Chapitre premier
J’étais en quatrième année de mes études primaires. J’avais à peine dix ans! Cette journée-là, notre professeur, un très grand monsieur, surmonté d’une toute petite tête, nous avait initiés à la proposition subordonnée. Aussitôt arrivé à la maison, emballé par mes nouvelles connaissances, je fis part à ma mère que nous avions appris, dans la journée, la notion de proposition subordonnée. Spontanément, elle demanda alors en quoi consistait cette nouvelle notion. Bouche bée, je ne sus quoi répondre.
Avec les années, je continuai d’apprendre une foule de notions nouvelles, telles les «sinus» et les «cosinus», les «syllogismes», les «axiomes» et, la plupart du temps, je n’aurais su les définir. Je compris, avec le temps, que l’école m’avait «appris» une multitude de concepts mais que l’élève que j’étais n’avait pas «compris» grand chose de ces concepts. Mes enseignants et enseignantes avaient appris ainsi et c’est comme ça qu’on leur avait appris à enseigner à leurs élèves.
Beaucoup plus tard, lorsqu’à mon tour, je devins enseignant, je fus placé devant le même dilemme. Puis, l’expérience aidant, je me suis mis à réfléchir sur ces concepts et à les enseigner à mes élèves dans un esprit de «compréhension». C’est ainsi que la «subordonnée» devint une phrase dépendante, au même titre que mes élèves l’étaient, soit dépendants de leurs parents, tout au moins financièrement. Dès lors, je vis peu à peu des yeux s’agrandir et je sentis des oreilles plus attentives parce que les élèves se mirent à «comprendre» les concepts dont je leur parlais. Ainsi, lorsque est arrivé le temps de leur enseigner les règles d’accord des adjectifs de couleur, j’aurais pu leur «apprendre» que les adjectifs de couleur composés sont invariables. Pourtant, en y réfléchissant, «des tissus jaune clair» sont des tissus «qui sont d’un jaune clair». En parlant ainsi à mes élèves, ils se mirent à «comprendre» pourquoi ces adjectifs ne variaient pas.
Et que dire de la notion de «voix» du verbe, concept qui a perdu toute sa signification depuis que certaines «fonctions grammaticales», pour des raisons que j’ignore, ont changé d’appellations. Ainsi je m’ennuie beaucoup du complément «d’objet» direct muté en complément direct et du complément «d’agent» devenu le complément du verbe passif, sans parler du défunt complément «circonstanciel» appelé maintenant complément de phrase comme si chacun des mots de la phrase n’avait pas pour rôle de «compléter», à sa façon, une partie de la phrase. Toutefois, quand on parle de subordonnée, celle-ci a continué d’être étiquetée de «circonstancielle». Cherchez l’erreur!
Mais revenons à notre «voix» verbale. Le verbe, vous le savez tous, est le cœur, le moteur de la phrase qui, même non-verbale, contient l’idée d’un verbe, appelé «jadis» sous-entendu. Ainsi si vous répondez «Allo!» en décrochant le récepteur téléphonique, il y a, derrière ce «Allo!»…«Oui, je t’écoute!…» Le verbe nous «parle» et généralement, il exprime «l’action de…» Et cette action est «faite» ou «subite» par quelqu’un. C’est ce que l’on appelle sa «voix».
Avant que ne s’évapore la notion d’objet dans la fonction de complément d’objet direct, l’enseignant pouvait facilement expliquer le processus de transformation d’une phrase active à la voix passive par un simple chassé croisé entre l’agent et l’objet lesquels ne changent pas sauf leur place dans la phrase, donc leur fonction. Grâce à ces deux concepts, l’enseignant peut partir de sa phrase de base et, par un jeu de questions, amener facilement les élèves à la transformer ainsi : «Des avions endommagés (objet) ont été réparés par mon père (agent)», le complément d’objet direct de « l’époque » étant devenu le sujet de la phrase passive et le sujet jouant maintenant le rôle de complément d’agent de « la même époque ». Mais rassurez-vous! Il vous est encore permis de faire preuve d’hérésie et d’utiliser ces «vieux» concepts.
Chapitre deuxième
D’où vient cette manie de doubler une foule de consonnes en français? Caprice? Pourquoi la rivière Chaudière subit-elle, à chaque printemps, «d’innombrables inondations?» Tout est une question de préfixes et de racines facilement explicable par une rapide incursion en étymologie. En agissant ainsi, peut-être arriverons-nous à conduire, un tant soit peu, «l’illettré vers l’illumination» en l’éclairant, par exemple, sur les variantes du préfixe latin «in». Mais pourquoi ce préfixe se métamorphose-t-il? C’est simple! Le «n» du «in» épouse la première lettre de la racine du mot. Ainsi «son irréalisme immuable le plaça devant un immobilisme irraisonné et irréfléchi!» Donc, on double! Pourtant «son impossible impatience le conduira vers une impasse impitoyable!»; dans ce cas, le «in» suit la mutation normale en «im» devant le «p». Toutefois «son inattention inattendue l’a conduit jusqu’à l’inacceptable inaction!», tous des mots contenant des préfixes «in» suivis de racines commençant par des voyelles. Donc, on ne double pas!
