d’importantes similitudes avec la cause de Ristigouche ».


« Dans sa décision dans le dossier Ristigouche, la Cour supérieure reconnaît le rôle important et légitime des municipalités en matière de protection de l’environnement et de santé publique. La Cour souligne l’importance démocratique des gouvernements de proximité et de l’intérêt public citoyen. Elle reconnaît aussi le principe de précaution en matière environnementale. Ces principes sont tout à fait pertinents dans cette nouvelle affaire », a expliqué Me Robitaille.


Pour le porte-parole de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, Ugo Lapointe, la requête de Canada Carbon est tout simplement abusive. « Cette minière de Vancouver échoue clairement au test de l’acceptabilité sociale. 


> La suite sur Le Devoir.



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