Une tache de honte sur le drapeau français

Élection présidentielle française



Nicolas Sarkozy et son gouvernement ont ouvert une campagne de désignation de boucs-émissaires à l’intérieur de la société française. Ils ont d’abord organisé un débat sur l’identité nationale de manière à remettre en question le principe fondateur de la République française selon lequel les origines individuelles et les convictions personnelles s’effacent devant le contrat social. Plus récemment, dans un discours, prononcé à Grenoble le 30 juillet 2010, M. Sarkozy a stigmatisé les Roms et évoqué une discrimination juridique entre les Français les plus anciens et les plus récents, lesquels pourraient être déchus de leur nationalité en cas de condamnation pénale grave. Pour l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, il s’agit là d’une faute morale qui entache l’honneur du pays et porte atteinte à l’essence de la Nation française.
Il aura suffi d’un discours à Grenoble et d’un été, d’un seul été, pour que tout bascule, de la lutte contre l’insécurité à l’indignité nationale. Je dis bien « nationale » car le président de la République nous engage tous. Et si on en doutait, il suffirait alors de lire la presse étrangère, des Etats-Unis à l’Inde en passant par les journaux européens, pour mesurer l’effarement devant le visage méconnaissable de la patrie des droits de l’homme. Il suffirait d’écouter les voix qui s’élèvent du Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale pour condamner la recrudescence raciste et xénophobe.
Et pourtant me direz-vous, rien n’a changé. Nous savons pertinemment, les uns et les autres, que ces projets d’élargissement de la déchéance de nationalité française ne pourraient déboucher sur rien de concret, rien d’efficace. Nous savons notre arsenal juridique suffisant, à l’instar de l’article 25 du code civil.
Nous savons surtout que de tels projets, même mis en œuvre, ne changeraient rien aux difficultés quotidiennes de nos compatriotes. C’est d’ailleurs la preuve que la surenchère sécuritaire n’a d’autre but que la provocation et la division pour assurer la conservation du pouvoir au service d’intérêts personnels. Des solutions existent pourtant.
Cela exige de rassembler tous les acteurs, notamment les maires et les associations, de mobiliser avec raison et détermination tous les instruments de la prévention et de la répression en reconnaissant l’ampleur de la question sociale, économique, éducative.
Rien n’a changé, et pourtant tout a changé. Changé, le regard sur les autres – Roms, gens du voyage, immigrés, musulmans… Changé, le regard sur la France, pays qui jadis avait des repères, des principes. Changé, notre regard sur nous-mêmes, entre citoyens français et « citoyens d’origine étrangère » quand l’article premier de notre Constitution « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Il ne s’agit pas là de simples détails, car nous ne pouvons oublier, au-delà de l’indigne, jusqu’où peuvent conduire ces jeux-là. Erreur, dit le philosophe… Non ! Faute. Faute morale, faute collective commise en notre nom à tous, contre la République et contre la France. Il y a aujourd’hui sur notre drapeau une tache de honte.
Réagir en conscience
Se taire, c’est déjà être complice. Il appartient à chaque Française, à chaque Français, de réagir en conscience, quels que soient son âge et sa condition et où qu’il se trouve, à Paris ou en province, pour marquer à sa façon son refus de cette dérive inacceptable. Le défi pour les responsables politiques est sans doute le plus difficile, comme en témoignent le malaise à droite, le flottement à gauche et les incertitudes au centre. Il implique de se hisser au-delà des arrière-pensées électorales et des clivages partisans.
Une fois de plus, il serait tentant de jouer tactique, habileté contre habileté, calcul contre calcul, ruse contre ruse, mais ce serait se tromper de combat. Le moment vient où les yeux des plus naïfs, des plus incrédules vont enfin s’ouvrir. La rupture entre le sommet de l’Etat et la nation est en marche, quoi qu’on veuille faire dire aux sondages d’opinion.
Il y a aujourd’hui un devoir à remplir pour tous les républicains de France, face à l’hydre qu’un président et ses courtisans voudraient réveiller au fond de chacun de nous, face à la tache qui menace de flétrir l’idée même que nous nous faisons de la France. Un devoir de refus. Un devoir de rassemblement.
Un devoir de courage politique pour préparer l’alternative républicaine qui s’impose. Un devoir que nous devons assumer tous ensemble, aussi longtemps qu’il faudra, avec toute l’énergie qu’il faudra.

Dominique de Villepin
Ancien secrétaire général de l’Élysée (1995-2002), ancien ministre français des Affaires étrangères (2002-2004) et de l’Intérieur (2004-2005), Premier ministre (2005-2007). Président de République solidaire (depuis 2010) :

Source Le Monde (France)
Diffusé à 400 000 exemplaires, Le Monde est le quotidien phare d’un vaste groupe de presse français comprenant des quotidiens régionaux (Le Midi libre, L’Aveyronnais, etc.), des revues catholiques (Télérama, la Vie, Le Monde des religions, etc.), des revues culturelles (Notre histoire, Les Cahiers du cinéma, etc.), des publications pour le jeunesse (Papoum, P’tites princesses, etc.) et des revues de politique étrangère (Le Monde diplomatique, Courrier international).
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Ancien secrétaire général de l’Élysée (1995-2002), ancien ministre français des Affaires étrangères (2002-2004) et de l’Intérieur (2004-2005), Premier ministre (2005-2007). Président de République solidaire (depuis 2010) :





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