Errance fédéraliste

Chronique de Patrice Boileau


En tout respect, les fédéralistes québécois n’en finissent plus d’effectuer des contorsions politiques afin de convaincre que le Québec ne peut se passer du Canada. L’intervention publique de Jean Allaire, la semaine dernière, l’a encore prouvé.
Le fondateur de l’Action démocratique du Québec a en effet affirmé que le Québec devrait signer la constitution de 1982, afin de prouver sa bonne foi envers le peuple canadian. L’homme croit ainsi qu’après ce geste, les élus de l’Assemblée nationale pourraient espérer voir certaines revendications aboutir favorablement.
La stratégie de celui qui a dirigé dernièrement un groupe indépendant et non partisan « Groupe avenir Québec », constitue un recul grave pour le Québec. Elle lui enlèverait tout rapport de force, avec cette abdication constitutionnelle. Il est tout de même incroyable de lire pareille proposition de la part de quelqu’un qui a appuyé le camp du OUI en 1995, parce qu’Ottawa refusait d’accorder au Québec le rapatriement de 22 compétences exclusives!
Certes, cette ratification constitutionnelle est assortie de cinq conditions. Sauf que celles-ci se situent bien en deçà des demandes traditionnelles du Québec. De plus, les premiers pas que les élus de l’Assemblée nationale devraient faire, selon Allaire, relèvent du suicide politique. « Rétablir les ponts », comme l’atteste ce dernier, n’est pas l’affaire du gouvernement québécois. Ce n’est pas lui qui les a en effet rompus, suite au coup de force de 1982, ni lors des tentatives de réconciliation en 1990 et 1992.
Il est toujours étonnant de voir combien les fédéralistes peuvent parvenir à avaler des couleuvres pour persuader que les rapports néfastes entre le Canada et le Québec ne sont que des défis motivants à relever! Il fallait entendre Pablo Rodriguez du Parti libéral du Canada s’enthousiasmer dernièrement, devant les tensions qui caractérisent les rapports des membres de son caucus des autres provinces! Ces rapports de forces pimenteraient agréablement les échanges au sein du PLC, selon lui! Si les membres de l’aile québécoise peinent à se faire valoir dans les troupes de Michael Ignatieff, cela devrait nous réjouir car il y a là une belle lutte à livrer… C’est qu’il y en a marre des luttes, aussi joyeuses puissent-elles paraître aux yeux de certains.
La démarche que propose Jean Allaire est surréaliste, alors que l’État canadian s’apprête à attribuer davantage de sièges à l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique. Tout à fait invraisemblable puisque le statut de nation qui a été octroyé par Ottawa aux Québécois, ne s’accompagnera pas de pouvoirs supplémentaires. Les élus de tous les partis canadians ont approuvé cette décision de l’administration Harper.
La prochaine campagne électorale fédérale montrera également que l’idée de l’ancien « stratège » adéquiste constitue une humiliante capitulation de l’État québécois, face à ses responsabilités historiques.
C’est que le Québec sera carrément boudé par les chefs des formations fédéralistes, maintenant qu’il est admis que le Parti conservateur puisse former un gouvernement majoritaire en l’ignorant. Tout se jouera en Ontario, province où le PC de Stephen Harper enregistre les gains les plus importants, au détriment du Parti libéral de Michael Ignatieff. Plus que jamais, le peuple québécois sera tassé sur la voix d’évitement, pour ne pas gêner les déplacements de ceux qui rêvent de diriger le Canada.
Ignoré de la sorte, le Québec n’apparaît tout simplement plus dans l’agenda canadian. Comment Jean Allaire peut-il croire sérieusement qu’on voudra entendre les doléances des Québécois à Ottawa?
L’homme ira-t-il jusqu’à encourager ses compatriotes de délaisser le Bloc québécois au profit d’une formation canadian, afin de mieux démontrer combien ils sont prêts à rentrer au bercail fédéral? Ne sait-il pas qu’à chaque fois que des Québécois ont été envoyés massivement à la table du gouvernement canadian, le Québec a essuyé les coups les plus salauds? Il n’y a que les fédéralistes québécois pour oublier les leçons de l’histoire, ou de leurs conférer cette rocambolesque légende positive qui fait grandir le Québec!?!
Le fruit n’est pas mûr, que répètent à l’unisson les ténors fédéralistes, chaque fois qu’il est question de donner la place au Québec qui lui revient, en Amérique du nord. Le pourrissement de la situation constitutionnel et politique du Québec, dans l’espace canadian, n’est pas de sa faute. Il avait choisi naturellement le chemin de la liberté, en 1995. L’attribution massive de certificats de citoyenneté par l’État canadian --des dizaines de milliers durant une poignée de mois avant la tenue du vote-- aura frauduleusement trafiqué le résultat du référendum. Ottawa est donc l’unique responsable du cul-de-sac dans lequel la société québécoise piétine.
Le peuple québécois représente un obstacle dans les plans de développement canadian. Seule son assimilation règlera la question nationale et non pas un nouveau pacte constitutionnel. Quelques ententes administratives inoffensives sont toujours possibles, en attendant la minorisation tranquille des francophones de cette partie de l’Amérique. Une forme de chloroforme politique finalement, qui parviendra à endormir paisiblement tous les Jean Allaire de ce monde.
Voilà pourquoi il est hors de question que le Québec adhère à la loi constitutionnelle de 1982. Pas plus qu’il ne doit croire au statut de nation qui lui a été consenti récemment par le gouvernement fédéral. Les Québécois ne doivent rien attendre d’Ottawa. S’ils veulent que les choses bougent, ce n’est qu’entre eux, hors du cadre politique actuel, qu’ils pourront le faire. Jean Allaire n’a pas osé l’admettre, lui qui a refusé de répondre aux journalistes qui voulaient connaître son plan B, en cas d’échec d’éventuels pourparlers. Probable que le pauvre ne sait plus où il en est, dans sa tête. Qu’il se console : les fédéralistes de son acabit sont tout autant désorientés.
Patrice Boileau



