OTTAWA | Le gouvernement de Justin Trudeau a nommé dans les dernières semaines deux juges qui ont fait carrière à La Presse et à Radio-Canada, des médias qui ont reçu un gros coup de pouce financier des libéraux.
Patrick Buchholz, qui était vice-président aux affaires juridiques pour La Presse, puis a fait un court passage chez Lavery Avocats, a été promu, en juin, juge à la Cour supérieure du Québec pour le district de Montréal.
Même chose pour la directrice en droit des médias à la société d’État, Judith Harvie.
Le Globe and Mail révélait en avril que le Bureau de Justin Trudeau utilise une base de données partisane privée, nommée Libéraliste, pour vérifier les antécédents partisans des candidatures de juges.
L’utilisation d’une banque de données libérale ne sert pas à favoriser de candidats en particulier, mais plutôt à examiner leurs affiliations politiques pour se préparer aux questions, avait-on répondu au quotidien.
Médias favorisés
Ironiquement, les médias pour lesquels ces deux nouveaux juges œuvraient auparavant ont bénéficié ou bénéficieront de mesures d’aide des libéraux.
Radio-Canada doit toucher un financement supplémentaire de 675 M$ sur cinq ans, comme annoncé en 2016 par le gouvernement Trudeau.
Quant à La Presse, maintenant un organisme à but non lucratif, elle est devenue tout compte fait le seul média d’importance au pays à se qualifier afin de remettre des reçus fiscaux pour des dons de charité, selon le plan d’aide aux médias du gouvernement annoncés la semaine dernière.
D’ailleurs, cette faveur accordée à La Presse a vite soulevé la colère du directeur du Devoir, Brian Myles. La fondation Les amis du Devoir, qui aide financièrement le journal indépendant, n’est pas admissible à ce programme pour le moment.
« Tant mieux si La Presse peut avoir un pied dans la philanthropie, on ne peut pas leur en vouloir. Mais j’en ai contre le gouvernement qui a accouché d’un système qui nous écarte. C’est contraire à toutes les assurances que l’on avait eues. Ça favorise un seul média et ça exclut tous les autres », avait-il dénoncé au Journal en réaction à la publication d’un rapport d’expert sur le plan d’aide.
Québecor, qui publie entre autres Le Journal de Montréal, a aussi critiqué ce plan qui ferait preuve de « favoritisme » envers La Presse.
Base de données partisane
Le professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa Charles-Maxime Panaccio ne voit rien de problématique dans la nomination des juges Buchholz et Harvie, rappelant que ceux-ci sont recommandés par un comité consultatif indépendant.
L’expert croit qu’ils devront tout de même faire preuve de vigilance lorsqu’ils feront face à des causes impliquant leurs anciens clients.
« Si jamais Radio-Canada se retrouve devant la juge Harvie, ou La Presse devant le juge Buchholz, ce serait légitime de regarder s’il y a une apparence de conflit d’intérêts. Il y a des chances que la bonne décision dans ces circonstances-là soit de ne pas entendre la cause », a-t-il expliqué.
Il n’a pas été possible de s’entretenir avec les juges Buchholz et Harvie.
« Il serait hautement inapproprié pour les juges ou même pour le juge en chef de commenter le processus qui a mené à une nomination », a dit le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Jacques R. Fournier.
Devoir de réserve
Les juges doivent se « garder une certaine réserve » quant aux décisions des autres branches du pouvoir, les démarches du comité consultatif restent confidentielles et les juges nommés n’en font pas partie, a-t-il indiqué.
Le directeur des communications au bureau du ministre de la Justice, David Taylor, a rappelé que les nominations de juges se basent sur le mérite, et que le processus de sélection est « transparent et responsable ».
PATRICK BUCHHOLZ
JUDITH HARVIE
- Avocate pour CBC/Radio-Canada de 1999 à 2015, puis avocate-conseil associée et directrice exécutive « Droit des médias » pour la société d’État.
- Elle supervisait les avocats de CBC et de Radio-Canada à Montréal, Toronto et Vancouver.
- A été auparavant auxiliaire juridique à la Cour suprême et avocate en litige civil chez Ogilvy Renault (maintenant Norton Rose Fulbright).
- A été chargée de cours à la Faculté de droit de l’Université McGill.
Sources : Ministère de la Justice, LinkedIn, Lavery