Les relations transfrontalières nord-américaines

Changements climatiques et États fédérés: moteurs de l'intégration transfrontalière?

L'idée fédérale


Annie Chaloux et Hugo Séguin - Dernier d'une série de trois textes portant sur divers thèmes débattus cette semaine dans le cadre de l'Université d'été sur l'intégration et les relations transfrontalières nord-américaines de l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke
Malgré les efforts de l'administration Obama, le Congrès américain n'adoptera pas de loi sur l'énergie et le climat, du moins pas dans un avenir prévisible. Incapable de rallier quelques rares républicains modérés et plusieurs démocrates échaudés, le leader démocrate au Sénat, Harry Reid, a dû jeter l'éponge.
Alors que le gouvernement canadien a décidé de calquer ses politiques sur celles de Washington, cette décision consacre encore une fois la paralysie des gouvernements fédéraux américain et canadien dans de grands dossiers — l'énergie, l'environnement, l'économie — liés à l'enjeu des changements climatiques, laissant ainsi le champ libre aux États fédérés des deux pays, qui réinventent une toute nouvelle dynamique fédérale.
Jean Charest avait d'ailleurs invoqué cette vision en affirmant à Copenhague: «Dans un système fédéral de gouvernement, nous sommes égaux, nous ne sommes pas les gouvernements juniors du gouvernement national, ce n'est pas vrai ça, il y a un partage des compétences entre nous».
Certains États en effet, comme la Californie, ceux de Nouvelle-Angleterre, la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec, en profitent pour multiplier les alliances transfrontalières, développer les premiers marchés du carbone du continent, forcer l'adoption de réglementations environnementales, intégrer leurs systèmes énergétiques et discuter du réchauffement planétaire avec leurs collègues mexicains, australiens, allemands, chinois.
Impotence fédérale, activisme d'États fédérés: ces acteurs investissent leurs compétences constitutionnelles, créant une mosaïque de politiques et d'initiatives plus ou moins coordonnées. En discutant de politiques au coeur des enjeux du XXIe siècle, les États fédérés imaginent leur avenir, développent leurs alliances, tout en court-circuitant l'État fédéral.
D'anciens et de nouveaux forums de coordination
Ces alliances émergent et s'incarnent aujourd'hui au sein d'organisations gouvernementales transfrontalières, certaines ayant vu le jour pour améliorer les relations entre États et provinces voisines, tant sur le plan du commerce, des transports, de l'énergie que de l'environnement.
La plus ancienne, soit la Conférence des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres de l'est du Canada (1973), en est probablement l'exemple le plus patent. Des relations multilatérales profondes ont pu émerger entre les 11 États membres, et depuis de nombreuses années maintenant, l'environnement possède une place de choix dans les préoccupations de l'organisation. La Conférence est devenue la première dans le monde en 2001 à adopter un plan de lutte contre les changements climatiques à l'échelle régionale, au moment où le gouvernement de George W. Bush rejetait le protocole de Kyoto avec véhémence et avant même que le Canada ne ratifie celui-ci (pour ensuite renier à son tour, sous l'ère conservatrice, ce «complot socialiste»).
D'autres organisations transfrontalières ont également émergé des États fédérés pour lutter explicitement contre les changements climatiques: la Western Climate Initiative, dont le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, se fait le porte-étendard, le Regional Greenhouse Gas Initiative, présent dans le nord-est des États-Unis, et également le Midwestern Greenhouse Gas Reduction Accord. Ces organisations ont su réunir des partenaires qui peuvent paraître au premier abord éclectiques, mais qui au final regroupent souvent des entités des trois pays de l'ALENA, plusieurs États fédérés mexicains y ayant de plus en plus rôle d'observateurs.
Les changements climatiques sont en quelque sorte devenus un des révélateurs des tensions environnementales s'opérant entre l'État central et ses entités fédérées en Amérique du Nord.
Cette absence d'action concrète de la part des autorités centrales — ou laxisme, diront certains — ne se répercute peut-être pas sur tous les secteurs environnementaux transfrontaliers. Toutefois, il s'avère que l'importance attribuée aux changements climatiques dans les dernières années offre une possibilité accrue aux provinces et États de collaborer et de redéfinir peut-être une certaine pratique du fédéralisme nord-américain.
