Témoignages d'habitants, mensonges des médias occidentaux et réalité du quotidien en Syrie... l'actrice bolivienne Carla Ortiz fait part de son expérience de plusieurs mois passés en Syrie, ravagée par la guerre.
RT : Vous avez réalisé un film documentaire sur la guerre en Syrie. Comment en êtes-vous arrivés à vous lancer dans ce projet ?
Carla Ortiz (C. O.) : On en parle sans cesse, ce sujet est constamment dans les titres de tous les programmes d'information. On nous dicte l'idée selon laquelle le Moyen-Orient est une région où les conflits sont incessants, que c'est une situation sans issue. La mort des gens n'est plus que statistiques. J’ai alors commencé à chercher des réponses et je me suis aperçu que la réalité était complètement différente. Après cela, j’ai décidé d'aller en Syrie pour entendre la version des Syriens sur place.
RT : Une religieuse argentine, Guadalupe Rodrigo, qui est en Syrie depuis plusieurs années, fait partie de ceux qui croient que le conflit a été planifié, qu'il ne s'agit pas d'un soulèvement spontané du peuple syrien.
C. O. : Après avoir traversé 75% du pays, j’ai compris que mon dialogue avec ses habitants se répétait constamment. Quel que soit le lieu, le statut social ou la religion de l’interlocuteur, j'obtenais la même réponse : la guerre a été montée de toute pièce, délibérément et soigneusement. Des femmes m'ont raconté que certaines personnes s’adressaient à elles en leur proposant des téléphones par satellite pour qu’elles puissent filmer les émeutes, les troubles, puis transmettre les vidéos finales à la chaîne de télévision saoudienne Al Arabiya.
RT : Guadalupe Rodrigo affirme également que, du point de vue syrien, les médias occidentaux ont menti dès le début et ont déformé la réalité. Que vous ont dit les Syriens des médias occidentaux ?
C. O. : Ils ont perdu confiance en ces médias occidentaux, car ces derniers ont souvent abusé des informations auxquelles ils ont eu accès. Ils ont déformé les histoires, ou omis certaines parties des interviews, utilisant tout au profit du mécanisme qu'ils avaient créé. En conséquence, vous êtes perdu et ne savez pas où est la vérité, tout devient très trompeur.
Si vous allez en Syrie, vous verrez que les vrais Syriens parlent de paix, d'unité, d'amour
RT : Autre fait intéressant : vous mentionnez dans votre film, qu'il n'y avait pas de correspondants étrangers sur le terrain lors de la bataille d’Alep…
C. O. : Il n’y en avait pas. Il y en avait à Alep, ils étaient dans le même hôtel que moi. Je l'ai voyais au petit déjeuner le matin, j'ai fait leur connaissance, je connais leurs noms... mais, pour une raison que j'ignore, ils n’étaient pas sur la ligne de front.
Qui y était ? Après tout, j'y suis allée et il n'y avait pas de bombardements de la population civile. J'y étais, et j’ai échappé à plusieurs balles. Qui rapportait les nouvelles ? J'étais à Alep Est et ne pouvais pas dire à mon père que je me portais bien, que j’étais vivante. Mais certains militants criaient, filmant tout cela sur leurs téléphones : «On nous tue !», «Oh, je vais mourir !» Quel type de communication par satellite utilisaient-ils ? S’ils avaient une communication par satellite, c’est qu’ils étaient partisan de l’autre bord. C’est une des complexes contradictions où rentrent en jeu le facteur humain et la logique.
RT : Il y a également l'histoire de Bana, une petite fille qui aurait twitté depuis Alep. C’est une histoire très répandue en Occident. Cette histoire est-elle crédible, étant qu'il n'y avait tout simplement aucun accès à internet ?
C. O. : Je ne peux pas imaginer ça, tout simplement parce que nous tournions sans éclairage à cause de l’absence d'électricité. Même dans la partie ouest d'Alep, qui était sous protection, nous ne pouvions pas utiliser ni prises et ni recharges pour nos appareils. D’où viennent ces vidéos, où elle est en train de lire des livres électroniques ? Très souvent, sur ses vidéos, on n’entend même pas de coups de feu. Comment une fille de sept ans peut-elle dire qu'elle se moque d'une troisième guerre mondiale tant que Bachar ne gagne pas ?
Un enfant syrien ne choisirait jamais entre la guerre et la mort. Il est difficile de l'expliquer aux gens. Mais si vous allez en Syrie, vous verrez que les Syriens parlent de paix, d'unité, d'amour. Cela ressemble à de la poésie, mais cela s’entend dans leurs propos, où que vous alliez. J'ai parlé avec eux, avec des enfants qui ont été forcés de se battre de côté des extrémistes, qui ont été forcés de tuer, et ils m’ont dit : «Nous ne voulons que la paix. Nous voulons reconstruire notre pays.» Je trouve difficile de croire que ce conflit ne soit pas le résultat d'une manipulation externe par certaines forces ayant une autre philosophie de vie.
A Alep on entendait des explosions chaque minute, toutes les 30 secondes. Une nuit, un bombardement a duré quatre heures sans interruption
RT : Vous avez mentionné un fait intéressant : ces vidéos, soi-disant filmées à Alep, où on n’entend pas d'explosion, alors même que tout le monde dit que cette ville est constamment bombardée.
C. O. : C’est amusant, parce que pendant huit mois de fréquents voyages en Syrie, dans certaines villes, le bombardement avait lieu une fois par semaine ou une fois tous les deux jours. On entendait des coups de feu toutes les trois heures.