Combien de fois ai-je entendu le genre de question «Pourquoi c’est si compliqué? Ce serait tellement simple si «sept doigts» s’écrivaient «set dois»!» Peut-être, mais ce serait aussi renier les racines de ces mots, soit «septem» et «digitu»! Par ailleurs, une fois cette petite incursion latine faite, on peut placer le chiffre «sept» à côté de «septuagénaire» et le mot «doigt» avec «digital» et ainsi faire voir à nos élèves que les lettres «p» et «g», issues des racines latines, sont demeurées dans la prononciation de d’autres mots de la même «famille». Il en est ainsi du «poids» de «pondus» qui récupère son «d» oral dans le mot «pondération» et du «pied» de «pedis» qui, lui, justifie son «d» lorsqu’on l’associe à «pédestre».
Un autre mystère de notre langue réside dans les mots commençant par un «h» qui, soit dit en passant, devrait être plutôt qualifié d’«expiré» au lieu d’«aspiré»! Pourquoi doit-on dire «l’habit» mais «la hache»? Pourquoi l’élision de l’article dans un cas et la non-élision dans l’autre? La réponse est reliée à l’origine, à la racine de ces mots, le premier provenant du latin qui supporte l’élision compte tenu de son «h» muet, l’autre du francique dont le «h» initial doit être prononcé parce que «expiré».
Autre problème…Pourquoi le mot «mythe» a-t-il un orthographe si bizarre? À ce moment-ci, peut-être serait-il bon de faire voir à nos élèves que l’alphabet français renferme deux «i», soit le «i« latin et le «y» («i» grec) et que le mot «mythe» vient de «muthos» en grec dans lequel le upsilon s’est transformé en «y» en français et, dans le même élan, que le «th» de «thermomètre» vient du thèta grec, et que le «ch» de «chronologie» vient du «khi» grec de «khronos». Bref évitez de tomber dans la voie facile du caprice mais utilisez plutôt celle de l’explicable par l’étymologie.
Chapitre troisième
Les jeunes sont beaucoup plus intéressés par ce qu’ils comprennent que par ce qu’ils apprennent! Ainsi, autant ils démontreront de l’intérêt à ce qu’ils comprennent, autant et même plus, ils seront attentifs à un contenu notionnel dont ils perçoivent la pertinence, «l’utilité», et autant ils comprendront pourquoi ils ont deux oreilles et une seule bouche, soit pour écouter deux fois plus qu’ils ne parlent! Pourquoi ne pas leur faire voir la sempiternelle analyse, qu’elle soit logique ou grammaticale, comme un moyen privilégié de développer leur capacité de résolutions des problèmes auxquels ils sont confrontés quotidiennement, quitte à faire le test à partir d’une situation toute simple qui les préoccupe actuellement?
La langue, comme les concepts qui la définissent, n’est pas toujours sous-tendue par la logique. Cependant, si nous nous efforçons de faire comprendre à nos élèves les phénomènes explicables, que ce soit sur les plans linguistique ou simplement terminologique, nous aurons, à mon avis, facilité d’autant la compréhension de nos élèves vis-à-vis cet outil de communication privilégié qu’est leur langue maternelle.
L’être humain est ainsi fait, il doit «revoir» les choses pour en découvrir toutes le facettes! Il n’en demeure pas moins que si l’enfant a la chance d’avoir à ses côtés, un père ou une mère qui lui fait remarquer toute la beauté du vol ou du chant de l’oiseau, il aura tôt fait de s’en émerveiller! De même, si l’élève a la chance d’avoir à ses côtés un professeur qui lui fait comprendre toutes les subtilités de sa langue, entre autres les rapports que les mots exercent entre eux, il aura tôt fait d’en découvrir toute la dynamique qui anime sa langue maternelle mais surtout, toute l’importance de nuancer son message, et ainsi de le rendre plus clair aux oreilles de son interlocuteur
Enseigné dans cette perspective, le français déborde largement le cadre d’une discipline scolaire puisqu’il s’incarne dans la vie quotidienne du jeune. «Oui mais, on n’écrit presque plus aujourd’hui, monsieur!» Bizarre de réflexion! Pourtant, que ce soit par «email» ou par «fax» ou par toute autre technologie. le clavier est présent, chaque touche représentant un signe et c’est encore le doigt de l’utilisateur, commandé par son cerveau, qui se pose sur telle touche pour coder son message. Alors, où est la véritable différence avec le traditionnel crayon?
Henri Marineau, Québec
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