La juge Marengo a jugé selon la loi

Dieu aurait besoin d'un peu de répit

Les illusions idéologiques ne sont pas des droits fondamentaux

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Une distinction à faire entre «servir Dieu» et «se servir de Dieu»

La décision de la juge Marengo de la Cour du Québec ordonnant à une justiciable d'enlever son hijab avant d'être entendue était-elle fondée en droit ? À l'analyse des faits et du droit, cette décision était justifiée. D'abord parce que le règlement de la Cour du Québec le permettait. Ensuite parce que le port du hijab n'est pas une obligation religieuse de l'Islam. Enfin parce que le port de ce vêtement, de par sa force symbolique, constitue un appui indéniable à l'Islam idéologique que nous connaissons aujourd'hui. La justiciable aurait dû savoir qu'il y a une différence entre « servir Dieu », et « se servir de Dieu » pour mener un combat politique et idéologique. C'est trop simple de se retrancher derrière un « c'est mon choix et ma foi » pour imposer sa loi aux autres.

En ce qui a trait à l'argument de l'obligation religieuse conforme « à la foi » de la justiciable, cette question a déjà été traitée, et réglée, à l'intérieur même de l'Islam. À la fin du XIXième siècle, un réformateur alors en fonction à la mosquée d'al-Azhar au Caire et reconnu comme le plus brillant théologien de son temps, Mohamed Abdouh, avait passé en revue toutes les institutions et traditions de l'Islam afin de distinguer celles qui étaient authentiques, donc obligatoires, de celles qui n'étaient que l'héritage de traditions séculaires.

Parmi les traditions étudiées, il y a eu le port du voile et du turban. Au cours de son examen des textes sacrés, Mohamed Abdouh n'a pu identifier aucun verset ni aucun hadith qui aurait imposé le port du voile ou du turban. Bref, il est arrivé à la conclusion que Dieu n'avait jamais ordonné aux musulmans de se couvrir la tête en public. Sa fatwa écrite à ce sujet a eu un effet immédiat en Égypte et, par effet d'entraînement, dans de nombreux pays. Il est rapporté qu'en 1919, 85 % des femmes avaient abandonné le foulard, y incluant les juives et les chrétiennes qui se pliaient à cette tradition. En Turquie, la loi imposait même de lourdes peines à ceux et celles qui persistaient à vouloir se couvrir de cette façon. En 1979, la tradition avait pratiquement disparu dans de nombreux pays. D'ailleurs qui, dans le monde musulman, pouvait s'estimer assez bon théologien pour prendre Mohamed Abdouh en défaut ? Quand une justiciable, devant un tribunal du Québec, cherche à imposer sa loi en plaidant « mon foulard, c'est mon choix et ma foi », d'où tient-elle qu'il s'agit là d'un ordre de Dieu ? La liberté de religion inclut-elle le droit de faire dire à Dieu n'importe quoi ? Jusqu'où peut-on « se servir de Dieu » pour imposer sa volonté, faire chanter tout le monde et, surtout, s'attribuer le privilège de se mettre au-dessus des lois ? Mais il y a plus encore.

En 1979, le foulard avait pratiquement disparu et aucune croyante ne s'en plaignait. Mais il y a eu la révolution iranienne, dont l'effet a été foudroyant. Cet événement spectaculaire a permis aux masses musulmanes de découvrir le potentiel révolutionnaire de la religion. Du jour au lendemain, le pan-arabisme, le nationalisme, le socialisme et le marxisme ont été honnis. Les croyants avaient enfin découvert que l'essence du politique se trouvait dans le champ du religieux. Un grand slogan est apparu partout : « L'Islam, c'est la solution ! » Les barbes se sont mises à pousser et, surtout, les têtes à se couvrir. Était-ce un sursaut de foi, de piété, ou de spiritualité ? Absolument pas ! C'était un changement de cap dans le cours de révolutions perpétuelles qui ne cessaient de se perdre dans des impasses où les belles illusions s'effondraient les unes après les autres. Dieu allait donc reprendre du service !

