Charlebois, un George Smiley au Québec...

Tribune libre



George Smiley représente l'archétype de l'anti-James Bond. Doté d'une redoutable intelligence, d'autant plus redoutable qu'elle ne se devine pas à le voir, doté d'une mémoire « sur laquelle il vit » depuis plus de trente ans, doté d'une intuition suraiguë tournant à la paranoïa, doté de complexes d'infériorité car il est petit et rondouillard, doté d'un complexe de supériorité car il se sait plus intelligent que ses adversaires (que Karla en particulier, son homologue soviétique), et même que ses collègues, George Smiley est un espion aussi redoutable qu'atypique. George Smiley
***
En 1969, j’étais musicien dans un groupe « rock ». Nous cherchions alors du matériel nouveau. C’est Claude Gagnon , neveu d’André Gagnon, soliste de notre groupe, qui eut l’idée d’aller à Montréal voir ce qui se passait.
Nous sommes arrivés à l’appartement d’André Gagnon vers 10h00 le matin. André réfléchit un moment et nous suggéra l’Ostidcho présenté à la Salle Wilfrid-Laurier.
Ce fut un choc. Nous sommes demeurés rivés à notre siège pendant tout le spectacle.
Les charrues passent dans le ciel , California, Lindberg, etc. Yvon Deschamps, Louise Forestier et Mouffe, la compagne d’alors de Charlebois.
Une révolution dans la musique québécoise. On connaît la suite de la carrière de Charlebois, dont maints textes de chanson ont été alimentés par Réjean Ducharme.
Là où tout croule, c’est que le « personnages » de Charlebois se divise en deux : « l’artiste » talentueux, écrivant des chansons pour accéder à une gloire qu’il aura sans doute désirée toute sa vie. Le timide Charlebois, « chansonnier », après avoir écrit Marie-Noël, passe désormais à un monde psychédélique, et remue la musique française en la faisant « bouger ».
De là, naît le mythe Charlebois : un révolté social qui dérange, affichant ses couleurs de québécois « nationaliste », défendant la cause, hurlant dans le langage du peuple une rébellion. Charlebois était la poule qui couvait l’œuf de l’indépendance du Québec par son art…
Comprendre Charlebois quand il ne se comprend pas lui-même…
Ambitieux, hautain, prétentieux, « l’artiste » utilise son art pour gonfler son narcissisme.
Il n’y a pas de pureté chez Charlebois : c’est une sorte de métal issue de la science de la fabrique de chansons et d’un amalgame qui nous fait sourciller. Au point de se demander : « Qui est donc Charlebois? »
Un égo bidimensionnel…
La gloire pour la gloire.
Il y a là une fausseté qui écorche l’oreille : la beauté de ses chansons, son « génie », mais également sa discordance sociale.
L’avalé des avalés… Comme la révolte de Ducharme dans son roman.
"Tout m'avale. Quand j'ai les yeux fermés, c'est par mon ventre que je suis avalée, c'est dans mon ventre que j'étouffe. Quand j'ai les yeux ouverts, c'est par ce que je vois que je suis avalée, c'est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S'il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j'aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée: il n'y a plus assez d'air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit." L'avalée des avalés ( Réjean Ducharme).
Papillons et fleurs… C’est ce que Charlebois a sur son chapeau.
Me voilà dans le mode universitaire d’analyse. Au fond, Charlebois ne voulait que la réussite, la grandeur. Comme ces peintres vendeurs de toiles au bout d’un quai… D’un long et large quai qui engloberait toute la mer…
De la bière…
En octobre 1992, appréciant beaucoup le goût de ces bières, le chanteur Robert Charlebois fait une proposition aux propriétaires. En échange de publicité faite lors de ses spectacles, les propriétaires lui cèdent 20 % des actions de l'entreprise. Selon les dires de Serge Racine, ce sera une entente profitable pour les deux parties. Unibroue
Conscient de sa valeur marchande, Charlebois passe à la valeur monétaire.
Jouer au golf avec ceux qu’il admire : entre autres, la famille Desmarais qui « aurait » des influences sur les politiques québécoises et même françaises.
Le hippie passe des fleurs au manteau à queue de pie comme dans le jeu de Monopoly. Un JP Morgan québécois…
Sans doute que le cerveau lui a coulé dans le nombril. C’est ne rien comprendre de la politique, ou ne pas vouloir s’y attarder que de se présenter en oiseau migrateur quand au fond toute son œuvre n’est qu’une mise en scène qui ne mènera qu’à une seule œuvre : lui.
Tant mieux s’il est riche et heureux.
N’a-t-il pas – et ne continue-t-il pas- de berner tous les québécois en se présentant avec le chandail d’une équipe de hockey les soirs du 24 juin, trémulant la fibre indépendantiste?
Pour aller plus tard au domaine Sagard, « kisser » Jackie…
Bien étrange, notre représentant fougueux national patriotique.
On se croirait dans un vieux roman de John Le Carré où les vieux espions, pris dans leur guerre froide avec l’URSS, passent leur temps à chercher des taupes…
Tout écartillé..
Gaëtan Pelletier
Juin 2012


