Le pétrole fera-t-il éclater l'ordre constitutionnel canadien ?
6 juin 2017
@ Jean-Claude Pomerleau
Il faut rappeler que l'oléoduc Trans Mountain vise à tripler la capacité existante de 300 000 à 890 000 barils par jour, dont le coût en capital est estimé à 7,5 G $. Le promoteur Kinder Morgan, basé à Houston USA, a décidé de créer une filiale publique canadienne avec un premier appel public à l'épargne ("IPO") de même qu'une émission d'obligations pour financer le tout; déjà le prix de l'IPO a reculé et on verra bien pour le prix des obligations. Cela nous indiquera comment le marché perçoit le nouveau gouvernement à Victoria.
Mais il y a plus: La compagnie nationale malaisienne Petroliam National Bhd veut construire un terminal méthanier de 27 G $ à Prince-Rupert, toujours au BC, pour le gaz naturel. Il semblerait que plusieurs projets sont en marche pour détrôner le Qatar qui possède l'un des plus grands réservoirs de gaz naturel au monde, dont une partie s'étend en Iran (d'où la nécessité d'avoir de bonnes relations avec ce voisin) et le plus rentable au grand dam de compétiteurs, dont l'Arabie saoudite... Le Qatar est le plus grand exportateur de gaz naturel. Encore une fois, l'énergie est au cœur de la géopolitique.
Pour revenir précisément à la question posée, il faut rappeler les faits suivants:
1) La dette totale canadienne a maintenant franchi le cap de 300% (dette-PIB) et elle croît actuellement à un taux d'environ 5% par année. À ce rythme, nous aurons une dette comparable à la Grèce en 2025;
2) Le Canada a un déficit commercial chronique depuis 2008, même au moment où le prix de pétrole était de 135 $ le baril. Ce déficit atteint déjà 2 G $ pour les 3 premiers mois de l'année 2017, malgré l'amélioration à (300 M) $ au dernier mois grâce "à la remontée du prix du pétrole et la vente accrue de pièces d'automobiles ontariennes".
Cela traduit la désindustrialisation du Canada et la rude compétition sur le marché des ressources naturelles. Il n'y actuellement aucune alternative industrielle d'envergure pour combler et faire face à ce déclin. Ceci est corroboré par la faiblesse des investissements privés autres qu'immobiliers;
3) Il y a une surchauffe des marchés immobiliers à Toronto et Vancouver et la faiblesse de l'économie empêche le Ministre Morneau d'augmenter les taux d'intérêts. L'éclatement de la bulle immobilière au Canada entraînerait une grave crise financière et plongerait le Canada dans une récession très dure et, surtout, très longue avec un taux de chômage élevé et durable. La situation du Canada ressemble beaucoup à celle de l'Espagne et de la Grèce.
C'est la fuite par avant du Canada. L'important est de gagner du temps avant d'enclencher une orgie de projets d'infrastructures dès le printemps de 2018 de façon à maximiser les retombées, environ 18 mois, soit Octobre 2019...;
4) La Banque d'infrastructures, basé à Toronto, signale la précarité des finances publiques au Canada et les moyens réduits du Canada à faire face, vu son endettement très élevé, à la baisse des investissements privés. Que seront-ils ? Des oléoducs, des gazoducs ?
À mon avis, le Canada n'implosera pas à court terme, mais les signes se multiplient. Parmi ceux-ci:
A) Le Canada c'est l'Ontario. Une série d'initiatives seront mises en place pour cannibaliser tout ce qui sera possible pour renforcer l'Ontario. Cela veut dire que nous allons observer une centralisation accrue à Ottawa et à Toronto. Le Québec va payer et pas uniquement le Québec.
Cela va générer des frustrations croissantes parmi les provinces. La centralisation fédérale va entraîner de l'austérité supplémentaire au Québec pour compenser. Qui dit centralisation dit inégalités;
B) La tendance baissière du pétrole aura pour impact une chute des revenus fiscaux du Canada et un dérèglement de la péréquation en faveur des nouvelles provinces pauvres (Alberta et Saskatchewan);
C) La fragilisation du secteur automobile vers 2021-2025, presqu'exclusivement Ontarien, va entraîner une crise budgétaire majeure au Canada. Des pans entiers de "pouvoirs fédéraux moins utiles" vont atterrir dans la cour des provinces. Ottawa ne conservera que les symboles ultimes...
Bref, j'entrevois une période de fragilisation entre 2017 et 2021. Par la suite, une période de dislocation entre 2021 et 2025. Le Canada ne pourra survivre qu'en étant très décentralisé. Ce faisant, la Constitution de 1982 en deviendra son tombeau.
Très bon texte Monsieur Pomerleau.