Texte publié dans l'aut'journal du lundi 23 mars 2009
«Dieu n’existe probablement pas, alors cessez de vous inquiéter et profitez de la vie.» Ce message affiché sur quelques autobus du centre-ville de Montréal durant tout le mois de mars devait réjouir les athées, interpeller les branlants et provoquer les croyants. On aurait pu s’attendre à voir couler l’encre et le sang partout dans les médias. Dans les autobus colportant le blasphème, sur la ligne 51, pour les très universitaires, athées et croyants s’affrontant, comme au siècle des Lumières, argumentant sur la Chimère, s’arrachant même les cheveux et les yeux, en polémiquant à qui mieux mieux sur l’existence du bon Dieu.
Mais le combat n’a pas eu lieu. Aucune plainte, aucun cri, aucune colère. Bien au contraire. Les athées furent déçus et agacés par le frileux «probablement» dont les croyants se sont régalés et moqués bien gentiment. Queue de poisson ou pétard mouillé, les autobus n’ont fait que circuler dans l’indifférence générale de ceux qui passent, avec en vitrine, Dieu comme de l’aspirine.
Et pendant qu’à Montréal nous nous demandions si Dieu existe, Il était au Brésil, le corps chaud et bien vivant, à mettre le pays à feu et à sang, à faire couler l’encre partout dans les médias du monde, pour avoir excommunié une enfant de neuf ans, violée par son beau-père, puis avortée grâce à sa mère. Tout cela avec l’indulgente bénédiction du bon Benoît.
Et pendant qu’à Montréal…, Il est au Cameroun également. C’est bien connu, Dieu est partout. En Afrique, à convaincre tous les sidéens des dangers… du condom. Réfléchissez un peu, et dites-vous bien que si Dieu n’existait pas, l’infaillible Benoît serait emprisonné depuis longtemps.
ET L’HOMME CRÉA DIEU
Il n’y a pas Dieu au ciel et les hommes sur la terre. Il n’y a jamais eu de Dieu à grande barbe blanche, assis confortablement sur un nuage de chez Léon et qui nous regarde tout en bas pendant qu’on mange un beigne chez Tim Horton. Non, allez, profitez de la vie et continuez à manger des beignes!
Ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme, mais ce sont les hommes qui ont créé Dieu. Cette formule résume à elle seule toute la pensée XIXième siècle, où des philosophes tels Feuerbach, Marx, Nietzsche et Freud délaissent les réfutations rationnelles des Lumières sur l’existence de Dieu pour se pencher plutôt sur le « pourquoi » et le « comment » de son existence. Pourquoi les hommes croient-ils en Dieu?
Ce renversement radical va faire de l’anthropologie, la nouvelle vérité théologique. Désormais, il faudra regarder le ciel par l’autre bout de la lunette, à partir de l’homme, de sa vie, de son histoire et du besoin qu’il a de toujours s’inventer Dieu. Ces philosophes nous auront appris non seulement que Dieu est mort, mais que c’est nous qui le faisons vivre et qu’il n’en tient qu’à nous de le faire disparaître. Que Dieu se résume à ce qu’on en dit et ce qu’on en fait. Rien d’autre. Dieu n’est pas un savoir, Dieu est une fiction, une croyance, une folie grandiose.
Vu sous cet angle, vous aurez compris, que la contre preuve de l’existence de Dieu devient superflue. Que Dieu existe ou pas ou probablement (!) est sans importance. Alors les autobus peuvent toujours continuer à circuler, ils se déplacent dans le XVIIIième siècle. Pas étonnant que personne ne s’y intéresse.
LA PUISSANCE DU FAUX
Au XVIième siècle, c’est Machiavel qui, conseillant le Prince, affirma que «la religion est le meilleur rempart du Prince.» En disant cela, le philosophe introduisit une dimension politique à la religion comme à la croyance en Dieu. Maintenir Dieu pour maintenir l’ordre et le peuple dans la sujétion. Tel était le précieux conseil. À la même époque, Thomas More écartera de son Utopie tous ceux qui ne croient pas en Dieu, considérant à l’instar de Platon dans Les Lois, les athées comme une menace et un réel danger pour la société.
Deux siècles plus tard, John Locke dans sa Lettre sur la Tolérance réitérera la même condamnation vis-à-vis les athées qu’il crut préférable de ne pas tolérer… Écoutons-le : «Enfin, ceux qui nient l’existence d’un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole; et que si l’on bannit du monde la croyance d’une divinité, on ne peut qu’introduire aussitôt le désordre et la confusion générale.»
