Avant de reconnaître la nation québécoise

La nation québécoise vue par les fédéralistes québécois


Stéphane Dion
_ Candidat à la direction du Parti libéral du Canada
Même avant d'entrer en politique, je maintenais que nous, les Québécois, pouvions être décrits comme formant une nation au sens civique et sociologique du terme. Pourtant, samedi dernier, j'ai voté contre la résolution demandant au Parti libéral du Canada d'entreprendre des démarches en vue d'une reconnaissance formelle du Québec comme nation.
Avant de demander aux autres Canadiens d'appuyer une telle reconnaissance formelle (c'est-à-dire presque certainement, constitutionnelle), il faut d'abord que nous précisions ce que nous attendons d'une telle reconnaissance. Actuellement, l'apparent consensus québécois sur cette question cache au moins trois désaccords.
Trois questions à poser au préalable
Première question : voulons-nous être les seuls au Canada à être reconnus comme nation, ou accepterons-nous que d'autres, encouragés par notre exemple, obtiennent à leur tour la même reconnaissance ? La pression exercée par un nombre indéterminé de groupes humains au Canada, y compris au Québec, en vue d'être reconnus comme des nations nous amènera-t-elle à conclure que notre propre reconnaissance nationale a été banalisée, diluée ?
Deuxième question : cette reconnaissance est-elle nécessaire pour nous ou n'est-elle plutôt que souhaitable ? Ceux qui disent qu'elle est nécessaire doivent aller au bout de leur logique : ils doivent dire que faute d'obtenir cette reconnaissance, nous, les Québécois, devons quitter le Canada. On ne peut en effet vivre sans quelque chose de nécessaire.
Ceux qui disent au contraire que cette reconnaissance n'est que souhaitable doivent s'abstenir de la placer au coeur de l'enjeu de l'unité canadienne : en effet, on ne brise pas un pays pour quelque chose qui n'est que souhaitable, mais pas vraiment nécessaire.
Troisième question : souhaite-t-on que la reconnaissance du Québec soit purement symbolique ou, au contraire, qu'elle ait des conséquences concrètes, en termes de partage des pouvoirs, d'allocation des fonds publics, etc. ? Et comment cette question s'agence-t-elle à la question précédente ? Il est contradictoire d'affirmer que la reconnaissance du Québec comme nation est nécessaire, mais purement symbolique. C'est pourtant la position intenable que défend M. Michael Ignatieff. Déjà, le chef bloquiste, Gilles Duceppe, et [l'ancien ministre péquiste Claude Morin->2519] ont répondu que si la reconnaissance du Québec comme nation au sein du Canada est importante, elle doit mener à «quelque chose» au-delà du symbole.
Film déjà vu dans un cinéma près de chez-vous
On a déjà vu ce film trois fois, d'abord à l'occasion des débats à propos de la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme "société distincte" incluse dans les accords de Meech et de Charlottetown, puis à la suite de la déclaration de Calgary, épisode aujourd'hui oublié qui s'est déroulé en 1997. À cette occasion, les premiers ministres des autres provinces ont tenté de définir pour nous ce que nous voulions comme reconnaissance. Ils ont fait entériner par toutes leurs législatures une déclaration qui reconnaissait «le caractère unique de la société québécoise». Lorsque la déclaration a ensuite atterri à Québec, la classe politique québécoise l'a rejetée, en alléguant que la reconnaissance en question «manquait de dents».
Alors voici ma position : je suis fier de faire partie de la nation québécoise au sein du Canada. La reconnaissance constitutionnelle de cet état de fait, bien que souhaitable, n'est pas nécessaire, car rien ne nous empêche, nous les Québécois, de jouer pleinement notre rôle et de réussir dans ce formidable terrain d'action qu'est pour nous le Canada, pays que nous avons puissamment contribué à bâtir.
Clarifier ce que nous voulons
Rien ne justifie que nous renoncions à notre appartenance canadienne. Une telle rupture serait une tragédie pour nous-mêmes, nos enfants et les générations futures. Nous ne devrions pas être encouragés à commettre une telle erreur sur la base d'une reconnaissance souhaitable, mais non nécessaire. Telle est ma position et je suis bien sûr intéressé à en débattre car je ne sous-estime pas l'importance des reconnaissances et des symboles. Mais je ne crois pas qu'il nous faille demander aux autres Canadiens une reconnaissance avant que nous ayons clarifié ce que nous cherchons à obtenir par là.
Ce débat, bien qu'important, ne m'apparaît pas du tout être le principal enjeu pour améliorer le Québec et l'ensemble du Canada. Pour moi, le principal enjeu, et de loin, est de faire en sorte que le Canada fasse partie de la solution, et non pas seulement du problème, face au défi crucial qui se pose à l'humanité au XXIe siècle : ni plus ni moins que sa réconciliation avec les véritables capacités écologiques de la planète. Telle est la vision et le plan d'action que je propose à tous les Canadiens en vue de combiner les trois piliers de notre réussite : le développement économique, la justice sociale et la durabilité environnementale.
Québécois, nous avons mieux à faire que de visionner une quatrième fois le même film. Mobilisons-nous pour que le Canada soit un pays phare du XXIe siècle. Consacrons-y nos talents, nos énergies, notre culture propre, comme nous l'avons toujours fait chaque fois que nous avons eu à relever, avec les autres Canadiens, un grand défi.


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