L’article 133 de la loi politique de 1867

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Chronique de Me Christian Néron

       Platon définissait la justice comme une vertu universelle qui avait pour objet le droit.


          À cette époque, les Athéniens considéraient le droit comme étant une chose due à autrui en raison de son égalité.


          Ce principe d’égalité de droit était une façon de rationnelle de se prémunir contre les situations inégalitaires de fait qui prévalaient si facilement dans les rapports sociaux.


          Cette idée de la chose due en raison de son égalité a traversé les âges et constitue encore aujourd’hui une valeur fondamentale de notre droit.


          Cette notion d’égalité de droit, même lorsqu’elle n’est pas explicite, est toujours au principe de notre réflexion lorsque nous nous interrogeons sur les fondements de la justice.


          L’égalité se trouve essentiellement dans la chose due à autrui.


          Lorsqu’il se produit une inégalité de droit, il y a injustice.


      C’est alors au système judiciaire d’intervenir pour rétablir un équilibre qui va ramener l’égalité, source de paix et d’harmonie dans les rapports sociaux.  


          L’égalité peut être arithmétique ou géométrique.


         L’égalité arithmétique est celle que l’on retrouve lorsque les choses échangées sont de même quantité, qualité ou valeur. Par exemple, lorsque quelqu’un achète un bien évalué à 100 $, l’égalité se retrouve dans le paiement d’une somme de 100 $ remise au vendeur.


          L’égalité géométrique, elle, n’est pas dans les objets, mais dans la proportion ou dans l’équilibre des rapports. Si, dans une entreprise, un employé est hautement qualifié et assume d’importantes responsabilités, et qu’un autre distribue simplement le courrier, l’égalité de la rétribution se trouve dans une juste proportion qui tient compte de l’apport intellectuel ou moral de chacun. S’il n’y avait pas d’égalité géométrique bien ajustée qui tienne compte du mérite et de la contribution de chacun, une entreprise serait rapidement paralysée par des conflits internes.


          Le droit est donc un système de rapports sociaux qui a pour objet d’attribuer à chacun la part qui lui est ajustée en raison du principe d’égalité.


          Le droit, au sens premier et objectif, réside dans la chose. Mais, au sens dérivé, on appelle aussi droit la capacité d’exiger une chose due. C’est le droit subjectif. Ce droit est souvent défini comme un pouvoir moral juste exercé dans l’ordre et le respect de la loi.


          La loi, pour sa part, est définie comme un principe d’ordre et une œuvre de raison à la poursuite du bien commun.


       La poursuite du bien commun est capitale puisqu’elle constitue la raison pour laquelle les hommes vivent en société. Donc, une loi qui chercherait autre chose que la poursuite du bien commun ne serait pas une loi puisqu’elle n’aurait pas de raison d’être.


          De plus, une loi qui viserait à transformer et à pérenniser une inégalité de fait en inégalité de droit ne serait pas davantage une loi et ne pourrait lier en conscience les justiciables.


          Une loi qui octroierait de façon délibérée des avantages à une minorité dominante en en faisant supporter le poids par une majorité dominée n’aurait de loi que le nom. En ce cas, elle ne pourrait lier en conscience.


          C’est exactement le cas de l’article 133 de la Loi politique de 1867.


        À titre de métaphore, c’est comme si un législateur pervers avait autorisé quelques-uns de ses amis à aller faire leur magasinage avec la carte de crédit de leurs voisins. Ça aurait été sans doute des privilèges, mais certainement pas des droits.


          Si on fait abstraction de sa dimension fédérale, cet article vise à favoriser les intérêts d’un groupe à qui on reconnait un statut éminent aux dépens des autres. L’inégalité est sa seule et unique raison d’être.


          Cet article crée au Québec, et à la charge des Canadiens français, un bilinguisme législatif et judiciaire en faveur de la minorité historique anglaise.


          Il n’octroie strictement aucun avantage aux minorités linguistiques des autres provinces qui n’ont aucune existence aux yeux de la loi. Seul le statut éminent des Anglais du Québec compte.


          Les Canadiens français, dont certains sont en Ontario depuis le XVIIe siècle, et les Acadiens qui sont dans les Maritimes depuis plus longtemps encore, sont totalement ignorés par cette loi. C’est comme s’ils n’existaient pas et n’avaient jamais existé.