Et le tolérant Voltaire en rajouta un peu plus tard en écrivant dans son Dictionnaire philosophique : «Je ne voudrais pas avoir affaire à un prince athée, qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier (......). Il est donc absolument nécessaire pour les princes et pour les peuples, que l’idée d’un Être suprême, créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits.» Ici c’est la puissance de l’idée qui compte, parce que ces gens-là ne prient jamais. Ils font de la politique.
LA VIE EST SACRÉE, N’EN PROFITEZ PAS!
Contre la contraception, contre l’avortement, contre la recherche médicale sur les cellules souches, contre le suicide assisté et contre l’euthanasie de la petite Phébé vivant le martyre et dont l’histoire récente a ému le Québec au grand complet. C’est Dieu qui donne et c’est Dieu qui reprend.
Et dans ce credo, les protestants, les juifs et les musulmans sont aussi catholiques que le Pape! Tous unis en Dieu pour nier la vie, la triturer, la condamner, soumettre les corps et les esprits, soumettre les femmes surtout, et condamner l’homosexualité…
Dieu, le parfait, l’intouchable, le non falsifiable. L’alibi des pires violences commises contre la vie. La ruse suprême pour nous faire croire que la vie est une tarte coupée en deux avec d’un côté le bien et de l’autre le mal, une tarte dans laquelle on fait s’agenouiller les foules en prenant bien soin qu’elles s’écrasent toujours du côté du bien, là où Dieu n’a jamais mis les pieds.
Ce Dieu qui nous fait vivre à moitié et à genoux, il existe toujours et il est contre nous. Feuerbach et les autres appelaient cela de l’aliénation…
DIEU EXISTE ET IL EST PARTOUT
Les Québécois se trompent en pensant que la religion est chose du passé. Certains diront que les églises sont vides. Les églises catholiques, oui. Et après? C’est aller un peu vite en affaire et oublier que nos têtes, elles, sont encore pleines de toutes ces valeurs chrétiennes qui font exister Dieu sur les comités d’éthique des hôpitaux contre l’euthanasie, Dieu au Parlement dans nos Chartes et nos lois contre le suicide assisté, Dieu au Parlement à discuter d’avortement, Dieu aux funérailles, aux mariages et aux baptêmes.
À la mort du pape, Dieu des jours entiers à la télé, Dieu en éditorial à Noël et à Pâques, Dieu qu’on publie parce qu’il s’appelle monseigneur, Dieu qui fait régulièrement la une et suscite des tonnes de courriels, Dieu qui «mousse» l’idée de femme au foyer, Dieu sur les trottoirs de Montréal, dans les écoles et au travail, dans les vêtements, Dieu dans le turban et le kirpan, dans les femmes voilées, les femmes juives portant perruque, Dieu dans les aliments, sans le porc, avec le ramadan, sans les nageoires et le lait avec la viande, Dieu dans le sexe propre et sur les autobus… Voilà les preuves de l’existence de Dieu!
On entend souvent dire que la laïcité nous a jeté dans un monde vide de sens, un immense désert rempli de sexe, d’alcool, de drogue et de violence et que le retour du religieux serait celui du balancier, pour ne pas que Dieu nous refasse le coup du déluge. Que la religion serait en quelque sorte une vraie bénédiction pour remédier à cette anomie de la modernité.
Je ne partage pas cette analyse. Je crois que Dieu n’est mort que sur le plan épistémologique parce qu’on ne se réfère plus à lui pour expliquer le monde. Mais qu’à part ceci, Dieu a toujours été présent et qu’il continue de l’être.
Et pour employer une formule de Jacques Bouveresse, il n’y a pas à proprement parler de retour du religieux, mais plutôt de plus en plus de recours au religieux pour faire de la politique. Autrement dit, Dieu et sa marmaille se sont politisés et bien que la religion ait toujours été de la politique, elle semble le devenir davantage en ce début de siècle avec la montée du fondamentalisme.
Est-ce que Dieu existe? Cette question est futile et inintéressante. Ne vous préoccupez pas de savoir si Dieu existe ou non, mais occupez-vous plutôt de ceux qui y croient. Parce que ces gens-là ne rigolent pas, qu’ils vont tout rapetisser et qu’eux, ils existent!
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Louise Mailloux est professeure de philosophie au Cégep du Vieux Montréal. Elle a publié plusieurs articles et essais dans divers médias.
Lettre ouverte aux médias
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24 mars 2009« L'homme a créé Dieu... L'inverse reste à prouver...»
- Serge Gainsbourg