Dans l'oeil de l'éléphant

17. Actualité archives 2007




Les États-Unis aiment bien se représenter en un magnifique aigle à tête blanche, leur emblème national, mais pour nous qui vivons tout juste à côté, l'élégant volatile au regard perçant survolant le monde ressemble plutôt à un éléphant dans un magasin de porcelaine. Le magasin de porcelaine étant, trop souvent, le Canada.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'éléphant est pesant ces temps-ci. Il respecte les accords de libre-échange quand ça lui plaît, il nous boude quand on ne participe pas à ses campagnes militaires, il veut même imposer sa sécurité lors de nos Jeux olympiques de Vancouver et, dans 10 jours, il nous obligera à avoir un passeport quand on veut lui rendre visite par voie aérienne.
Et puis voilà qu'il impose aussi sa loi chez Bell Helicopter, forcée de " tabletter " 24 de ses employés affectés à la production d'appareils militaires américains parce que ceux-ci ont le malheur d'avoir une double nationalité, ce qui ne plaît pas à l'Oncle Sam.
Des Libanais, Syriens, Chinois, Vietnamiens et Haïtiens, notamment, tassés de la ligne de montage en vertu de l'International Traffic in Arms Regulation (ITAR), qui interdit aux fournisseurs étrangers de matériel militaire de compter au sein de leur personnel des employés nés dans certains pays (26 au total) ou même seulement d'être descendants de parents nés dans ces pays.
Notre gros éléphant de voisin piétine allégrement nos lois et nos chartes pour imposer des politiques discriminatoires absolument illégales sur notre sol, à défaut de quoi, nos entreprises perdront leurs lucratifs contrats. Coincées, ces entreprises (et par ricochet les syndicats) acceptent donc ce pacte odieux au nom de la création d'emploi.
Tant que c'était de la théorie, chez Expro de Valleyfield, par exemple, ce n'était pas si grave. Mais chez Bell Helicopter, nous ne sommes plus dans la théorie. Si bien que des gens venus de Chine, du Moyen-Orient ou d'Haïti à la recherche de liberté et dans l'espoir de vivre une vie paisible et honorable se retrouvent sur la liste noire de la première puissance mondiale.
Cette politique commerciale ne viole pas que la Charte canadienne des droits et libertés, elle piétine l'esprit même de ce pays, bâti sur le respect et la tolérance. Et dont la survie dépend de l'immigration, faut-il le rappeler. Au nom de la logique commerciale, le Canada est prêt à vendre des pans de sa Charte pour quelques hélicoptères. Quand un pays n'applique pas sur son territoire ses lois les plus fondamentales parce que son voisin lui impose les siennes, il abandonne un morceau de sa souveraineté.
Quiconque, au Canada, se livrerait à un tel profilage racial dans l'embauche de personnel se ferait poursuivre dans les minutes qui suivent.
Sans compter que cette nouvelle tombe en même temps qu'une autre qui nous rappelle que le Québec manque cruellement de main-d'oeuvre spécialisée dans certains secteurs, dont l'aéronautique. Voilà qui est doublement contre-productif.
Le premier ministre Stephen Harper s'est dit préoccupé hier par la situation, mais cela n'émouvra vraisemblablement pas beaucoup Washington.
Faudra faire plus. Peut-être un petit coup de fil ou s'organiser pour que l'" item " soit à l'ordre du jour de la prochaine rencontre avec le président Bush. Peut-être demander à notre ministre des Affaires étrangères, Peter McKay, qu'il en parle à Condoleeza Rice la prochaine fois qu'elle l'invitera à jouer du piano.
Quoiqu'il ne faille pas se faire d'illusions. George Bush est beaucoup trop occupé à sauver ce qu'il reste de sa présidence pour prêter attention aux atermoiements de ces pleurnichards de Canadiens.
Il faut dire, à la décharge de l'administration Bush, que la paranoïa des militaires américains envers leurs fournisseurs ne date pas d'hier. Il y a près de 10 ans que le gouvernement canadien essaye de négocier une entente raisonnable avec les États-Unis pour avoir droit de vendre de l'équipement à l'armée américaine sans avoir nécessairement à renier nos lois et nos principes.
On parle beaucoup de la hantise du terrorisme, mais dans le cas de Bell Helicopter, c'est plus la peur de l'espionnage industriel (en particulier par la Chine) qui serait en cause. Déjà en 1999, donc deux ans avant les attentats de septembre 2001, le gouvernement Chrétien avait, en vain, tenté de protéger les entreprises d'ici du Big Brother de la Défense et du Département du commerce international américain. Le problème n'a fait qu'empirer, évidemment, après septembre 2001.
L'affaire Bell Helicopter n'est qu'une autre illustration du manque de confiance et de respect de Washington à l'égard du Canada. Et c'est aussi une très mauvaise nouvelle pour le Québec, là où on privilégie une immigration francophone, et donc souvent maghrébine, pour attirer des professionnels.
Les élus américains (peu importe qu'ils soient républicains ou démocrates) n'aiment pas beaucoup nos politiques d'immigration. Certains l'ont carrément dit à Jean Charest, qui a dû, à chacune de ses visites aux États-Unis, leur rappeler que le Québec n'est pas un sanctuaire pour les terroristes. Il l'a notamment fait auprès d'Hillary Clinton l'an dernier.
Mais le message se heurte à un mur de préjugés.
À l'orée de la prochaine campagne présidentielle, dans laquelle on débattra encore de lutte au terrorisme, on peut se demander où s'arrêteront les exigences des États-Unis.
Après les travailleurs de l'industrie militaire, visera-t-on les Canadiens qui fabriquent du yogourt vendu aux États-Unis ? Pourquoi pas les employés d'Hydro-Québec, qui pourraient mettre en danger l'approvisionnement en électricité, pendant qu'on y est ?


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