          En 1867, il y avait autant de Canadiens français en Ontario qu’il y avait d’Anglais au Québec. Au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince Édouard, il y avait des Acadiens partout.


          Au Québec, l’inégalité de droit créée par l’article 133 a fait de la minorité anglaise des créanciers linguistiques, et des Canadiens français, leurs débiteurs.


          Ce rapport créanciers/débiteurs est une injustice explicite du droit positif. En 1867, les Canadiens français n’avaient aucune raison de consentir à une inégalité de droit en faveur de gens qui les méprisaient gravement et ouvertement.


          À titre d’exemple, durant les Débats parlementaires sur la Confédération, le député Christopher Dunkin a rappelé à ses collègues que le principal slogan de ses compatriotes de Montréal consistait à répéter continuellement que « les Canadiens français devaient disparaître de la surface de la terre ». C’est à la page 516 des Débats.


          Il a même ajouté que ce slogan le scandalisait tellement qu’il leur demandait souvent de cesser de dire de telles insanités, mais que ses initiatives étaient mal reçues et lui valaient d’être lui-même pris à parti.


          Étrange justice, donc, pour les Canadiens français qui n’étaient, pour leur minorité privilégiée, que des gens qui ne méritaient pas de vivre.


          L’article 133 est infâme et constitue une violence morale.


          La violence peut être définie comme une impulsion qui a son principe à l’extérieur de la chose et qui produit son mouvement sans que celui qui le subit y apporte sa coopération. Par exemple, sur le plan simplement physique, si quelqu’un ramasse un caillou et le lance, le principe du mouvement est alors totalement extérieur à la chose.


          Dans le cas de la violence morale, le principe vient lui aussi du dehors par une force hostile qui répugne à l’inclination naturelle du sujet qui la subit. Parfois, le sujet coopère pour éviter que la situation n’aille de mal en pis. Il n’y a pas consentement. Si un bandit met une arme sur la tempe de quelqu’un et lui demande son portefeuille, ce dernier n’hésitera pas à coopérer. Mais ce n’est pas un acquiescement qui le lie en conscience.


          L’article 133 trouve son principe dans la violence.


          Le contenu de l’article 133 n’a jamais été soulevé lors des Débats parlementaires sur la Confédération en février et mars 1865. Pas plus d’ailleurs que celui de l’article 93 sur l’éducation. Aborder l’un ou l’autre de ces deux sujets publiquement aurait torpillé sur le champ le projet de confédération. Il fallait donc octroyer ces privilèges en privé et à portes closes.


          En fait, c’est le député Alexander T. Galt, porte-parole des Anglais du Québec, qui va obtenir de les faire inclure dans la version finale du projet de loi sur la confédération. Cette manœuvre a eu lieu à Londres en décembre 1866. L’autorisation a été donnée par lord Carnarvon, ministre des colonies et parrain du projet de loi. Les Canadiens français n’en seront informés qu’en mars lorsque la loi aura été adoptée et sanctionnée.   


          Le droit positif est un produit de la volonté du législateur. Cette volonté peut faire tout ce qui lui plaît lorsqu’elle obtient le monopole du pouvoir.


          Cette volonté souveraine, au principe de l’article 133, a fait des Canadiens français des obligés perpétuels des Anglais du Québec qui, on l’a dit, n’avaient pour eux que du mépris.


          Quelques années plus tard, ils vont bénéficier, en matière d’« inégalité de droit », d’un allié de taille connu sous le nom de « Cour suprême du Canada ». Ce plus haut tribunal du pays a un passé qui est loin d’avoir toujours fait honneur au mot justice.


          Durant la période où ses jugements pouvaient être portés en appel à Londres, le Comité judiciaire du Conseil privé s’est vu obligé de casser plus de 50 % de ses décisions. Un record peu enviable.


          D’ailleurs, certains juges du plus haut tribunal de l’Empire sont allés jusqu’à dire qu’il n’existait au Canada « aucun arbitre avec une main absolument impartiale » capable d’entendre les litiges entre les provinces et le fédéral. Cette remarque visait expressément la Cour suprême du Canada.


          De la justice et de la validité des lois.


