On connaissait déjà les flexitariens. Ceux qui se nourrissent de quinoa arrosé au jus de navet, quand ils ne broutent tout simplement pas la pelouse du jardin, histoire de sauver la planète tout en faisant des économies d’essence pour la tondeuse à gazon. Mais ces flexitariens peuvent aussi se lâcher de temps à autres ; autrement, flexitariens ils ne seraient pas, CQFD. Et les mêmes de parfois avaler deux côtes de bœuf de rang, un demi-jambon à l’os, le tout servi avec un seau de frites et deux litres de ketchup.
D’un côté, l’ascèse ostentatoire. De l’autre, le plaisir coupable. Depuis le Tartuffe de Molière et même avant, on n’a rien inventé. Mais depuis, ce mouvement semble essaimer. D’où ce fleximinisme qu’on commence à importer des USA en nos contrées.
Jean-Marc Proust, journaliste à Marianne, a rencontré l’un de ces étranges spécimens. Le soir, elle colle des affiches dans le XVIIIe arrondissement parisien, dont les slogans sont sans équivoque : « Patriarcat partout, justice nulle part » ou encore « Non à toutes les violences sexuelles et coloniales ». Fort bien, et de telles activités valent bien les clubs de tricot ou de point de croix.
Mais cette dame reconnaît qu’en même temps, « mon féminisme est à temps partiel. Je dois choisir mes combats et le temps à leur consacrer. Au bureau, j’accepte d’être moins bien payée, et à la maison, c’est moi qui fais à peu près tout, mais je suis très active sur les réseaux sociaux. »
En bon français, voilà qui s’appelle de la schizophrénie. Mais pour Martina Denocke, professeur de neo gender studies à l’université américaine de Princeton, c’est vachement plus inspirant : « C’est une démarche progressiste qui accepte de faire un bout de chemin avec les conservateurs pour nouer le dialogue et faire avancer la cause. Par exemple, si vous êtes flexiministe, vous n’acceptez pas d’être attrapée par la chatte, mais vous pouvez rire de la bonne blague. Vous acceptez une main aux fesses le mardi mais vous êtes intraitable les autres jours. Ça permet de discuter avec l’ennemi. » « C’est cela, oui… », comme disait Thierry Lhermitte dans Le Père Noël est une ordure, le toujours réjouissant film de Jean-Marie Poiré.
Et la même universitaire de décrire le calvaire quotidien de la fleximinitude : « Vous pratiquez l’écriture inclusive, mais vous devez utiliser un ordinateur patriarcal [dont le clavier ne permet pas le point médian]. Alors vous êtes obligé.e d’envoyer un mail non inclusif. Et le flex vous met dans une rage telle que votre féminisme gagne en vigueur. »
Bref, soigner le mal par le mal. C’est la méthode Serge Gainsbourg : une dose d’eau, c’est bon pour la santé. Mais agrémentée de quatre doses de Pastis 51, voilà qui permet de goûter toute la saveur de l’eau. Bête comme chou, aurait assuré l’homme à la tête de chou.
On reconnaîtra au moins aux flexiministes de ne pas rechigner à l’effort, entre une vaisselle et deux coups d’aspirateur, tel qu’en témoigne une certaine Véronique, elle aussi interrogée par l’hebdomadaire dirigé par Natacha Polony : « La semaine dernière, mon mari voulait faire l’amour, mais je n’en avais pas envie. J’ai fini par accepter et me laisser faire, parce que le viol conjugal nourrit mon combat. Quand il a eu fini, je lui ai dit : "merci de m’avoir violée, ça m’aide !" Je crois que ça l’a fait progresser lui aussi. J’ai senti qu’il était un peu déconstruit. » À peine moins que les deux enfants du couple, Véronique leur expliquant le lendemain, à l’heure de l’ami Ricoré : « Cette nuit, maman a été violée par papa. » On sent déjà les gamins qui partent bien armés dans la vie…
Après Molière, il y a évidemment Georges Brassens, auquel on laissera les mots de la fin, ceux de la chanson « Paroles » : « Misogynie à part, le sage avait raison/Il y a les emmerdantes, on en trouve à foison/En foule, elles se pressent/Il y a les emmerdeuses, un peu plus raffinées/Et puis, très nettement au-dessus du panier/Y a les emmerderesses. » Sacré Georges !