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7 commentaires

  • Gaëtan Pelletier Répondre

    5 juin 2012

    M. Bouchard,
    Merci de ces précisions. Certains artistes s'affichent souverainistes depuis le début de leur carrière et restent fidèles à leur engagement. Ce qui ne signifie pas qu'ils doivent écrire des chansons pour "la cause", mais ils s'investissent souvent pour celle-ci.
    M. Noël,
    Oui, je me souviens de la chanson de Brel. Merci d'y avoir placé le texte.
    Pour ceux qui veulent voir Brel l'interpréter, on la retrouve sur You Tube:
    http://www.youtube.com/watch?v=dCHi5apc1lQ
    Bonne journée!

  • Archives de Vigile Répondre

    5 juin 2012

    Je faisais référence à la chanson de Brel que vous connaissez certainement
    http://en.lyrics-copy.com/jacques-brel/les-bourgeois.htm
    Le cœur bien au chaud
    Les yeux dans la bière
    Chez la grosse Adrienne de Montalant
    Avec l´ami Jojo
    Et avec l´ami Pierre
    On allait boire nos vingt ans
    Jojo se prenait pour Voltaire
    Et Pierre pour Casanova
    Et moi, moi qui étais le plus fier
    Moi, moi, je me prenais pour moi
    Et quand vers minuit passaient les notaires
    Qui sortaient de l´hôtel des "Trois Faisans"
    On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
    En leur chantant :
    Les bourgeois, c´est comme les cochons
    Plus ça devient vieux, plus ça devient bête
    Les bourgeois, c´est comme les cochons
    Plus ça devient vieux, plus ça devient...
    Le cœur bien au chaud
    Les yeux dans la bière
    Chez la grosse Adrienne de Montalant
    Avec l´ami Jojo
    Et avec l´ami Pierre
    On allait brûler nos vingt ans
    Voltaire dansait comme un vicaire
    Et Casanova n´osait pas
    Et moi, moi qui restais le plus fier
    Moi j´étais presque aussi saoul que moi
    Et quand vers minuit passaient les notaires
    Qui sortaient de l´hôtel des "Trois Faisans"
    On leur montrait notre cul et nos bonnes manières
    En leur chantant :
    Les bourgeois, c´est comme les cochons
    Plus ça devient vieux, plus ça devient bête
    Les bourgeois, c´est comme les cochons
    Plus ça devient vieux, plus ça devient...
    Le cœur au repos
    Les yeux bien sur Terre
    Au bar de l´hôtel des "Trois Faisans"
    Avec maître Jojo
    Et avec maître Pierre
    Entre notaires on passe le temps
    Jojo parle de Voltaire
    Et Pierre de Casanova
    Et moi, moi qui suis resté l´plus fier
    Moi, moi je parle encore de moi
    Et c´est en sortant vers minuit, Monsieur le Commissaire
    Que tous les soirs, de chez la Montalant
    De jeunes peigne-culs nous montrent leur derrière
    En nous chantant :
    Les bourgeois, c´est comme les cochons
    Plus ça devient vieux, plus ça devient bête
    Les bourgeois, c´est comme les cochons
    Plus ça devient vieux, plus ça devient...

  • Gaëtan Pelletier Répondre

    4 juin 2012

    M. Noël,
    :-) Non, je ne suis pas Réjean Ducharme. Vous le trouverez, d'une certaine manière, dans les archives de Radio-Canada, 1966. http://archives.radio-canada.ca/arts_culture/litterature/clips/14091/
    Parlant des envois de textes de Ducharme, Charlebois a dit:" Un jour, tout cela a cessé". Plus de textes...
    ***
    On peut être bourgeois et continuer de lutter pour une cause.Quoique a chacun, durant sa vie, vu s'écrouler de jeunes camarades dans un petit nid lascif... Mais dangereux. Dans le cas Charlebois, je ne saisis pas trop sa "ligne directrice"...
    Je ne pense pas que lui également soit conscient de son "écartèlement" ...
    Bonne journée!