Dans les années quatre-vingt, le foulard est devenu le grand symbole de la supériorité morale de l'Islam, mais cette idéologie a vite montré son caractère messianiste, guerrier et violent. Ce beau mirage idéologique s'est propagé et s'est enraciné partout, même dans des pays qui n'avaient rien à voir avec les crises à répétition du monde musulman. La propagande s'est intensifiée et a poursuivi son œuvre : la Loi et la Justice de Dieu devaient régner sur le monde entier, et pas uniquement dans les pays musulmans. L'Islam, qui n'avait pas encore appris à se gouverner lui-même, revendiquait le droit de gouverner le monde : Dieu l'a dit ! Dieu l'a promis ! Dieu l'a ordonné !

Les croyantes qui portent fièrement l'un des plus grands symboles de la révolution islamique ne font pas forcément le lien entre le foulard et la violence sauvage qui explose un peu partout. Mais cette violence inquiète parce qu'il n'y a présentement aucune idéologie de rechange dans le monde musulman. Depuis 1945, toutes les révolutions ont déçu et échoué. L'islam radical et guerrier va lui aussi suivre le même sort parce qu'il n'est fondé que sur du délire. Mais avant qu'il ne s'effondre, il va faire vilain sur la terre. On n'a qu'à se souvenir de nos grands Messies du XXième siècle et à leurs œuvres inachevées : Lénine, Staline, Hitler, Mao, Pol Pot, etc.

Bref, le port du voile islamique est un choix politique et idéologique. Ce symbole appuie un projet messianiste, eschatologique, et guerrier. Il n'est nullement nécessaire d'être théologien pour comprendre que Dieu est là encore instrumentalisé. La juge Éliana Marengo est bien loin d'avoir erré en droit lorsqu'elle a requis le respect du caractère laïc de son tribunal. Elle a sans doute révulsé la chroniqueuse Francine Pelletier, mais elle n'a pas « craché sur la société dans laquelle on vit ! »

Christian Néron
Membre du Barreau du Québec,
Constitutionnaliste,
Historien du droit et des institutions.


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 mars 2015

    Parlant des illusions idéologiques et de "Servir Dieu ou se Servir de Dieu",
    quel est le fondement du Droit et de son autorité ?
    L'Islam et la Charia sont une intrusion étrangère dans notre société.
    Mais le fondement du Droit et son autorité procèdent de la Couronne /de la Reine.
    Pourquoi la Reine a-t-elle autorité ?
    Elle est la Reine par la Grâce de Dieu qui lui donne l'autorité.
    D’où la clause de la Suprématie de Dieu dans la Constitution canadienne.
    Nous tenons à cette prémisse fallacieuse pour assurer un système qui ne dépend pas des rapports de violences. Ce qui est hypocrite en soi, vu le rôle de l’Armée dont la Reine est le Chef.
    La Reine est aussi le Chef de l’Église Anglicane.
    La construction de l'Empire anglo-saxon est fondée sur une idéologie religieuse messianiste: le British Israelism, qui assure la supériorité du WASP.
    La France a justifié son Empire par les Lumières.
    « Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder (...) : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. (...) Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (...) Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. (...) Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation. »
    Jules Ferry (débats du 28 et du 30 juillet 1885)
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Ferry
    Hmm! Pas vraiment mieux que les Anglais. On y reconnait le paternalisme colonial.
    Le culte civil restera toujours le fondement de l'autorité d'un état.
    Les religions s'effacent et les idéologies fondent les régimes des états.
    Est-ce à dire que les idéologies avec leurs dogmes sont des substituts de religion ?
    Tribunaux laïcs? Permettez-moi de douter.
    La messe rouge, c’est un rituel symbolique de soumission de la justice civile envers les représentants de la « justice divine ». Une tradition qui remonte à 1300 à Paris.Le Barreau de Québec l’a adopté en 1896. Celui de Montréal en 1944. Depuis, chaque année, la Messe rouge se tient à la Basilique Notre-Dame.
    http://voir.ca/mohammed-lotfi/2013/11/22/la-messe-rouge-au-quebec-ca-vous-dit-quelque-chose/

