Attentat de Bayonne : empêcher la guerre civile

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La gauche laïcarde dépassée par les évènements

Ça a fini par arriver. Et les réactions à l’attentat de la mosquée de Bayonne nous montrent l’état catastrophique d’une France vivant depuis des années dans des tensions et des drames sans que ses gouvernants soient le moins du monde capables de contenir les forces centrifuges qui travaillent à son délitement.


Marianne se bat depuis ses débuts pour qu’il soit possible de nommer les faits sans être aussitôt accusé de « faire le jeu » de qui que ce soit. Aussi faut-il l’écrire avec clarté : ce qu'il s’est passé à Bayonne est un attentat motivé par une haine envers les musulmans. Pour la première fois sur notre sol, des musulmans sont blessés par balle parce que musulmans.


Il n’y a aucun sens à opposer terroriste et déséquilibré


On peut constater que le coupable est visiblement déséquilibré, ce qui nous ramène à ce que nous avons déjà écrit à propos de tous ceux auxquels ce terme a été accolé quand ils ont tué au cri de « Allah Akbar » : le passage à l’acte d’une personne fragile et pétrie de ressentiment est bien évidemment lié au contexte qui lui permet de raccrocher son acte à une idéologie, de sorte qu’il n’y a aucun sens à opposer terroriste et déséquilibré, même si il s’agit d’individus isolés qui ne sont pas de même nature que les commandos du 07 janvier et du 13 novembre 2015.


Cet acte délirant de la part d’un vieil homme à la dérive est, bien sûr, totalement isolé, dans un pays qui a fait preuve, avec 263 morts depuis les tueries commises par Mohammed Merah en 2012, d’un sang-froid incomparable puisque, les études d’opinion l’ont prouvé, aucune défiance générale vis-à-vis des musulmans ne s’est manifestée. Mais il constitue, justement pour cela, un terrible précédent. Et l’argument qu’attendaient certains pour brandir leurs slogans sur l’islamophobie supposée de la France. L’outrance des réactions, sur les réseaux sociaux, traduit d’ailleurs cet inquiétant climat de guerre civile que chacun ressent confusément.


D’un côté, ceux qui habituellement brandissent comme un totem cette injonction, « pas d’amalgame », et qui ne voient absolument aucun lien entre l’islam politique construit sur le refus de la communauté nationale et le passage à l’acte des djihadistes, prononcent cette fois une sorte de culpabilité collective allant du Rassemblement national à la gauche républicaine et laïque, en passant par quiconque exprimerait ses réticences sur la visibilité de l’islam dans l’espace public. De l’autre, ceux qui dénoncent habituellement le déni des pouvoirs publics et leur refus de voir dans le terrorisme une conséquence des prêches de l’islam radical pratiquent cette fois le déni à échelle industrielle. Ce passage à l’acte n’aurait « rien à voir » avec une idéologie considérant que « les musulmans » dans leur globalité seraient impossibles à intégrer. Pensée réflexe, en noir et blanc. L’autre est un salaud. Choisis ton camp, camarade.


Il y a quelque chose de tragique à voir ce pays sombrer peu à peu dans la division et la haine. Quelque chose de tragique à voir des esprits autrefois lucides, à cause du silence de ceux qui devraient porter une vision et proposer un chemin, considérer désormais la juste mesure comme une marque de faiblesse, quand la juste mesure et l’honnêteté intellectuelle sont ce qui peut encore empêcher des affrontements communautaires dont le terreau est déjà là.


Les Français, dans leur immense majorité, attendent que leurs représentants portent ce projet fédérateur. Mais de la part de ceux qui sont au pouvoir, ils n’ont droit qu’à un silence gêné et quelques mots creux


La France comme civilisation et la République comme organisation d’une communauté politique sont pourtant les plus éclatantes réponses à ce qui nous menace. La France parce qu’elle a, dans son histoire, par sa littérature comme par ses mœurs, inventé une façon d’être au monde dont la perpétuation est en soi un projet magistral face aux régressions humaines que porte ce XXIe siècle. La République parce que, pleinement appliquée – et non dans sa forme affadie et dénaturée que nous en proposent les politiques de tous bords –, elle est le régime qui évite les affrontements communautaires et intègre chacun, d’où qu’il vienne, pour constituer une communauté d’hommes libres.


Les Français, dans leur immense majorité, attendent que leurs représentants portent ce projet fédérateur. Mais de la part de ceux qui sont au pouvoir, ils n’ont droit qu’à un silence gêné et quelques mots creux. De la part des autres, des instrumentalisations et des postures. Le degré de haine et de rancœur qui s’exprime dans l’anonymat des réseaux sociaux devrait pourtant nous mobiliser. Mais si cet épisode n’aboutit qu’à rendre encore un peu plus impossible une défense de la laïcité en tant que principe politique, c’est-à-dire la préservation d’une forme de discrétion dans l’espace public, pour qu’il reste le lieu de ce qui nous rassemble et non de ce qui nous divise, alors, nous aurons perdu. Si cet épisode ne permet pas de mettre en œuvre une politique d’intégration autour des valeurs non négociables qui sont les nôtres, alors, nous aurons franchi un pas vers la guerre civile.