Fils déprimé de nation incertaine

la Beauté du monde - poésie

Suis fils de peuple anesthésié
_ expert en rendez-vous manqués
_ de peuple mal défini
_ emmitouflé dans l’indéfini
_ de peuple qui se raconte des histoires
_ forgées sur le déni de ses déboires
_ et qui pousse même l’inconscience
_ à oublier l’essentiel de son essence.
Suis fils de ce peuple estropié
_ franc-tireur pour son propre pied
_ à se bricoler par de dérisoires astuces
_ une souveraineté de marché aux puces
_ un peuple qui pense aller quelque part
_ dépossédé de ses ports et aéroports
_ qui expose naïvement ses oripeaux
_ mais qui peu à peu échappe son propos.
Suis rejeton de ce peuple emberlificoté
_ dans des institutions rafistolées
_ cadenassé dans une constitution
_ pensée pour sa dissolution
_ une nation certaine
_ à destinée incertaine
_ qui rêve d’universel
_ et qui macère en curatelle.
Héritier et légataire de peurs séculaires
_ mal à l’aise avec mon identitaire
_ satisfait de ma fade existence
_ brodée sur un vieil instinct de résilience
_ je me fignole une ambivalence
_ à mon image et ressemblance
_ et m’invente de constants méandres
_ pour éviter le chemin à prendre.
Ne serais-je qu’anonyme atome
_ de peuple en crise d’impotence
_ en passe d’écrire le dernier tome
_ de sa quasi-existence ?
Novembre 2011

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Gilles Ouimet66 articles

  • 37 967

Né à Mont-Laurier en 1947. Études primaires à cet endroit. Études classiques à Mont-Laurier et Hull entre 1961 et 1968. Diplômé en histoire de l’Université Laval en 1971. Enseignant à la polyvalente de Mont-Laurier entre 1971 et 2005. Directeur d’une troupe de théâtre amateur (Troupe Montserrat) depuis 2000. Écriture pour le théâtre, notamment une pièce à l’occasion du centenaire de Mont-Laurier en 1985 (Les Grands d’ici), une autre à l’occasion du 150e anniversaire du soulèvement des Patriotes (Le demi-Lys...et le Lion) en 1987 (prix du public lors du festival de théâtre amateur de Sherbrooke en 1988 et 2e prix au festival canadien de théâtre d’Halifax la même année). En préparation, une pièce sur Louis Riel (La dernière Nuit de Louis Riel). Membre fondateur de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides. Retraité de l’enseignement depuis 2005.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    22 janvier 2012

    Merci pour vos commentaires. Ce Québec m'atteint jusque dans ma chair. J'ai écrit ce texte comme un cri de douleur, incapable que je suis de comprendre et d'accepter ce naufrage appréhendé. J'espère toujours que je pèche par pessimisme. On verra comme dit un triste personnage qui encombre notre espace politique.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    21 janvier 2012

    M. Ouimet,
    Mon commentaire ci-haut reposait surtout sur un reportage de seconde main sur le poème de Chauveau.
    Or, après avoir lu "L'insurrection" directement sur le microfilm à la Grande bibliothèque, je dois insister sur le fait que la poésie de Chauveau date, et lourdement. C'était donc vous faire injustice que de comparer votre travail de versificateur à celui de cette époque. Quiconque lit à voix haute "Fils déprimé de nation incertaine" y entend une chanson rythmée qu'envieraient plusieurs rapeurs professionnels.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 janvier 2012

    Monsieur, votre poésie est tellement empreinte de réalisme politique qu’il convient de la rapprocher de celle de Pierre J Olivier Chauveau. Ce politicien fut Premier Ministre du Québec au moment de la Confédération : 1867. Aussi fondateur de la SSJB de Québec. Or, l’homme fit aussi carrière littéraire, tout comme Châteaubriand, Lamartine et Victor Hugo. Dès l’âge de 17 ans, il publia dans le journal Le Canadien, le 6 avril 1838, un poème hommage aux Patriotes : « L’insurrection. » C’était une époque de grands versificateurs : Poème divisé en trois chants, chacun commençant par Pleurez enfants, Allez enfants, Dormez enfants… Mais il rompit avec la tradition de l’alexandrin et produisit des strophes de quatre vers…
    Il devait par ailleurs finasser avec la censure : parle des événements par code : il leur superpose un récit plus proche de celui de la conquête. Critiquant les chefs, use d’ambiguïté entre Papineau, Vaudreuil ou Bigot.
    « Mais leurs chefs avilis, que l’épouvante glace, ont disparu. Laissés seuls, sans armes et sans chefs, les « insurgés » forment plus qu’une poignée d’hommes. Ils sont assimilés à tout un village, voire à tout un peuple, sacrifiés, inutilement et rompus par la défaite militaire.
    Comment ne pas réduire un adversaire en poudre
    Lorsqu’on a pour soit et le ciel et la foudre?
    Et où, refoulés dans la forêt, les habitants s’enfoncent toujours plus loin pour reconstruire à neuf leur civilisation. »
    Ce qui est nouveau ici, est la construction de la Nouvelle-France (bien qu'elle ne soit jamais nommée ainsi) comme un Éden, et la superposition des deux temps de l’histoire, celui de la Conquête et celui des rébellions, par le gommage des 80 ans qui les séparent.
    Chauveau traduit les sentiments de tristesse et de découragement nés du contexte politique. Et il est le premier à initialiser son texte, contre la mode anonyme.
    « L’insurrection est ainsi un poème préromantique. » (Lucie Robert : Portrait des arts, des lettres et de l’éloquence au Québec, 1760-1840)