  • Jacques Bergeron Répondre

    16 mars 2015

    Merci pour cette mise au point Me Néron, qui me conforte à l'idée que ces gens ne sont que des fanatiques venus dans les pays occidentaux afin d'imposer leur religion guerrière, que seuls ( sans féminin comme toujours) des barbares et des «fanatiques» peuvent véhiculer e, ils ne s'en privent pas en accusant celles et ceux qui s'opposent à leur religion archaïque, d'Islamophobie, outil de guerre contre les peuples libres d'Occident , et contre les femmes , sous les dictatures Islamo-musulmanes. Nos dirigeant-e-s politiques ne sont-ils pas les responsables de notre assujettissement aux «diktats de ces fanatiques religieux » qui refusent de s'intégrer dans les pays qui les ont accueillis, certains , comme le président de la Turquie, alors qu'il en était le premier ministre , affirmait, devant les membres du parlement allemand, qu'intégrer des musulmans était un «crime contre l'humanité. Voilà assez d'indices pouvant nous aider à comprendre, sans les accepter, les comportements de toutes ces femmes et de tous les dirigeants
    islamo-musulmans.

  • Archives de Vigile Répondre

    15 mars 2015

    Merci pour ce document. Comme pour Raif Badawi, on commence vraiment à avoir de l'information documentée.
    Pour ce qui est de la juge Marengo, ma réaction sur le coup avait été: Monoparentale, trois enfants, il était vital que la dame récupère sa voiture le plus vite possible. La juge aurait pu dire: «La prochaine fois, présentez-vous sans hijab.»
    La réaction de la presse et du public aurait peut-être été plus sereine. Je ne sais pas pour dieu, mais nous, on a besoin de sérénité.
    Sa façon de procéder fut trop proche de la provocation pour une personne de droit.

  • Me Christian Néron Répondre

    10 mars 2015

    Réponse à Gaston Carmichael :
    Je présume que la juge Marengo savait très bien les risques qu'elle prenait en
    décidant de faire respecter ainsi les règles de la cour.
    Elle savait très bien aussi que le juges, les avocats , et autres militants des
    droits de l'individu allaient se faire un plaisir de lui enseigner le chemin de la
    Vérité.
    Nous sommes à l'ère des droits fondamentaux. Par ex., le droit à la vie et le
    droit de recevoir son courrier à la maison sont tous deux fondamentaux. Il
    n'y a plus de hiérarchie dans les droits. Le mot « droit » a changé de sens
    et l'adjectif « fondamental » veut dire n'importe quoi.
    Quant à la question du port du hijab, le débat ne fait que commencer, et il
    sera long ! Le hijab est aujourd'hui le plus grand symbole d'une révolution
    sanglante qui durera des générations.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 mars 2015

    Excellent texte qui traduit clairement le sens de cet événement . Merci M.Neron

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mars 2015

    Excellent votre texte. Surtout l'expression "Servir Dieu ou se Servir de Dieu". Cela illustre parfaitement le combat idéologique/politique en cours.
    Toutefois, j'ai l'impression que Mme El Alloul n'a tout simplement pas été chanceuse en tombant sur une juge qui avait du caractère. La plupart des juges auraient sans doute fait semblant de ne pas remarquer que madame portait un hijab.
    La pire des accusations pour un juge est de se faire accuser de partialité. C'est antinomique avec la fonction de juge. Ainsi, un juge qui ferait une remarque sur la coiffure de la croyante se ferait sans doute accusé de partialité, et pourrait être déclaré inapte à juger une cause impliquant des musulmans.
    La juge marengo vient de se faire servir cette médecine. Elle se fera sans doute servir une réprimande par ses pairs pour ne pas avoir respecté la Charte des Droits et Libertés de la personne. Les règles de bienséances que la Magistrature s'impose ne feront pas le poids avec la Charte.