  • Jean-Pierre Bouchard Répondre

    4 juin 2012

    L'artiste croit en ce qu'il fait et dit ce qui ne l'empêche pas de travailler à son intérêt personnel. L'artiste, le chanteur davantage peut se transformer en sorte de P.M.E mais qui doit par contre s'incarner, se trouver une conviction, une sensibilité sociale pour exister.
    Cette situation concerne aussi un Michel Rivard sorti de Beau Dommage aussi populaire que Charlebois dans les années 70, la différence c'est qu'un Rivard qui s'occupe de son succès n'a pas tourné le dos à ses valeurs dont la conviction souverainiste contrairement à R.Charlebois qui en fréquentant la famille Desmarais est devenu un vrai libéral politiquement.
    Charlebois ne chante plus de nouvelles chansons engagées depuis 36 ans parce qu'il a changé politiquement. Le problème c'est que c'est son répertoire de jeune chanteur populaire qui lui a permis de donner des spectacles depuis la -La grande tournée maudite- de 1993 jusqu'à peu.
    Charlebois chante des chansons populaires qui ne lui ressemblent plus et ses derniers albums originaux indiffèrent la majorité des Québécois.
    Il a organisé la mise en scène des chansonniers de la Boîte à chansons dernièrement avec les Létourneau, Gauthier, Calvé, etc dont l'humoriste J.G.Moreau mort récemment.
    Malgré tout, les revirements de monsieur Charlebois restent indigestes. Participer à une fête anniversaire qui a coûté 14 millions dans la discrétion laisse songeur...
    On dit que les oeuvres doivent être séparés de leurs auteurs dans le roman, le cinéma, la chanson.
    Triste humanité, l'homme saint rêvé par le christianisme est rarissime sinon inexistant.
    Il y a les M.Rivard qui..

  • Archives de Vigile Répondre

    4 juin 2012

    Très bon texte. Vous ne seriez pas Réjean Ducharme par hasard?
    ---
    Charlebois est la triste incarnation des Bourgeois de Jacques Brel. Et il n'est pas le seul.
    Combien de sa génération ont été ML dans les années 68-80 pour finir en bourgeois finis aujourd'hui?
    Quand vous les brassez un peu, ils vous disent qu'ils étaient jeunes et idéalistes. Et qu'ils ont bien mûri depuis! Mûri au point de pourrir sous nos yeux.

  • Gaëtan Pelletier Répondre

    4 juin 2012

    M.Martin Lavoie,
    Votre commentaire, dans lequel je note une foule "d'événements" ou d'anecdotes qui me sont inconnus, n'aident pas au pardon.
    En gros, j'ai l'impression d'avoir été bien servi par l'artiste, mais blousé par la "fausse représentation" du pouvoir de l'artiste dans son rôle social. On imaginerait mal un Vigneault se comporter ainsi.
    De là cette lancinante ambiguïté d'un "activiste" supposé.
    Robert Charlebois est une sorte de mondialiste camouflé.
    Pour le chandail du canadien, je retiens votre explication. Mais j'ai dû mal interpréter le port de ce "costume". J'ai toujours cru que R.Charlebois le portait dans une sorte de fierté nationale.
    Si c'est un fan, eh! bien, tant pis pour lui :-)
    Bonne journée!

  • Martin Lavoie Répondre

    4 juin 2012

    Je relève au départ que porter un chandail du Canadien n'est pas paradoxal dans son cas, il est Canadien et ceux qui supportent cette équipe supportent une équipe canadienne. Joueurs à majorité anglophones et propriétaires, descendants d'un des plus grands colonisateurs de Québécois ayant existé dans notre histoire.
    Charlebois s'est vendu, Je l'ai entendu donner une conférence à Paris, devant les membres de la SACEM. Il a évoqué avoir eu la chance de représenter sa génération mais surtout montré une grosse pantoufle dans lequel il avait mis les deux pieds, n'a pas cessé de mettre en valeur la carrière de Julio Iglésisas, le considérant comme un génie, et a terminé la conférence en nous interprétant le pianiste de bar. Le pire, est de l'avoir entendu sur une émission de VOIR, déclarer que l'on ne parlerait plus Français, ici, n'eut été du Canada. La vente d'UNIBROUE à un Ontarien après avoir volé les symboles folkloriques Québécois fut le summum de sa trahison. Mon sentiment frôle la détestation. J'ajoute que ce parti pris, je l'ai compris à la même époque où j'ai vu Diane Dufresne danser la valse avec Trudeau. Mon intention ou désir de devenir un chanteur ou artiste reconnu s'est éteint le jour où j'ai compris les compromis que cela pouvait représenter. Ce qui ne m'a pas empêché de continuer, comme un résistant. Les historiens s'amuseront, un jour, à analyser, le comportement de ceux à qui on a donné la parole, ce qu'ils ont pris comme position dans cette lutte pour la naissance d'un peuple. Le difficile sera de passer de la détestation au pardon, mais je sais cela possible, sinon nécessaire.