À RETENIR
Hollywood et la politique
_ Claude Vaillancourt
_ Écosociété
_ Montréal, 2012, 168 pages
À l'heure où l'on présente les Oscar, l'essayiste militant Claude Vaillancourt signe une solide introduction critique au cinéma politique hollywoodien
Le cinéma d'Hollywood suscite, en gros, deux attitudes. Certains affirment l'apprécier pour sa valeur divertissante, alors que d'autres le rejettent, voire le méprisent, pour son caractère primaire, commercial et propagandiste. Les studios d'Hollywood, qui appartiennent à des empires financiers, mélangent depuis leur naissance l'art et le divertissement et sont soumis à des contraintes commerciales. Le célèbre critique Roger Ebert écrivait même récemment, dans la revue Newsweek, que ces contraintes rendent le cinéma américain de plus en plus insignifiant, platement axé sur l'action au mépris des dialogues, comme s'il était celui d'une «nation d'adolescents violents et idiots».
Pourtant, écrit l'essayiste et militant de gauche Claude Vaillancourt dans Hollywood et la politique, «le cinéma d'Hollywood n'a jamais craint d'aborder des sujets politiques». «Sûrement plus que dans d'autres cinématographies, poursuit-il, le cinéma des États-Unis se greffe à l'histoire réelle et présente, par ces nombreux faits authentiques que les réalisateurs reprennent.»
Étant donné que ce cinéma, qui se fêtera en grande demain soir à Los Angeles, fait la pluie et le beau temps à l'échelle planétaire, il devient nécessaire de l'analyser sérieusement pour découvrir et comprendre les messages qu'il porte. C'est la mission que se donne Vaillancourt dans cet essai qu'il présente comme «une méthode d'autodéfense intellectuelle, comme le dit Normand Baillargeon, appliquée au cinéma». En proposant «une sorte de guide pour interpréter les films et leurs messages politiques», l'essayiste ne veut pas détourner ses lecteurs du cinéma hollywoodien, mais les inviter à combiner le plaisir avec l'esprit critique.
Des questions fondamentales
Le répertoire analysé couvre la période de 1980 à nos jours et se limite à «des films qui abordent clairement des questions sociales et politiques». La grille d'analyse de Vaillancourt contient plusieurs questions fondamentales: qui sont le réalisateur et les acteurs? Sont-ils rattachés à des tendances politiques? Le héros agit-il seul ou solidairement avec d'autres? Comment le film se conclut-il? Quels aspects de la société américaine critique-t-il? Les problèmes qu'il évoque sont-ils conjoncturels ou systémiques? Comment sont dépeints les représentants du monde politique, des affaires, de l'armée? Y a-t-il du placement de produits? Quelles sont les valeurs défendues par le personnage principal?
Comme dans toute société, précise Vaillancourt, les citoyens des États-Unis, d'un bout à l'autre du spectre politique, se regroupent autour de certaines valeurs partagées. Ces dernières se retrouvent dans leur cinéma. Il s'agit, notamment, de l'individualisme, du culte du héros solitaire, de la famille, de la séparation nette entre le Bien et le Mal, de l'attachement au rêve américain et du respect pour les institutions américaines. Ces valeurs seront évidemment traitées différemment selon les tendances politiques des artistes.
Pour classer les films analysés, Vaillancourt retient trois grandes catégories: le cinéma du statu quo, le cinéma du questionnement et le cinéma subversif. Ce classement constitue la principale originalité de cet essai admirablement clair.
Le cinéma du statu quo «se contente de reprendre les discours officiels». Dans sa version patriotique, il présente les États-Unis comme «un pays rassurant, juste, triomphant malgré les difficultés, protecteur de ses citoyens, souvent guerrier, prêt à venir en aide au reste de l'humanité». C'est, par exemple, Rocky IV (1985), un film de Sylvester Stallone dans lequel le simple champion américain, plein de belles valeurs, terrasse l'homme-machine soviétique.
Dans sa version «catastrophe» (ouragans, épidémies, psychopathes), le cinéma du statu quo, en apparence apolitique, entretient le besoin «de se sentir protégé par un État fort, une police bien présente, une armée bien entraînée». D'autres films de cette catégorie, pensons aux James Bond, ne sont en fait que des bandes publicitaires qui évacuent les problèmes de société pour nous plonger dans le réconfort des marques.
Un cinéma plus critique
Le cinéma du questionnement, pour sa part, émet des critiques du système en place sans remettre ses fondements en question. W. (2008), d'Oliver Stone, présente Bush junior comme un imbécile, mais se livre moins à une critique profonde du système politique qu'il ne nous plonge dans un psychodrame familial. Dans le genre «allégorique», Avatar (2009), de James Cameron, semble critiquer l'impérialisme américain (une grande compagnie envahit des terres autochtones) et chanter les vertus de l'écologie, mais présente une pauvre tribu sauvée par un Blanc et prône le pacifisme en multipliant les scènes de bataille.
Erin Brockovich (2000), de Steven Soderberg, met en scène une lutte sociale aux allures militantes (une mère de famille monoparentale lutte contre une grosse compagnie polluante), mais fait reposer la victoire du Bien sur le Mal sur les épaules d'une héroïne solitaire à laquelle le système judiciaire, fondamentalement juste, finira par donner raison. Ces films peuvent sembler critiques, mais ils désamorcent eux-mêmes leur portée subversive.
Vaillancourt, qui analyse ou évoque plus de 150 films dans cet essai, se penche enfin sur le cinéma subversif, celui qui «se permet d'aborder de façon nettement dérangeante les grands problèmes». Il en trouve la trace dans le documentaire, chez Michael Moore notamment, qui «mélange avec un bel équilibre l'indignation à un humour irrésistible» pour mettre directement le capitalisme au pilori. Vaillancourt reconnaît que Moore est critiqué pour son simplisme démagogique, mais il retient surtout la «grande cohérence» de son oeuvre et son obstination à dénoncer frontalement «les vicissitudes de la société américaine».
Dans le domaine de la fiction, l'essayiste retient notamment, comme exemples de cinéma subversif, Bulworth (1998), une comédie de Warren Beatty dans laquelle la soumission des partis politiques aux grandes entreprises est mise au jour, Milk (2008), un film de Gus Van Sant qui raconte le combat civique du militant homosexuel Harvey Milk, et Munich (2005), un film de Steven Spielberg qui conclut que «la solution au conflit israélo-palestinien ne passe pas par la vendetta, telle que pratiquée par les agents du Mossad et leurs ennemis palestiniens».
Solide introduction critique au cinéma politique hollywoodien, cet essai à la fois simple et substantiel est un modèle de pédagogie citoyenne et devrait être au programme des écoles secondaires et des cégeps du Québec. Il montre avec force qu'une activité souvent associée au pur divertissement — regarder un film à grand déploiement — reste un geste éminemment politique qui nécessite un esprit critique informé pour ne pas devenir abrutissant.
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