         Les plus grands esprits à l’origine de notre civilisation n’ont pas attendu l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 ni les errements de notre Cour suprême pour approfondir leur réflexion sur les fondements de la justice et de la validité des lois. Je pense ici tout particulièrement à Aristote, et le livre V de son Éthique à Nicomaque où l’on trouve une théorie générale portant sur le droit et la justice.


          Bien qu’il ait développé une doctrine complète sur le droit naturel comme source première de la loi, il reconnaît l’utilité du droit positif tel que nous le concevons encore aujourd’hui. Toutefois, il reconnaît en ce sens que l’autorité législative peut se montrer ignare, malveillante et insouciante du bien commun en adoptant des lois absurdes ou franchement mauvaises. En ce cas, personne n’est tenu de les reconnaître et de s’y soumettre.


          Il a ajouté que lorsque le législateur a franchi les bornes de la justice en tant que principe d’égalité, il a du même coup perdu les fondements de son autorité. Une telle loi n’est même plus une loi puisqu’elle a perdu elle aussi les fondements de sa validité. L’autorité de la loi, ainsi que celle du législateur, ont disparu.


      En conséquence, la loi ne peut lier en conscience les justiciables et peut être enfreinte dans la mesure où les effets de leur désobéissance ne sont pas pires que les maux qu’ils veulent combattre. Aristote écrit : « Une telle loi n’est pas une loi puisqu’elle ne remplit plus la fonction qui est celle de la loi ». (Rhétorique I, 15,7)


          Au XIIIe siècle, la théorie générale d’Aristote sur le droit et la justice est reprise par saint Thomas d’Aquin dans sa propre théorie générale des lois. Il confirme à peu de choses près tous les enseignements d’Aristote sur l’origine, la nécessité, les qualités, l’autorité et les limites de la loi positive. Cette réhabilitation donne un essor considérable au développement du droit positif dans le monde occidental.


          Il ajoute que la loi positive se devait d’être obéie puisqu’elle créait du juste, et ce, malgré le fait qu’elle reposait en partie sur l’arbitraire du législateur.


          Cependant, lui aussi précise que l’autorité de la loi positive n’était jamais que conditionnelle : « La loi n’est telle, ne mérite ce nom, comme l’enseigne la tradition, qui si elle remplit son office d’expression et de réalisation du juste. Lorsqu’elle cesse de remplir cette fonction, il faut bien que les juges la tournent. ( quest. 96,Art. 6 dans IIa IIal)


          Donc, quand une loi a perdu les fondements de sa validité, elle n’a plus de loi que le nom et ne peut lier en conscience. C’est alors la fonction des juges de rétablir l’équilibre afin que le principe d’égalité de droit prévale en toute circonstances.  


          Mais l’accès à l’égalité de droit peut aussi être une illusion. La raison en est que les juges des tribunaux supérieurs ont tendance à prendre parti en faveur des valeurs du régime en place. Le fait qu’ils se déclarent indépendants et impartiaux n’est pas une garantie de leur honnêteté morale et intellectuelle. Cette question a été bien étudiée par le professeur François Rigaud dans l’ouvrage La loi des juges, lequel traite de l’attitude des juges de la Cour suprême d’Allemagne suite à l’adoption des lois sur la citoyenneté et le sang le 15 septembre 1935.


          Au lieu de porter un regard moral sur l’inégalité de droit créée par ces lois et sur la façon dont elles avaient été adoptées, les juges de la Cour suprême ont adhéré aux valeurs du nouveau régime et ont même cherché à le couvrir d’une certaine aura d’honorabilité. Non seulement ils n’ont jamais exprimé la moindre réticence à l’égard de ces lois odieusement inégalitaires, mais ils ont même cassé des jugements des tribunaux inférieurs afin de favoriser une application la plus extensive possible de ses dispositions qui faisaient des juifs allemands des étrangers et des indésirables.


          La Cour suprême du Canada a eu la même attitude dès sa création en 1875. Il lui était plus important de soutenir les valeurs du nouveau régime que de faire respecter l’esprit et la lettre du Pacte conclu entre cinq colonies autonomes et deux conceptions de la loi, du droit et la justice. Tel que rappelé plus haut, un long conflit en est résulté avec le Comité judiciaire du Conseil privé à Londres. Plusieurs juges de ce haut tribunal de l’Empire ont porté des jugements fort peu flatteurs sur l’éthique et le sens moral des membres de la Cour suprême du Canada. Mais, malgré des jugements cinglants sur sa probité morale, notre Cour suprême est restée fidèle à elle-même et au régime politique qui lui avait donné la vie en 1875.


