Encadrer le vice

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N'importe quoi pour faire accepter l'inacceptable

Celui qu’on avait jadis baptisé le « beu de Matane » en raison de ses méthodes brutales, Marc-Yvan Côté, a toujours eu le don des propositions provocantes au moment de quitter la scène.

L’arrivée de Daniel Johnson à la tête du PLQ en 1993 avait clairement signifié la fin de sa carrière politique. Avant de partir, il avait cependant plongé bon nombre de ses collègues du Conseil des ministres dans l’embarras en se prononçant sur les ondes de TVA pour la légalisation de la prostitution. « Ça paraît qu’il s’en va », avait lancé l’un d’eux, furieux.

L’un des plus mal à l’aise était Claude Ryan, qui détestait notoirement parler de « ces choses-là ». Il avait passé sa rage sur les journalistes, les accusant de se livrer eux-mêmes au racolage et à la prostitution en cherchant à recueillir des réactions à la déclaration de son collègue de la Santé. En sa qualité de ministre de la Sécurité publique, M. Ryan était clairement concerné, mais il avait refusé de se prononcer, qualifiant toute l’affaire de « petit pet ».

Pourtant, M. Côté avait manifestement réfléchi à la question et semblait parler très sérieusement. « Nier l’existence de ce phénomène, c’est oublier toute l’Histoire. Cela existe depuis la nuit des temps. Le meilleur moyen de s’assurer que ça puisse être fait de manière conforme, en respectant les normes de santé, c’est la légalisation », avait-il expliqué.
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Cet épisode m’est revenu en mémoire cette semaine en entendant M. Côté déclarer devant la commission Charbonneau qu’il vaudrait mieux autoriser les entreprises à contribuer au financement des partis politiques plutôt que d’assister au contournement systématique, qu’il a lui-même orchestré pendant des années en sa qualité de vice-président au développement des affaires au sein du groupe de génie-conseil Roche.

Mutatis mutandis, les arguments qu’il a fait valoir sont exactement les mêmes que ceux qu’il invoquait en faveur de la légalisation de la prostitution. À défaut de pouvoir éradiquer le vice, aussi bien l’encadrer pour qu’il soit le moins dommageable possible, que ce soit sur le plan de la santé physique ou sur le plan de la santé démocratique. D’ailleurs, si la prostitution est le plus vieux métier du monde, le financement occulte des partis remonte sans doute aux origines de la politique.

M. Côté n’est pas le premier à faire cette proposition. Son défunt homonyme, Pierre F. Côté, vieux compagnon de route de René Lévesque, qui en avait fait le premier directeur général des élections de l’ère moderne, avait suggéré lui aussi de mettre fin à cette hypocrisie collective, mais sa proposition avait provoqué des cris de vierge offensée. Avec le Manitoba et la Nouvelle-Écosse, le Québec est pourtant la seule province canadienne où le financement des partis politiques par les entreprises est interdit.

Dans son rapport de 2006, le juge Jean Moisan en était arrivé à la même conclusion : « Au plan d’un sain réalisme, il est préférable de permettre des souscriptions corporatives plutôt que de fermer pudiquement les yeux sur une réalité évidente et se complaire dans une fausse vertu. Il me paraît clair que des personnes morales trouveront des moyens détournés pour contribuer au financement des partis qui soutiennent leur cause ou dont elles peuvent profiter pour la promotion de leurs affaires. »
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Il serait pour le moins étonnant que le rapport de la commission Charbonneau contienne des recommandations en ce sens. De toute manière, ce qu’on a entendu depuis le début de ses travaux est trop choquant pour que l‘opinion publique soit disposée à l’accepter.

Même si l’abaissement à 100 $ des contributions individuelles autorisées rend beaucoup plus difficile l’usage de prête-noms en quantité suffisante, les besoins des uns et les intérêts des autres sont trop considérables pour permettre d’imaginer que la vertu sera dorénavant la règle. Une fois que la psychose de la corruption se sera atténuée, il est à craindre que le naturel reprenne rapidement ses droits.

Il n’est certainement pas question d’excuser ceux qui ont violé la loi en plaidant un « problème de société », comme l’a fait Marc-Yvan Côté, mais il avait raison de dire que les partis politiques sont devenus des « monstres » à l’appétit insatiable. C’est plutôt cet appétit qu’il faudrait freiner en abaissant le plafond des dépenses autorisées. Sinon, il se trouvera toujours quelqu’un pour le satisfaire au-delà du financement public.
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Bulletins

Comme en juin 2003 et de façon exceptionnelle, je ne décernerai pas mes traditionnels bulletins de fin de session, puisque le PQ et le PLQ se sont partagé presque également les mois de pouvoir et d’opposition depuis le début de l’année. Rendez-vous en décembre prochain.


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