Un peu plus de cinq ans après les recommandations du rapport du groupe de travail L’information à Québec, un intérêt public, qui recommandait l’intervention gouvernementale en soutien aux entreprises de presse, voici que bon nombre d’entre elles réclament aujourd’hui cette aide financière. Il est clair que la situation que nous jugions critique en 2011 n’a cessé de se détériorer et que l’intervention de l’État est urgente et nécessaire. Cette demande soulève cependant beaucoup de questions. Cette aide publique, sous forme de crédits d’impôt, de soutien à la masse salariale, par exemple, serait versée directement à des entreprises de presse. Elle risque fort de ne pas servir la population si l’on n’y associe pas des mesures visant à promouvoir une information de qualité. Elle exige également une reddition de comptes sur les objectifs poursuivis comme l’exige la saine gestion des fonds publics. Comment le faire tout en préservant la liberté des entreprises de presse ? Il faut inventer des modalités qui mettront une certaine distance entre les médias et l’État, un corps intermédiaire, susceptible de faire l’analyse, la gestion et le bilan de ces investissements. Voilà l’un des enjeux.
C’est notamment ce que nous indiquent clairement des critiques du modèle français d’aide à la presse, un modèle de financement direct des entreprises. Trois études ont fait cette démonstration en France où l’État intervient directement. En 2008, les débats lors des États généraux de la presse écrite ont mené là-bas à un plan d’aide de plus de 600 millions sur trois ans, reconduit depuis, venu s’ajouter aux aides directes et indirectes qui existaient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour la seule année 2010, l’année étudiée par le GTJAIQ, les formes d’appui direct à la presse en France ont totalisé 578 millions d’euros en incluant le financement de l’Agence France-Presse. On estime les aides indirectes, comme l’exonération d’impôts, à 200 millions d’euros. Le journal Le Monde a reçu, entre 2009 et 2011, l’équivalent de 19 centimes d’euro par exemplaire. Le journal La Croix, 32, Le Nouvel Observateur 29, soit la même somme que Télérama, et L’Humanité détient le record avec 48 centimes par exemplaire.
En 2010, le GTJAIQ a demandé au sociologue français spécialiste des médias Jean-Marie Charron de commenter ces aides publiques généreuses. Il est sévère. Selon cet expert, les aides publiques françaises sont multiples, coûteuses, et pas toujours efficaces. M. Charon conclut que l’État français investit mal et que les aides en place ne favorisent pas les contenus : « La presse française paie trop cher pour sa fabrication, alors qu’elle n’investit pas ou ne peut pas investir suffisamment dans ses contenus (effectifs, qualités, moyens affectés aux rédactions). »
À son tour, le consultant Aldo Cardoso a été mandaté par l’administration française pour repenser la gouvernance des aides publiques à la presse. Dans son rapport remis en septembre 2010, il reconnaît que « l’information politique et la presse permettent aux citoyens de participer à la vie publique, pour autant que les titres respectent les termes d’un engagement déontologique ». Comme il l’indique, « la plupart des interlocuteurs rencontrés par la mission s’accordent sur la nécessité de repenser les fondements de cette intervention et de passer d’une logique visant à aider “des acteurs et une industrie” à une logique dédiée à l’accompagnement d’une “fonction” (celle d’informer) ».
Plus récemment, en 2014, la Cour des comptes cette fois, l’équivalent français de notre bureau du Vérificateur général, estime, au terme d’un volumineux rapport, que « les résultats [sont] décevants au regard des attentes et des moyens engagés ».
Ces mises en garde sont sérieuses. Elles signifient qu’il faut trouver des modalités qui permettent de résoudre deux difficultés principales liées aux aides publiques aux médias : premièrement, s’assurer que ces aides publiques serviront bien l’information d’intérêt public et, deuxièmement, qu’elles protégeront les médias du fil à la patte que peut constituer un soutien direct de l’État.
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LE FINANCEMENT DIRECT DES ENTREPRISES DE PRESSE
Une solution loin d’être exemplaire
L’État doit chercher à favoriser d’abord la mission d’informer des médias
L’intervention de l’État est urgente et nécessaire
Dominique Payette3 articles
Professeure de communication à l'Université Laval et directrice du Groupe de travail sur le journalisme et l'avenir de l'information au Québec
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