Frais de logement: tous cachottiers, sauf neuf députés

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Un débat sur la transparence qui cache les réels enjeux électoraux de 2018 : l'intégrité de l'État et la démographie

La quasi-totalité des élus de l’Assemblée nationale, libéraux et caquistes en tête, refusent de dévoiler leur allocation de frais de logement payée par les contribuables.


Sur les 125 élus siégeant au Parlement, 115 étaient admissibles l’an dernier au remboursement pour leurs frais de logement, jusqu’à concurrence de 15 300 $ non imposables.


De ce nombre, les 61 députés libéraux et les 19 de la Coalition avenir Québec ont choisi de garder secrète l’indemnité qu’ils touchent.


Seuls neuf députés, les trois de Québec solidaire (QS) et six du Parti québécois sur 27, ont accepté de rendre publics les montants qu’ils ont réclamés en frais de logement pour l’année 2016-2017 à la suite d’une demande d’accès de notre Bureau d’enquête.


Dans le cadre d’un reportage sur les problèmes de transparence des gouvernements, Le Journal a présenté ces derniers jours de nombreux cas concrets d’informations cachées ou difficiles à obtenir. Les allocations de logement des députés québécois ne sont qu’un exemple parmi plusieurs autres.


« Rien à cacher »


« On n’a rien à cacher. Tous les députés devraient être tenus de divulguer le remboursement pour frais de logement que leur verse l’Assemblée nationale », tranche le député de Mercier, Amir Khadir, de QS.


« La transparence est toujours souhaitable », renchérit le député péquiste de Rousseau, Nicolas Marceau. Mais celui-ci s’empresse d’ajouter qu’il ne veut pas blâmer ceux qui refusent de dévoiler leur remboursement.


Le règlement de l’Assemblée nationale encadre les frais de logement et prévoit :



  • Le remboursement maximal annuel de 15 300 $ pour les élus dont la circonscription est à plus de 50 kilomètres du Parlement.



  • Une augmentation de l’allocation le 1er avril de chaque année.



  • Les députés peuvent opter pour un hébergement à l’hôtel, une location ou l’achat d’une propriété.


Québec Solidaire


Les trois élus de QS sont tous en location, car ils refusent d’utiliser le remboursement afin de s’acheter une propriété à Québec, maison ou condo.


« Pour ma part, je ne considère pas que l’argent m’appartient et qu’il me serve à acheter un condo », soutient M. Khadir.


Les deux co-porte-parole de QS, Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois, ont opté pour la colocation. M. Nadeau-Dubois loue un appartement dans lequel il héberge, moyennant 300 $ par mois, un membre de son équipe. La sous-location est déduite de la facture soumise à l’Assemblée nationale.


Le jeune politicien a demandé un avis à la commissaire à l’éthique. « Elle m’a dit qu’il fallait que je m’assure de louer la chambre au prix du marché pour ne pas que ça soit perçu comme une faveur », explique le député de Gouin, qui réclame 1030 $ par mois en allocation.


L’option condo


À l’instar de nombreux élus, le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault, a opté pour un condo. Puisqu’il s’agit pour lui d’une résidence secondaire, le péquiste a dû débourser lors de l’achat une mise de fonds représentant 20 % de la valeur de la propriété.


« À l’hôtel, tu es toujours dans tes bagages. C’était pour moi la meilleure des formules. Les élus de Québec solidaire ont le droit de dire ce qu’ils veulent. Personnellement, j’ai le droit de m’acheter des propriétés où je veux et j’en ai acheté une à Québec », se défend M. Gaudreault.


– Avec Marie Christine Trottier



MONTANTS REMBOURSÉS EN 2016-2017



  • Amir Khadir (Québec solidaire) - Mercier: 11 400 $



  • Diane Lamarre (Parti québécois) - Taillon: 15 300 $



  • Manon Massé (Québec solidaire) - Sainte-Marie-Saint-Jacques: 5409 $



  • Marc Bourcier (Parti québécois) - Saint-Jérôme: 4651,71 $



  • Nicolas Marceau (Parti québécois) - Rousseau: 15 379,12 $



  • Sylvain Gaudreault (Parti québécois) - Jonquière: 14 063,53 $



  • Catherine Fournier (Parti québécois) - Marie-Victorin: 3644,35 $



  • Sylvain Pagé (Parti québécois) - Labelle: 15 300 $



ILS N’Y ONT PAS DROIT



  • François Blais, PLQ - Charlesbourg



  • Caroline Simard, PLQ - Charlevoix-Côte—de-Beaupré



  • Véronyque Tremblay, PLQ - Chauveau



  • André Drolet, PLQ - Jean-Lesage



  • Sébastien Proulx, PLQ - Jean-Talon



  • Éric Caire, CAQ - La Peltrie



  • Geneviève Guilbault, CAQ - Louis-Hébert



  • Raymond Bernier, PLQ - Montmorency



  • Agnès Maltais, PQ - Taschereau



  • Patrick Huot, PLQ - Vanier—Les Rivières



L’ÉLU AUX DEUX CONDOS


Le député péquiste de Labelle, Sylvain Pagé, qui siège au Parlement depuis 2001, se retrouve aujourd’hui propriétaire de deux condos à Québec.


« J’en ai eu un premier mis en vente depuis plus de deux ans qui ne se vend pas. Je l’ai loué pas cher pour dépanner des jeunes. Je ne fais pas d’argent avec ça », assure M. Pagé, qui a dû acheter un condo plus grand pour accueillir son fils qui fréquente l’université.


« Soit je donne l’indemnité à quelqu’un qui va faire de l’argent avec ou bien je me paye moi-même. Il n’y a rien de malhonnête là-dedans. C’est une résidence secondaire sur laquelle je vais payer de l’impôt sur le 50 % de gain en capital », explique le député.



SIMPLICITÉ VOLONTAIRE


Celle qui aspire à devenir première ministre, Manon Massé, ne coûte pas cher aux contribuables pour se loger.


Elle est en colocation et réclame la moitié du bail et autres frais admissibles pour un total de seulement 5409 $, presque 10 000 $ de moins que le maximum autorisé.


« Ce n’est pas une question d’être exemplaire ou non. Je peux concevoir que j’ai la simplicité plus volontaire que d’autres. Mais pour mes besoins, ça me convient très bien », avoue-t-elle humblement.



PAS D’OBLIGATION


À Québec, les députés ne sont pas tenus de dévoiler leurs allocations de dépenses. L’Assemblée nationale est allée jusqu’en Cour suprême pour interdire aux médias l’accès à ces informations. Au terme de 10 ans d’affrontements devant les tribunaux, elle a obtenu gain de cause contre le quotidien The Gazette et son journaliste Rod Macdonnell. Dans une décision serrée (5 contre 4) rendue en novembre 2002, le plus haut tribunal a tranché en faveur de l’Assemblée nationale et statué que les élus n’ont pas à rendre publics ces documents.