Le Bloc Québécois, à l'instar de d'autres partis politiques, se trompe fondamentalement quand il soutient que les Québécois sont « différents ». Est-ce un travers compréhensible, vu la durée des opérations de notre brave Corps expéditionnaire dans les Pays-d'en-Haut ? D'aucuns y semblent subir graduellement l'influence du paysage mental de l'immense majorité des habitants d'Amérique du nord, aux yeux desquels les Québécois sont effectivement « différents ». De qui ? De cette majorité nord-américaine, bien entendu. “You know, those French in Quebec, they are really different from the majority of North Americans. They speak French, an odd kind of French at that. It's a minority in Canada.”
[Dans Le Devoir (13 octobre), le ministre libéral Benoît Pelletier partage la même évanescence identitaire que le Bloc.->2326] Selon lui, la nation québécoise « vit sa différence au quotidien et est soucieuse de la voir s'épanouir » ! Selon lui, parce qu'il constitue une société minoritaire à l'échelle de l'Amérique, le Québec doit développer sa « spécificité ». Tout un programme ! Le brave homme serait vite remis d'aplomb s'il bénéficiait d'un stage d'immersion canadienne de quelques années à Etobicoke.
Se voir avec les yeux de son Maître est le propre de tout esclave
Quand ils soulignent la « différence » ou « spécificité » des Québécois, nos partis politiques voient ces derniers avec les yeux mêmes de la majorité anglophone d'Amérique du nord. « Those French up there in the Province of Quebec, they are quite different from us ». Pourtant, ni les Français, ni les Italiens, ni les Russes, ni les Turcs, ni les chefs tribaux, ni Jean Chrétien, ni aucune nation du monde ne s'en va répétant: « Nous sommes différents ! » Au contraire, tous les peuples dignes de ce nom sont persuadés d'incarner une normalité et non une différence.
En entretenant des concepts de différence ou de spécificité des Québécois, c'est-à-dire en exprimant en français ce qui se dit à notre sujet en anglais dans le reste de l'Amérique, nos chefs accélèrent un mouvement d'assimilation des Québécois à la normalité nord-américaine. À force de se faire dire qu'ils constituent une minorité en Amérique, qu'ils sont hors-normes, différents de la majorité anglophone du continent, ils voudront rejoindre et se fondre dans ladite majorité. Ce sera bien normal.
Il devrait aller de soi pour les Québécois de toutes origines (comme naguère pour les Canadiens-français) de se considérer comme normaux. Au Québec, les Québécois constituent la Norme à laquelle les Autres, les Voisins, les Étrangers doivent s'adapter.
Le Différent ou le Spécifique, c'est l'Autre. Sauf pour ceux qui se voient déjà avec les yeux des autres.
Léonce Naud
_ Québec, le 13 octobre 2006