Coupes dans le domaine de la culture - Les artistes perdent la guerre de l'opinion publique

Harper et la culture



Leur cause est juste, l'enjeu est réel. Pourtant, l'industrie culturelle perd la bataille de l'opinion publique dans sa lutte pour empêcher le gouvernement fédéral de sabrer dans certains programmes d'aide dédiés à la culture et à ses artisans. Il n'a jamais été simple de faire passer la culture dans le top cinq des priorités de la population, et le chemin pour y parvenir prendra plus de temps que la durée d'une campagne électorale.
Bons communicateurs -- aucun doute là-dessus --, les artistes se révèlent de mauvais stratèges dans leur démarche de sensibilisation et de mobilisation, comme le démontre la réaction du public face aux envolées émotives souvent excessives de ceux et celles qui volent au secours de la culture.
Cible ratée
La démarche n'obtient pas le soutien espéré de la population et elle peut même potentiellement nuire à la cause de la culture, dans la mesure où elle crée une confusion quant au bien-fondé des objectifs poursuivis. Les artistes eux-mêmes proposent une étiquette floue, au point où certains se demandent s'ils sont partie intégrante d'une démarche politique partisane.
En ce sens, les appels au vote ne sont guère plus inspirés que ceux du cardinal Jean-Claude Turcotte qui a répété, en d'autres mots, que le ciel est bleu tandis que l'enfer est rouge. Les artistes, eux, nous disent que l'enfer est bleu (PC) et que le ciel est bleu (Bloc). Cette confusion des genres n'explique pas, à elle seule, la réaction négative d'une grande partie de la population. Il faut aussi considérer les sorties de certains artistes bien établis qui ont du mal à représenter, aux yeux du public, la situation réelle du monde de la culture au Canada, comme au Québec. Leur intention est noble, mais ils ratent la cible et leur statut de vedettes bien nanties nuit à la cause plus qu'elle ne l'aide.
Arme à double tranchant
Cela m'amène à parler de la visibilité qu'obtiennent les artistes. Peu de causes jouissent d'autant de tribunes. Les sorties des artistes sont publiées et obtiennent des espaces de qualité. Voilà un avantage, pourrions-nous penser à première vue, mais c'est pourtant une arme à double tranchant puisque cette visibilité vient conforter ceux qui pensent que les artistes se plaignent tout le temps et ne sont jamais contents.
Indépendamment de son mérite, la liste d'épicerie que vient de publier Culture Montréal nourrit ce préjugé pourtant mal fondé. Il faut écouter la population qui est confrontée à ses propres défis, ses enjeux économiques et ne pas prendre ses préoccupations pour de l'insensibilité ou de l'inculture crasse.
Communication
Par ailleurs, les leaders du monde culturel se trompent en adoptant une stratégie d'affrontement aux allures de «jusqu'au boutisme» et en ne maintenant pas ouverts des canaux de communication avec l'appareil gouvernemental fédéral. Dans toutes les guerres, les diplomates continuent de se parler, parce qu'un jour la guerre cesse et la vie continue. Bien sûr, la ministre du Patrimoine, Josée Verner, s'est braquée aux premiers coups de canons. Elle aussi devra en revenir...
Comprenons l'égosystème dans lequel nous évoluons de nos jours, et cela aidera à trouver des issues de secours pour sauver tous ces égos malmenés, permettant ainsi aux uns comme aux autres de trouver des solutions qui n'auront pas l'air de défaites.
Fin du monde culturel?
Peut-être vaudrait-il mieux ramener le message sur les programmes abolis et ceux qui seront réduits. Faire la démonstration de leur importance et de leur pertinence, accepter d'envisager un examen réaliste de leur fonctionnement afin de les améliorer, le cas échéant. Le monde de la culture se met en échec lui-même en élargissant le débat comme si le budget fédéral consacré à la culture venait d'être aboli. Ce n'est pas le cas, il n'est donc pas productif de monter aux barricades identitaires et d'annoncer la fin du monde... culturel.
Bref, la stratégie à adopter doit s'inspirer de la réalité plutôt que de l'émotif. Cela éviterait les effets de toges, le spectaculaire et les déclarations à l'emporte-pièce qui font croire à la population que les artistes se parlent entre eux et se convainquent eux-mêmes.
Mobilisation
L'urgence n'empêche pas l'intelligence... Pour ébranler un gouvernement, il faut la patience du chasseur afin de construire une véritable mobilisation populaire. L'exemple du Suroît est éloquent. Ce ne sont pas les écologistes qui ont fait reculer le gouvernement, c'est la population... Les écologistes avaient réussi à mobiliser la population, mais c'est la voix du peuple que le gouvernement a entendue.
Tout cela demande un véritable engagement dans l'organisation d'une démarche soutenue sur le terrain. Or, occuper le terrain est plus exigeant qu'occuper l'espace médiatique le temps d'une campagne électorale. Il faut y consacrer du temps et ne pas se coincer dans un calendrier trop court.
Soutien de Québec
Puis, le monde culturel doit mettre le gouvernement du Québec à contribution d'une manière plus efficace. Comment? Les programmes qui seront abolis viennent affecter le développement de certains pans importants de la culture au Québec, notamment en termes de formation en cinéma et en télévision et de rayonnement international de la création québécoise.
Si le gouvernement du Québec croit vraiment à l'urgence qu'il prenne le relais et négocie ensuite une compensation auprès du gouvernement fédéral, il l'obtiendra parce que les deux ordres de gouvernement trouveront ainsi une manière politique d'avoir raison tous les deux et de se partager le mérite... Après tout, il vient un moment où la sympathie ne suffit plus, il faut passer à l'acte. Si la conviction du gouvernement du Québec est superficielle, il n'aura qu'à répéter qu'il fait déjà sa part. Sinon, il contribuera concrètement à dénouer l'impasse, sans déchirer sa chemi-se inutilement. Pour l'instant dan ce dossier, il y a trop de chemises déchirées et pas assez de résultats.
***
Michel Fréchette, Communicateur-conseil et écrivain


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->