          On n’a qu’à voir son attitude vis-à-vis l’article 133. Non seulement elle n’a jamais exprimé la moindre réticence à l’endroit du caractère délibérément inégalitaire de cet article et sur la façon dont il avait été imposé aux Canadiens français du Québec, elle n’a pas hésité à en faire une application la plus extensive possible. Elle l’a fait en 1979 dans la cause P.G. Québec c. Blaikie. Ce jugement confirme une fois de plus que l’égalité des justiciables canadiens devant la loi est souvent déterminée en fonction de la langue et de l’origine ethnique. Bien des décisions judiciaires peuvent être interprétées à partir de postulats implicites et inavouables que les juges se gardent rigoureusement de faire état.


          Au lieu de porter un jugement critique sur l’immoralité cette disposition, la Cour suprême en a élargi l’application et, comble de l’indécence, elle est allée jusqu’à lui reconnaître une autorité « supra-législative ». C’est un exemple de plus qui confirme le jugement cinglant du Comité judiciaire du Conseil privé sur la déficience morale de la Cour suprême du Canada. Cette illusion de justice ne peut durer indéfiniment. Examinons quelques avenues pour s’en prémunir.


          Le droit de résistance est légal et légitime


          Que faire lorsque, même avec le concours des juristes les plus savants et les plus expérimentés, l’accès à un « arbitre avec une main absolument impartiale » reste impossible ? Souffrir un cumul d’injustices jusqu’à la fin des temps ? Non ! Le droit de résistance peut constituer un moyen pour rétablir une égalité de droit.,


          Les Anglais, à l’époque médiévale, ont fait de la résistance un droit constitutionnel avec la Grande charte de 1215. D’innombrables juristes anglais ont fait l’éloge de ce droit. Blackstone, le plus célèbre professeur de droit du XVIIIe siècle, a même écrit, dans ses Commentaries que « l’obéissance passive constitue le pire des esclavages et la plus horrible des doctrines ». La clause 61 de la charte de 1215 fournit même la procédure à suivre lorsque ce droit est exercé. La résistance doit se faire dans l’ordre au nom de la communauté tout entière.


          Le professeur Michel Giroux, dans sa thèse de doctorat portant sur la nature et les fondements du droit de résistance écrit que « l’on peut avoir la capacité, le pouvoir de refuser l’obéissance au nom de la justice et de la liberté. Cette capacité est un droit subjectif. À la chose correspond la légitimité de sa revendication ».


          À la page 39, il ajoute : « lorsque le système judiciaire ne permet pas de tels recours, ou qu’il serait illusoire d’en appeler aux tribunaux, il peut être opportun d’utiliser une autre forme de résistance. — Le maintien de l’injustice par les institutions judiciaires ne signifie pas que les citoyens n’ont qu’à se résigner. Il leur indique simplement que d’autres moyens doivent être utilisés. — Or, l’ensemble de la conduite humaine est dirigé par la morale, ce qui est bien plus vaste que le seul droit positif. — Nous avons expliqué plus haut que le droit positif a pour objet le bon fonctionnement de la société, alors que celui de la morale vise le développement le plus complet de l’être humain. — Pour la même raison, la loi positive ne doit sanctionner une règle morale que dans la mesure où elle est utile au bien commun. — Lorsque quelqu’un refuse d’obéir à une loi injuste, il demeure fidèle à ce pour quoi on a créé la société et le pouvoir : le bien commun. — Hannah Arendt affirme que d’un point de vue juridique, celui qui fait acte de désobéissance civile viole la loi aussi bien que le délinquant de droit commun. Toutefois, le fondement du droit de résistance doit être la morale. Personne n’est lié par une loi injuste. Il existe un principe supérieur au droit positif et au nom duquel on peut résister à l’injuste ».


          Les Québécois ont un État pour exercer leur droit de résistance dans l’ordre


          L’exercice du droit de résistance doit être graduel, ordonné et conforme à la poursuite du bien commun. Au Québec, l’institution la plus propre à l’exercice de ce droit est l’État au nom de la communauté tout entière.


