Plusieurs sont choqués par la demande de la juge France Charbonneau au gouvernement Couillard de prolonger son mandat pour une deuxième fois. Attendu en avril, son rapport final ne serait rendu qu’en novembre prochain. Même John Gomery critique les «conséquences pécuniaires» d’un report.
En entrevue à La Presse, l’ex-président de la commission d’enquête sur le scandale des commandites avance aussi que la commission Charbonneau aurait mal évalué «l’ampleur» de sa tâche. Sauf tout le respect qu’on lui doit, l’ex-juge Gomery serait peut-être sage de se garder une petite gêne.
Comparons les deux mandats. En 2004, John Gomery est mandaté par le premier ministre libéral Paul Martin pour enquêter sur le «programme des commandites» du gouvernement Chrétien. Dans les années suivant le référendum de 1995, les commandites servaient officiellement à «vendre» le fédéralisme à coups d’unifoliés et de campagnes de publicité pro-Canada.
Dans la réalité, le programme de 250 millions de dollars servait à graisser la patte de quelques firmes amies des libéraux par le biais de plantureux contrats gouvernementaux de publicité. Les mêmes firmes détournaient ensuite une part de l’argent public reçu en paiement pour graisser à leur tour les coffres du Parti libéral du Canada.
En d’autres termes, la commission Gomery enquêtait sur un scandale très ciblé, dont les coûts et la durée étaient limités. À l’opposé, le mandat de la commission Charbonneau est gargantuesque.
Son mandat couvre une période de quinze ans. Il couvre deux régimes politiques – péquiste et libéral. Deux paliers de gouvernement – municipal et provincial. Sa cible – l’industrie de la construction – rafle des milliards en contrats publics. Sa mission est large: examiner les stratagèmes de corruption, de collusion, d’infiltration du crime organisé et le lien possible entre financement occulte des partis et octroi de contrats publics.
Un mandat gargantuesque
Malgré un mandat ciblé, les travaux de la commission Gomery ont duré les deux ans prévus et coûté plus de 30 millions. Sans compter les frais juridiques et gouvernementaux connexes.
Dotée pour sa part d’un mandat tentaculaire, peut-on blâmer la commission Charbonneau de prendre quatre ans? Le tout, à un coût dépassant à peine celui de la commission Gomery. C’est même à se demander si Jean Charest n’avait pas cherché à noyer France Charbonneau dans un mandat trop vaste.
Rappelons qu’à la fin 2011, le premier ministre créait la commission après deux ans de pressions politiques intenses et d’allégations de corruption visant le PLQ. Cédant à son corps défendant, il avait même tenté de priver la commission des pouvoirs dont elle avait besoin pour mener son enquête.
Or, la bête politique qu’il était ne s’est pas laissé faire pour autant. Tant qu’à risquer la réputation de son parti, il s’était assuré d’imposer un mandat suffisamment large pour y entraîner aussi le PQ et l’ADQ.
Bref, France Charbonneau a dû plonger dans des eaux nettement plus profondes que celles de la commission Gomery. Qu’elle ait tenu le coup à aussi bon prix et malgré ses propres errements tient franchement du miracle.
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