Les «trois E»
Le dossier des changements climatiques se répercute sur trois champs d'action, les «trois E», qui contribuent à approfondir les relations transfrontalières entre États américains et provinces canadiennes: l'énergie, l'économie et l'environnement.
En matière d'environnement, les avancées de l'un sont souvent suivies par d'autres. Ainsi, après plusieurs années de litige avec les constructeurs automobiles, qui étaient alors épaulés par le précédent gouvernement fédéral américain, la Californie aura réussi à imposer à l'échelle canadienne et américaine de nouvelles normes visant la pollution des véhicules automobiles, non sans avoir préalablement créé un réseau d'alliances entre une vingtaine de provinces et d'États favorables à une telle réglementation.
Dans la même veine, les gouvernements de la Nouvelle-Angleterre et des provinces de l'est du Canada, dont le Québec, travaillent également à la mise sur pied de nouvelles normes visant la teneur en carbone des carburants (NTCC), en plus de se donner un objectif ambitieux de réduction de 20 % de leur consommation globale d'énergie, sous le scénario de cours normal des affaires.
Par ailleurs, peu de décisions sont susceptibles d'avoir un impact aussi important sur la structure économique du Canada et des États-Unis que la mise sur pied de marchés de carbone. En imposant un prix sur le carbone émis par les grands industriels, ces marchés récompenseront l'innovation et l'éclosion de l'économie verte, tout en pénalisant l'inertie de pans entiers de la vieille économie de l'époque industrielle.
À défaut de réglementations fédérales au Canada et aux États-Unis, une quinzaine de provinces et d'États — représentant 20 % de l'économie américaine et 73 % de l'économie canadienne — mettent sur pied leurs propres marchés, notamment à travers le Western Climate Initiative (WCI), ce dernier devant voir le jour dès le 1er janvier 2012. Des discussions ont également cours entre les membres du WCI et les États de la Nouvelle-Angleterre et du Mid-Atlantic dans le but de créer des ponts avec le Regional Greenhouse Gas Initiative (RGGI), le tout premier marché de carbone du continent en vigueur depuis quelques mois, celui-ci visant d'abord les producteurs d'énergie.
Il en va de même dans le secteur énergétique, alors que des provinces très différentes, le Québec et l'Alberta, cherchent toutes deux à développer des marchés d'exportation au sud de la frontière pour une partie de plus en plus importante de leur production d'énergie.
Le Québec s'active à ouvrir les marchés de la Nouvelle-Angleterre et au-delà, en souhaitant notamment la reconnaissance de l'hydroélectricité comme source d'énergie «propre et renouvelable». De son côté, l'Alberta dépense des millions de dollars dans une vaste campagne de relations publiques outre-frontières visant à redorer l'image de son pétrole issu des sables bitumineux, clé de voûte de son développement économique.
États fédérés: moteurs de l'intégration?
Ce début du XXIe siècle s'avère profondément marqué par les enjeux environnementaux transfrontaliers, de même que par la recherche de nouvelles ressources énergétiques, préférablement propres, et par la transformation des structures économiques vers des économies sobres en carbone. À ces chapitres, en raison à la fois de la structure fédérale du Canada et des États-Unis — qui octroie aux États fédérés des pouvoirs importants, voire exclusifs en ces matières — et aussi en raison de la paralysie des États fédéraux à agir dans ces mêmes domaines, plusieurs provinces canadiennes et États américains semblent avoir décidé de jouer pleinement leur rôle, court-circuitant les gouvernements fédéraux.
Cette nouvelle donne dans les relations transfrontalières est de nature à transformer profondément la dynamique fédérale canadienne et américaine. On ne le réalise que trop peu, mais ces décisions en matière d'environnement transforment présentement l'équilibre des pouvoirs à l'avantage des provinces et États.
***
Annie Chaloux - Chargée de cours, École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke
Hugo Séguin - Conseiller principal, Équiterre, et président du Réseau action climat Canada


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->