          De plus, la résistance à une injustice institutionnelle, même très forte, n’est pas synonyme de rupture. En Angleterre, le droit de résistance a plusieurs fois été exercé de façon forte et même violente, mais il n’y a jamais eu rupture. C’est d’ailleurs cette résistance qui a permis aux institutions de s’adapter aux valeurs changeantes, et à la monarchie de survivre.


          Ne jamais résister à une injustice est la meilleure façon d’inviter un agresseur à récidiver. Au Québec, malheureusement, nous avons multiplié ce genre d’invitations. Nos « invités » ont bien compris le message et en ont même abusé. Nous avons fini par en payer le gros prix.


          Prenons par exemple la façon dont la charte de 1982 nous a été imposée. Comment expliquer ce coup de force odieux à notre endroit ? Même des juges de la Cour suprême y ont participé directement. Si le Canada anglais s’est permis d’aller si loin, c’est parce qu’il était absolument certain que nous allions collectivement nous écraser. Il était certain de ça parce que dans le passé nous leur avons donné d’innombrables exemples de notre manque de courage à nous faire respecter en tant que partenaires égaux au pacte solennel de 1867. D’une certaine façon, nous avons obtenu ce que méritent en général ceux qui manquent de force morale face à l’adversité. De plus, nous sommes des fétichistes de la légalité. Nous ne savons pas reconnaître quand une loi n’est pas une loi et qu’elle ne peut lier en conscience.  


          C’est face à l’adversité et dans des situations périlleuses que quelqu’un révèle son véritable caractère. Dans Éthique à Nicomaque, Aristote disait que les peureux avaient tendance à exagérer le danger ou à redouter des choses non redoutables comme si elles étaient redoutables. Naturellement, il est sain de redouter ce qui est réellement dangereux, mais malsain de redouter ce qui ne l’est pas.


          Qu’avons-nous à redouter du Canada anglais ? Qu’il finisse par nous mettre à la porte ! Ça, c’est un danger qui n’existe pas, qui n’a jamais existé, et qui n’existera jamais. Le Canada a bien plus besoin de nous que nous avons besoin de lui. Dans un sens, nous avons le gros bout du bâton, mais nous nous comportons comme si nous n’avions pas de bâton du tout. S’il existait un Prix Nobel des peureux, il y a longtemps que nous aurions été honorés. Nous sommes collectivement de remarquables peureux, mais nous avons aussi de remarquables qualités. Pour preuve, malgré notre déficience morale à nous faire respecter, nous avons construit un pays où il fait bon vivre et où la violence a toujours été l’une des plus basses au monde. Nous avons plein de statistiques en ce sens depuis 1840.


          Bref, si la résistance est un droit pour la population, elle peut être un devoir pour l’État du Québec qui a tout ce qu’il faut pour exercer la résistance dans l’ordre et au nom de la communauté tout entière. Nous avons un gouvernement et une assemblée législative. Notre obéissance collective à la Constitution du Canada ne peut être que limitée et conditionnelle. Depuis longtemps et à de nombreuses reprises, le Canada anglais et la Cour suprême ont interprété cette constitution pour favoriser leurs intérêts nationaux à nos dépens. Est-ce bien ça le principe de l’égalité de droit ?


          Notre obéissance à cette constitution a ses limites. Quand une loi crée une inégalité de droit et que le plus haut tribunal du pays en aggrave l’injustice, cette loi et les jugements qui la soutiennent doivent être enfreints, compte tenu qu’ils ont perdu les fondements de leur validité.


          La morale est au-dessus de la loi parce que la loi ne peut pas être sans morale. Malgré la Constitution du Canada et ses lois, le gouvernement du Québec et notre Assemblée nationale ont tout le pouvoir légal et légitime pour exiger une égalité de droit et rétablir la justice partout où leur intervention est nécessaire.


         Sur le plan moral, l’obéissance à la Constitution du Canada ne peut être que limitée et conditionnelle. En toute conscience, personne ne peut être lié par une loi qui n’a de loi que le nom.


              Le mot « esclave » a plusieurs sens et il y a de nombreuses façons de le devenir. Et quand on le devient, on peut le rester longtemps.


 


Christian Néron

Membre du Barreau du Québec

Constitutionnaliste,

Historien du droit et des institutions.


 



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