Les deux peuples fondateurs

L'idée fédérale


L'expression elle-même a pratiquement disparu de notre vocabulaire. Elle avait pourtant encore un sens sous Pierre Elliott Trudeau au moment des célébrations entourant le centenaire de la Confédération en 1967 et même durant la campagne du premier référendum en 1980. Nous nous sommes accrochés à ces mots qui, pour nous, représentaient une réalité historique à laquelle nous tenions.
En les disant, nous aussi, nous espérions retrouver ce que nous avions le sentiment de perdre de plus en plus: notre identité d'abord et notre force par rapport au reste du Canada ensuite. L'idée des deux peuples fondateurs nous aidait peut-être à résister aux prophéties de Lord Durham, l'envoyé spécial de Londres chargé de pacifier le pays après la révolte de 1837 et qui, dans son célèbre rapport, avait annoncé les moyens évidents de «louisianiser» le Bas-Canada en obligeant ses citoyens à se mettre à la langue anglaise jusqu'à faire disparaître la langue française et en arriver à une assimilation totale, garantie absolue de soumission et de tranquillité sur le plan des revendications. L'idée de l'union des deux Canada, c'est lui.
Lord Durham a écrit: «Les Anglais sont supérieurs aux Français, non seulement par l'argent, mais aussi par l'intelligence. Ils devront toujours dominer le pays.»
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les Canadiens anglais ont de la suite dans les idées. La stratégie de Lord Durham est toujours à l'ordre du jour à Ottawa. Si vous en doutiez, pensant qu'avec le temps le rapport de force avait évolué différemment, détrompez-vous: la volonté de Stephen Harper, énoncée il y a quelques jours et qui consiste à augmenter de 30 députés le nombre de représentants élus à la Chambre, est un autre pas vers la réalisation du rêve de Durham. L'objectif n'est pas seulement de rétablir l'équilibre entre les provinces, mais il s'agit encore de soumettre le Bas-Canada et de diminuer le pouvoir du Québec, tout en restant dans les paramètres reconnus par l'Acte constitutionnel. Autrement dit, finir la job.
Adieu, les deux peuples fondateurs. Le gouvernement d'Ottawa, qui désire faire plaisir à certaines provinces d'où il entend bien tirer un vote majoritaire à la prochaine élection, va passer le Québec à la moulinette parce qu'il sait qu'il ne gagnera pas de votes avec nous. Il va donc s'appuyer sur l'Acte constitutionnel, qui prévoit une représentation proportionnelle au nombre de citoyens de chaque province, et laisser le Québec avec ses 75 sièges. L'Ontario, autrefois le Haut-Canada, va se retrouver avec un total de 124 sièges, dont 18 nouveaux grâce au rajustement prévu par la loi C-12, déposée le 1er avril dernier, mais qui n'est pas un poisson d'avril. Au moins trois provinces ayant vu leur population augmenter réclament ce rajustement. C'est l'Ontario qui en sort gagnant.
Au Conseil des ministres où je siégeais après 1976, la première personne que j'ai entendue souligner ce danger de la diminution du poids du Québec au Parlement d'Ottawa fut Guy Joron; je me souviens que plusieurs ministres avaient réagi en disant qu'Ottawa n'irait jamais jusque-là. Nous y sommes.
C'est peut-être un effet de mon imagination, mais il me semble que le rapport Durham continue d'être appliqué pratiquement à la lettre. Il suffirait de le mettre à l'étude dans les écoles pour que nos enfants puissent savoir à l'avance ce que le fédéral leur réserve.
Le but est toujours le même. Il y a tous ces Québécois qui aident en plus à la réalisation du rêve de Durham parce qu'ils pensent que ça fait chic de chanter en anglais et qu'il sera sans doute difficile de les convaincre qu'ils ne sont que des assimilés volontaires.
À force de «branler dans le manche» quant à son avenir, le Québec s'expose à ce qu'on abuse de lui. Lord Durham a écrit: «La langue, les lois et le caractère du continent nord-américain sont anglais et tout autre race que la race anglaise y apparaît dans un état d'infériorité. C'est pour les tirer de cette infériorité que je désire donner aux Canadiens [français] notre caractère anglais.»
Le peuple du Bas-Canada dont nous sommes les descendants a traversé toutes les tempêtes. Éduqués dans la religion catholique, nous avons aussi appris que si on nous frappe sur la joue gauche, nous devons tendre la joue droite... ce qui a fait de nous un peuple qui subit au lieu d'un peuple qui choisit.
Pourtant, déjà en 1965, le rapport de la commission Laurendeau-Dunton n'hésitait pas à affirmer que «l'espoir traditionnel du Canada français, c'est celui d'être égal, comme partenaire, du Canada anglais».
Le Québec, sous les libéraux, a joué le jeu du bon fédéraliste. Le gouvernement libéral n'a pas réclamé de pouvoirs supplémentaires. Il s'est contenté d'être une province comme les autres se laissant traiter comme une minorité dans le Canada et non pas comme un peuple fondateur. Et à ce jeu, on ne fait plus peur à personne. Lord Durham est heureux.


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