Êtes-vous un fasciste ecclésiastique?

La Tribune juive



Allez, on remet ça. Montréal «fasciste et totalitaire». Montée «d'un nationalisme teinté de fascisme ecclésiastique et aujourd'hui soutenu par les hitléro-islamistes».
Quoi? Vous n'aviez pas remarqué le fascisme ecclésiastique? Et pourtant, il est là mes amis, il plane de son ombre sinistre sur notre ville... Vous-même, si vous n'êtes pas un admirateur d'Ariel Sharon, peut-être êtes-vous un fasciste ecclésiastique qui s'ignore.
C'est ce que nous dit Tribune juive, un périodique intello qui tire officiellement à 20 000 exemplaires, ou plus précisément sa rédactrice en chef Ghila Sroka.
Pour vous donner une idée de la visibilité de ce périodique, sachez que le texte a été imprimé dans le numéro de... novembre, présentement en kiosque. Mais comme il en était question en première page de LaPresse samedi, il y a comme une certaine obligation de contre-critique.
Quel début d'année. Après Raël qui a vu les Élohims dans le creux d'un volcan, faut s'occuper de Mme Sroka qui a vu le fascisme ecclésiastique... Où l'a-t-elle vu, d'ailleurs, ce n'est pas clair, partout et nulle part. Raël, au moins, c'est précis. Un volcan, une soucoupe volante, des dates.
Enfin. Toujours est-il que, selon Mme Sroka, à côté d'un Montréal ouvert et généreux, existerait un autre Montréal, fasciste et totalitaire, où il serait de «bon ton» de s'afficher comme antisémite.
La preuve? Benjamin Netanyahu, ex-premier ministre israélien, a été empêché de parler par des manifestants hystériques et violents à Concordia. La preuve? Deux, trois niaiseries prononcées à CKAC par un animateur qui se plaint de voir des manifestants juifs bloquer la circulation et leur dit «allez manifester à Jérusalem». La preuve? La couverture de LaPresse, qui «désinforme» ses lecteurs sur le conflit au Proche-Orient.
Et cette dame de conclure: «Ce qui s'est passé à Concordia est une illustration de ce qui se passera bientôt ailleurs, partout. Aujourd'hui, on interdit aux juifs de s'exprimer; demain, les Québécois pure laine ne pourront même plus circuler librement car les nouveaux arrivants, principalement des hitléro-islamistes, contrôleront la ville.»
Ooooh là, là, ce n'est pas beau, ça, madame. Voilà une vision pas très jolie de l'immigration. Sous-entendu: de l'immigration arabe. Seriez-vous un petit peu xénophobe dans les encoignures? Si je comprends bien, les «nouveaux arrivants» menacent nos libertés?
Hon, hon, hon, madame, sous vos dehors gauchisants, seriez-vous une émule de Jean-Marie Le Pen par la porte de derrière? Lui non plus n'aime pas l'immigration arabe. Mais c'est drôle, dans son pays, c'est lui qui se fait traiter de fasciste.
Bon, passons, pour les épithètes, je vous laisse trancher. Ça semble votre matière forte.
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J'ignore dans quelle réalité fantasmée vous vivez, madame, mais s'il s'agit de parler de fascisme, il n'y a pas deux Montréal, comme il n'y a pas deux New York, deux Paris ou deux Ouagadougou (où, soit dit en passant, Tribune juive a un correspondant, j'en profite pour vous féliciter).
Je ne sais pas sur Uranus, mais dans cette partie-ci du système solaire, une démocratie en santé n'est pas une société où le comportement humain est en toutes choses exemplaires. La santé démocratique, ce n'est donc pas l'absence de déviances (parmi lesquelles l'antisémitisme); c'est la capacité, pour une société, de gérer les excès sans se tirer dessus.
C'est une honte qu'une université, et une ville, Montréal, soient incapables de laisser parler Netanyahu. Mais si vous aviez, madame, une once d'honnêteté intellectuelle, vous noteriez que partout à Montréal, ces médias qui, dites-vous finement, font partie du «triumvirat de la haine» avec les syndicats et les universités, ces médias, donc, ont «planté» joyeusement l'université. Même La Presse, ce journal pathologiquement propalestinien (!), a publié un éditorial et une chronique, la mienne, pour dénoncer les manifestants.
La vérité, c'est que l'antisémitisme existe à Montréal. Mais il est si peu toléré que l'apparence d'antisémitisme dans les propos de Yves Michaud sur le vote des juifs lors du référendum de 1995 lui a bloqué l'accès à l'investiture péquiste dans Mercier. Avec raison. Lucien Bouchard l'a dénoncé pour cela. Avec raison. L'Assemblée nationale aussi.
Demandez à Jean-Louis Roux si Montréal est antisémite, lui qui a démissionné de son poste de lieutenant-gouverneur du Québec pour avoir porté une croix gammée 50 ans plus tôt. Est-il antisémite? Pas du tout. Mais le symbole était inacceptable.
Ce sont des exemples, et il y en a mille autres, que non seulement il n'est de bon ton nulle part en 2003 de s'afficher comme antisémite, contrairement à ce que prétend ce texte délirant, mais que même la présomption d'antisémitisme n'est pas tolérée dans cette ville.
Y'a tout de même des sacrées limites à la connerie! Comment quelqu'un qui veut incarner la conscience juive peut-il parler de fascisme en parlant de Montréal, quand on sait ce que cela a voulu dire de tragique pour le peuple juif?
Non mais sans farce, qu'est-ce que c'est que cette histoire de montée du «nationalisme teinté de fascisme ecclésiastique»? Cout'donc, changez de livre. Esther Delisle, c'est bien intéressant, mais bordel, le chanoine Groulx est mort en1967. Ben oui! il était antisémite, comme plusieurs de ses contemporains.
O.K., maintenant où est la «remontée» dans tout ça? Aujourd'hui? Y a-t-il un parti fasciste, ou fascisant au Québec qui ait la moindre audience? Bravo pour la remontée historique. Mais où est la résurgence, la saillie fascisante? Ecclésiastique en plus! Celle-là, au moment où les églises sont transformées en condos, vous êtes allée la chercher un peu loin.
Que plusieurs intellectuels québécois aient des sympathies palestiniennes, c'est un fait. Cela en fait-il des antisémites? Pourriez-vous en faire la démonstration, s'il vous plaît? Les hitléro-islamistes, c'est-à-dire les fondamentalistes qui soutiennent le terrorisme (ça existe, bien sûr) sont en train de prendre le contrôle de la ville? Où ça, s'il vous plaît?
Est-on en train, dans votre rédaction, de confondre la critique de la politique israélienne et l'antisémitisme? Si c'est le procédé mathématique, ça commence à faire un paquet d'antisémites par association. Y compris en Israël!
Ça promet pour l'intelligence des discussions à venir.
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Cela dit, autant cette analyse est nulle et malhonnête, autant je m'inquiète de voir certains suggérer que le gouvernement du Québec devrait cesser d'annoncer dans ce périodique. Ce n'est pas de ses sacrées affaires, au gouvernement, ce qui s'écrit là où il a décidé de faire paraître des annonces, sauf s'il s'y commet quelque illégalité. Je reconnais à Mme Sroka un droit fondamental à l'insignifiance calomnieuse, même sur un sujet sérieux, même aux dépens de Montréal, qui ne le mérite pas.
Car voyez-vous, j'ai suffisamment confiance en la capacité de cette ville d'ignorer les folies qu'on peut inventer sur son compte, comme elle évite généralement les pièges de l'intolérance.


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