Quand nous étions à Darayya lors de la bataille pour le contrôle de la ville, on entendait des explosions toutes les 15-20 minutes. Mais à Alep on entendait des explosions chaque minute, toutes les 30 secondes. Une nuit, un bombardement a duré quatre heures sans interruption. A cette époque, je ne voulais qu'une seule chose, me réveiller vivante et pouvoir commencer une nouvelle journée. Dans toutes mes vidéos on entend des coups de feu. Donc, je ne comprends pas où ces vidéos ont été filmés s’il n’y a pas ces sons, surtout si ces vidéos ont soi-disant été tournées à Alep Est…
RT : Selon vous, la communauté internationale est-elle responsable du conflit en Syrie ? Quel degré de responsabilité incombe à l'armée syrienne ? Vous parlez d'une perception très différente de l'armée syrienne par le peuple syrien...
C. O. : Je ne dirai jamais qu’il n’y a aucune opposition, bien sûr, elle existe. Et je connais beaucoup de gens qui en font partie, j'ai beaucoup d'amis dans l'opposition et nous avons échangé à ce sujet. Mais l'opposition syrienne ne porte pas d'armes. L'opposition syrienne aime la Syrie et elle ne détruit pas son pays. Des opposants syriens qui se trouvent à l’étranger rêvent de revenir dans leur patrie. Je pense qu'à un moment donné la communauté internationale a décidé que le peuple syrien voulait se débarrasser de cette forme de gouvernement, et par conséquent, par une sorte de complot, le mouvement en faveur de la révolte a apparu. Cependant, je pense qu'en réalité la situation est tout à fait différente. Et c'est devenu tout à fait évident après six ans de guerre. Sinon, ils auraient déjà déposé leur président. L'armée syrienne est actuellement composé principalement de volontaires, de filles et de garçons de dix-huit ans. Ce sont des enfants qui, au lieu de communiquer par WhatsApp et de faire des selfies, portent des armes et tentent de vaincre le terrorisme. Par conséquent, je crois que la communauté internationale devrait reconsidérer sa politique étrangère, la politique que nous avons menée en Syrie, y compris celle des sanctions économiques contre ce pays. Après tout, le pétrole syrien se vend encore et toujours, mais qui en bénéficie ? Et ce n'est pas mon imagination, on peut facilement trouver tout cela sur internet. Ce sont les terroristes, les groupes extrémistes qui bénéficient de tout cela.
Ce n’est pas l'armée de Bachar Al-Assad, c’est l’armée syrienne
RT : Est-ce que vous avez eu la possibilité de parler avec des soldats de l'armée syrienne ? Comment perçoivent-ils la situation ? Par exemple quand les médias occidentaux mettent en circulation des rumeurs selon lesquelles, pendant l'évacuation d'Alep, l'armée syrienne s'est livrée à des brutalités contre les civils.
C. O. : Ce n'est pas vrai. J'ai encore des vidéos sur mon portable, je les ai publiées et diffusées. Qui, selon vous, m'a protégée pendant que j'y étais? Je ne vais pas demander la protection de l’Etat islamique ou d'al-Nosra. Les terroristes ne me protégeront pas. Il faut d'abord avoir en tête qu'ils ne me permettront pas de me déplacer librement et me feront porter des vêtements totalement enveloppant. C'est l'armée syrienne qui m'a protégée, j'ai beaucoup parlé avec eux. Il s’agit de simples soldats. Parmi eux, il y a des ingénieurs civils, beaucoup de médecins, d'architectes, même des pêcheurs. Ce sont eux qui me défendaient. Ce sont les «méchants» de l'armée de Bachar el-Assad. Mais ça n’est pas l'armée de Bachar Al-Assad, c’est l’armée syrienne. Voulez-vous que je vous dise ce qu'ils ont fait ? Ils se sont mis en rang, formant une sorte de mur humain, pour que les évacués puissent sortir sains et saufs, tandis que les tireurs isolés ont essayé de les attaquer. La chose la plus triste, dans tout cela, est que personne ne gagne dans cette guerre, nous y perdons tous. Après tout, les terroristes ont des enfants, eux aussi ! Et, à cause de leurs pères, ces enfants restent à la maison et meurent aussi. Pour le moment, les enfants n'ont pas le choix, ils n'ont pas la possibilité de choisir et c'est ça le plus difficile. Bien sûr, des gens meurent, la guerre est ce qu'elle est. Et beaucoup d'injustices nous attendent encore à l'avenir.
RT : La participation desdits «Casques blancs», cette hypothétique organisation non gouvernementale dont on a dit qu'elle avait des liens avec les gouvernements américain et britannique, dans le conflit a été débattue. Est-ce que vous avez été témoin de la participation des «Casques blancs» dans la guerre en Syrie?
C. O. : Bien sûr, je voulais les interviewer, quand j'étais à Alep. J’ai posé des questions à leur sujet. A mes questions sur les «Casques blancs», tout le monde m'a répondu qu’ils ne les connaissaient pas. Je parle de gens qui ont traversé Alep d'est en ouest, qui ont été enfermés dans la ville et complètement coupés du monde extérieur, dans la partie orientale d'Alep, pendant ces quatre années. Je leur ai montré les photos, expliquant : « Ce sont eux, les "casques blancs", l'organisation pacifique qui vous aide.» Mais ils m'ont répondu: «Non, non ! C'est l'Etat islamique !» Pour eux, l'Etat islamique, ce sont tous les terroristes et cela leur importe peu qu'il y ait au minimum 47 organisations terroristes…
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