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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 octobre 2009

    Merci pour votre contribution à notre avenir M. Allaire :
    « Les siècles sont à toi, le monde est ta patrie ; Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels Où le juste avenir prépare à ton génie Des honneurs immortels »
    Alphonse de LAMARTINE, Méditations poétiques I, 14

  • Claude Girard Répondre

    14 octobre 2009

    Le pauvre Jean Allaire est peut-être mêlé mais vous devriez lire l'entrevue que Louise Beaudoin a accordée au magazine MacClean's en juillet, entretien passé inaperçu alors, mais qu'on peut lire grâce à Vigile. Que de contradictions, de voeux pieux, d'approximations de la part de l'une des souverainistes les plus en vue du PQ.
    Si les propos vagues et imprécis de Mme Beaudoin sur cette incroyable idée bidon de référendums sectoriels reflètent vraiment la détermination du PQ à faire du Québec un pays, la maladie dont ce parti est atteint est encore plus grande que je ne le pensais. Nous, indépendantistes non-péquistes, allons-nous attendre que ce parti s'effondre sur lui-même avant d'agir? Question à Louis Lapointe: est-il possible aux indépendantistes qui en ont marre du PQ de le prendre d'assaut néanmoins et de substituer à sa tête une direction résolument indépendantiste tout en sauvant la formidable machine électorale de ce parti ou bien est-ce déjà trop tard?

  • Gilles Bousquet Répondre

    13 octobre 2009

    Intéressante et logique, votre chronique M. Boileau, mais la stratégie du groupe Allaire n’enlèverait pas actuellement le rapport de force du Québec envers Ottawa pour la bonne raison que le Québec n’en a pas actuellement de ça, sauf celui de limiter le nombre de gouvernements majoritaires fédéraux quand un grand nombre de députés du Bloc sont élus, ce qui est un bien petit irritant pour le ROC pour l'instant.
    Pourquoi est-ce que le Québec n’a pas de rapport de force actuel ?
    60 % des Québécois sont fédéralistes contre 40 % de souverainistes "divisés entre 3 partis provinciaux" dont environ 15 % sont des souverainistes mous ou des autonomistes, plus facilement craintifs devant les promesses et menaces du fédéral. Ça fait qu’il reste un bon bloc de 25 % de solides indépendantistes qui ont cette orientation constitutionnelle. Faut aussi tenir compte de tous ces immigrants, très portés à voter fédéraliste, qui arrivent tout le temps.
    Cependant, le fédéral doit quand même être nerveux en trouvant dangereux, pour l’unité canadienne, le fait qu’il subsiste dans les sondages, 40 à 45 % de souverainistes au Québec, selon les périodes et les difficultés de relation Québec-Ottawa.
    Ça Fait qu’il faut convaincre 20 % de fédéralistes Québécois de la justesse de la souveraineté totale du Québec ou, à défaut, trouver une solution, plus ou moins permanente ou même, temporaire, du genre de celle du Groupe Allaire à moins de tout laisser faire.